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Accueil du site > Actualités > Religions > Liberté ! Religio duplex, mundo duplex et homo duplex

Liberté ! Religio duplex, mundo duplex et homo duplex

Comme on vient de le comprendre, les maçons des Lumières ont largement puisé dans l’idée d’une double religion égyptienne dans l’Antiquité, si bien qu’ils ont épuisé l’idée mais sans pour autant que l’interrogation sur la double religion ne soit saturée. C’est même un thémata universel qui, en se diffractant dans différents champs, prend des formes différentes. Car c’est homme en tant qu’individu qui est concerné, autant que l’homme comme élément d’une société. Ces deux aspects ont été clairement cernés dans le Religio duplex de Jan Assmann. Le religieux s’avère constituer un mode d’expérience personnel avec le divin mais quand il devient La religion, c’est souvent pour servir des fins sociétales liées notamment au contrôle des populations par un savoir livré à la croyance. Il n’y a pas d’Etat sans religion. Cette formule s’applique à notre époque. Il faudrait dire, il n’y a pas d’Etat moderne sans religion. La France est autant fille aînée de l’Eglise que de la Modernité. Jusque vers la fin du 19ème siècle, la religion catholique était la religion de l’Etat français. Après le basculement de la Belle Epoque, ce ne fut plus le cas. Ce que le public ignore en général, c’est qu’une autre religion d’Etat s’est substituée au catholicisme. Une religion composite, faite d’un ensemble d’ingrédients. Laïcité, droits de l’homme, république, nation, Etat providence. La religion d’Etat est horizontale, bien qu’elle place en position hiérarchique le système du pouvoir. De ce fait, en se sécularisant, la Modernité a oublié, depuis bien longtemps, le sens authentique du religieux. Avec les deux mondes.

Revenons sur le dédoublement de la religion. Comme le suggère habilement Assmann dans son chapitre conclusif à visée prospective et rétrospective, la conception politique de la scission religieuse provient de la formation des Etats. Dans la conception platonicienne (qu’on pourrait désigner comme classique, ou antique), la scission vient de la philosophie et dans l’ultime scission, celle pouvant être qualifiée de sécularisée et initiée à la fin des Lumière (Mendelssohn, Lessing mais aussi Kant), la scission vient de la globalisation qui induit la version cosmopolite de la religio duplex. D’après Assmann, ces trois formes historiquement datées de la scission des religions ont un principe commun, celui d’un ressort extérieur à la religion dont l’application induit, par une sorte de pression sociale, une séparation entre deux religions qui en fait s’avère être une séparation entre deux niveaux de pratique religieuse et donc deux classes sociales, non pas économiques au sens de Marx mais selon un autre point de séparation, celui de la conscience religieuse. Pour le dire autrement, les sociétés ont été divisées en deux « classes spirituelles ». Ce constat découle du propos précédent qui se veut anthropologique. Assmann use de ce stratagème pour signaler son étude comme relevant de l’histoire des idées et introduire un changement de perspective en cherchant au sein même de la religio duplex des sources internes expliquant le dédoublement (p. 17). Il pense trouver à travers l’interprétation de Jonathan Sacks une clé avec une dualité entre forme particulière et forme universelle de la religion. Avec Moïse, l’alliance contractée est particulière avec ses lois mosaïques alors qu’avec Noé, les commandements noachiques s’adresseraient à l’humanité dans sa globalité. Cette thèse est placée à dessein dans cette prospective qui vise notre époque actuelle avec les enjeux liés à la globalisation et le questionnement très contemporain de Michael Walzer sur les sociétés particulières possédant mémoire et cultures alors que l’humanité au sens universel se conçoit comme une forme plutôt vide n’ayant rien de déterminé à partager, ce que refuse Assmann en pointant l’évolution des quinze dernières années en voyant dans la distinction de Walzer un nouvel avatar de la double religion sécularisée. Je crois déceler quelques tendances positivistes dans cette direction de pensée aussi vais-je tenter d’explorer une autre voie pour recadrer la religio duplex.

La voie ontologique consiste à prendre comme principe celui du dédoublement du monde et donc de mettre en amont l’ontologie pour expliquer la religion dédoublée en prenant appui sur l’expérience personnelle de l’homme qui au plus profond de son être, se trouve scindé parce qu’il est la seule créature à pouvoir faire l’expérience du dédoublement avec un cheminement spirituel dont le ressort ontologique-réel est double, monde temporel et monde divin. De ce fait, la religion est dédoublée en rites, prêtrise, cultes et magistères aux formes visibles alors qu’une religion invisible se dessine, mettant en surplomb deux modalités expériencielles. Celle de l’homme qui parvient à connaître ou faire l’expérience du divin. Bien souvent, ces expériences ont permis de forger le concept d’une harmonie universelle, tao pour les Chinois, kosmos pour les Grecs, dharma pour les Indiens, asa pour les Perses et quelques autres dénominations comme le Un dans le néoplatonisme ou l’Ain soph dans la kabbale et bien évidemment, cet énigmatique grand architecte des Lumières (mais est-ce une expérience ou une extrapolation spéculative ?). On se situe ici dans le principe de l’homme qui participe par son expérience au monde des dieux ou du divin, moyennant la possibilité de s’affranchir du cadre spatiotemporel et des limites de la pensée rationnelle. Cette religion des philosophes s’avère être complémentaire de la religion révélée où apparemment, c’est cette fois les dieux ou même le Dieu qui participe à l’expérience humaine en communiquant sa parole en traversant la conscience des prophètes. Sur ce plan, le christianisme s’avère très singulier car Dieu partage l’expérience des hommes à travers l’Incarnation alors qu’ensuite, c’est l’homme Jésus qui partage l’expérience de Dieu avec le corps de résurrection. Il y a donc une réciprocité mais aussi, on le comprend, une asymétrie fondamentale et essentielle qui pour ainsi dire, est consubstantielle à l’asymétrie ontologique entre la cité humaine du temps et la cité supratemporelle de Dieu. Cette option ontologique impose que l’on désenclave le religieux de la gangue cultuelle et politique où il a été englué pour faire place à l’élévation de l’âme et de la connaissance vers la vérité. C’est cet aspect qui est essentiel et utile à chacun dans la limite de ses aptitudes. Une religion inconditionnelle qui ne soit pas entachée de visées politiques ou de déformations liées aux pratiques cultuelles.

Je ne suis donc pas Assmann dans sa prospective marquée par le souci d’universalité et de cosmopolitisme. Il est nécessaire de maintenir les vérités transcendantales sur le divin, qu’elles soient issues des sages, des philosophes ou bien extraites des écritures révélées. Mundo duplex, un schéma pour le 21ème siècle, d’autant plus pertinent et légitime que la cosmologie quantique et la théorie quantique des champs nous invitent à concevoir ce dédoublement du monde dans sa version naturelle, ontophysique et suprarationnelle. Derrière le monde dé-formé se dessine l’univers des champs méta-physiques et des calculateurs quantiques. Les réalités théorisées par la physique la plus avancée sont en correspondance avec les réalités découvertes par les consciences les plus élevées. En fait, le mundo duplex se dédouble une seconde fois, avec l’homme, pour devenir mundo quadruplex. Rien de bien nouveau. Plotin l’avait découvert avec les quatre hypostases, la matière du corps, l’âme, qui dirige le corps et participe à la vie sociale et politique, l’intellect, qui participe à la vie divine et le Un, qui en vérité est plus compliqué mais le calculateur quantique universel saura nous en dire un peu plus. Que les puristes ne soient pas choqués. Je livre ici une surinterprétation de Plotin.

Pour mettre une note finale à ces réflexions, je persiste à penser que le monde est dédoublé et que l’homme dédoublé reste une possibilité de développement profitable à l’avenir, pour ne pas dire salutaire. Le dédoublement ouvre vers la liberté et affranchi l’homme du système qui tente de l’insérer et l’enclaver dans un dispositif productif, politique et pseudo-religieux pour servir une minorité oligarchique et des fins par forcément éthiques. Luttes de pouvoir. Gagner la partie, se faire admirer par les masses et les valets. Le dessein des hommes politiques au cerveau malade dirait Hermann Broch. 


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13 réactions à cet article    


  • Gollum Gollum 22 mars 2013 10:19

    Bonne suite du premier volet. Continuez comme ça.. smiley


    Le religieux s’avère constituer un mode d’expérience personnel avec le divin mais quand il devient La religion, c’est souvent pour servir des fins sociétales liées notamment au contrôle des populations par un savoir livré à la croyance.

    Classique distinction entre Église de Pierre et Église de Jean, entre exotérisme et ésotérisme, que l’on retrouve curieusement partout comme si c’était une dualité inhérente à l’humain. En Grèce il s’agit de la distinction entre ceux qui suivent plutôt Aristote ou à l’inverse Platon. En Chine on a Confucius et Lao Tseu. En Islam, sunnisme et chiisme. Dans le bouddhisme, Theravada et Vajrayana (le Mahayana étant à mi-chemin).. En chrétienté les courants ésotériques ont été complètement souterrains de par la prééminence de Rome. L’avantage c’est qu’ils se sont moins institutionnalisés que d’autres courants comme le Vajrayana tibétain par exemple qui s’est aussi constitué en structure visible..

    Ce que le public ignore en général, c’est qu’une autre religion d’Etat s’est substituée au catholicisme. Une religion composite, faite d’un ensemble d’ingrédients. Laïcité, droits de l’homme, république, nation, Etat providence.

    Oui, très pertinent. La religion d’Etat est horizontale. Et de faible poids en conséquence, on a là une anomalie de l’Histoire qui ne tiendra pas longtemps.. d’où le délitement moral de nos sociétés coupées de toute verticalité. L’homme ne peut se passer de Transcendance. Eliade l’a montré depuis longtemps. L’Église de cette horizontalité est une certaine FM comme l’a noté à juste titre Furax hier..

    Avec Moïse, l’alliance contractée est particulière avec ses lois mosaïques alors qu’avec Noé, les commandements noachiques s’adresseraient à l’humanité dans sa globalité.

    Tiens voilà le Noachisme que certains détestent.. Pas besoin de Noé pour avoir une éthique minimale.. Le simple bon sens suffit.. Mais le poids des religions établies font du noachisme une douce rêverie...

    De ce fait, la religion est dédoublée en rites, prêtrise, cultes et magistères aux formes visibles alors qu’une religion invisible se dessine, mettant en surplomb deux modalités expériencielles. Celle de l’homme qui parvient à connaître ou faire l’expérience du divin. 

    Oui mais ceux-ci sont une minorité et tant que ce sera le cas...

    Bien souvent, ces expériences ont permis de forger le concept d’une harmonie universelle, tao pour les Chinois, kosmos pour les Grecs, dharma pour les Indiens, asa pour les Perses et quelques autres dénominations comme le Un dans le néoplatonisme ou l’Ain soph dans la kabbale 

    Oui. Au fond grande unité des doctrines sous des formes diverses comme l’avaient noté Guénon, Eliade et d’autres..

    et bien évidemment, cet énigmatique grand architecte des Lumières (mais est-ce une expérience ou une extrapolation spéculative ?).

    Dans ce cas je crains que ce ne fut extrapolation ou plutôt récupération de données venues d’ailleurs mais qu’ils ne surent ou purent être dignes de cette transmission. D’où la dégénérescence rapide.. dégénérescence en religion des droits humains et de la raison..

    Mais le christianisme officiel a dégénéré rapidement aussi. De religion de la fraternité, celle-ci s’est transformée en soumission idéologique à une Église qui ressemblait plus à l’ancienne Rome qu’au christianisme véritable, avec ses coercitions, ses anathèmes...

    Vatican II a tourné le dos à cette ancienne façon de voir sans trouver véritablement de chemin cohérent pour l’avenir. La faute à mon sens à ce refus encore présent d’une lecture symbolique et ésotérique des textes. (et aussi la faute à un abandon des mystères liturgiques, la magie de la messe, préservée par les orthodoxes, bref par une contamination par l’esprit moderne) On ne passe pas facilement d’une période bi-millénaire quasiment où elle s’est affirmée comme la seule source de Vérité avec un grand V, à une attitude où il s’agit de dire que cette Vérité n’est pas de l’ordre du discours et des affirmations péremptoires... et qu’elle peut donc se trouver ailleurs, au cœur même de l’homme et que l’on peut y avoir accès par d’autres chemins..


    • philouie 22 mars 2013 18:26

      En Islam, sunnisme et chiisme.

      Non, la distinction entre sunnisme et chiisme n’est pas ici pertinente : il s’agit d’une distinction spatiale dont l’origine est pour l’essentiel politique - même s’il y a là des distinctions de fond profondes.

      pour trouver un équivalant chrétien, il faudrait opposer le catholicisme (chiite) et le sunnisme (protestant) - analogie tirée - un poil - par les cheveux.

      pensons plutôt au soufisme - qui se retrouve dans l’aire géographique aussi bien du sunisme que du chiisme - comme *religion* de l’intérieur s’opposant à l’orthodoxie chiite ou sunite - comme religion sociale de l’extérieur.


    • Gollum Gollum 23 mars 2013 09:02

      Bonjour Philoule.


      Non, la distinction entre sunnisme et chiisme n’est pas ici pertinente : il s’agit d’une distinction spatiale dont l’origine est pour l’essentiel politique - même s’il y a là des distinctions de fond profondes.


      Il y a en effet des distinctions liées à l’origine mais pas que...


      pour trouver un équivalant chrétien, il faudrait opposer le catholicisme (chiite) et le sunnisme (protestant) - analogie tirée - un poil - par les cheveux.


      Non, car catholicisme et protestantisme sont deux exotérismes. Alors que le chiisme, même s’il a une structure extérieure, est bien un ésotérisme à la base.

      Par exemple le 6ème Imam, Sâdiq, déclare à propos du Qoran : « il y a l’expression énoncée, il y a la portée allusive, il y a les sens occultes, il y a les hautes doctrines spirituelles ». Sâdiq distingue ici 4 sens différents du Qoran, exactement comme les Kabbalistes parlent des 4 sens de la doctrine qu’ils résument par les 4 lettres du mot Pardès.

      Henry Corbin écrit que l’ésotérique est à l’origine même du chiisme. Alors que le sunnisme ne connaît qu’un sens littéral du Qoran. Le salafisme n’aurait pas pu naître en terre chiite de ce fait..

      pensons plutôt au soufisme - qui se retrouve dans l’aire géographique aussi bien du sunisme que du chiisme - comme *religion* de l’intérieur s’opposant à l’orthodoxie chiite ou sunite - comme religion sociale de l’extérieur.


      Sinon je n’ai pas évoqué les soufis (j’ai voulu faire vite et être schématique) mais vous avez raison de les mentionner..


    • philouie 23 mars 2013 17:19

      A dire vrai je ne connais quasi rien du chiisme.
      Mais pour moi toute église est exotérique.

      je ne le vois pas possible autrement.

      L’éxotérisme c’est la base nécessaire à la religion.
      Nécessaire parce que l’humain, ne comprend que ça.


    • Aldous Aldous 22 mars 2013 11:03

      C’est même un thémata universel...

      thémata est le pluriel de théma. (τὸ θέμα - τὰ θέματα)

      On ne peut pas écrire un thémata

      D’ailleurs pourquoi ce pseudo grec mal maitrisé ?

      Pourquoi ne pas utiliser le mot français ?

      C’est un thème universel...


      • Bernard Dugué Bernard Dugué 22 mars 2013 11:13

        26 sept. 2012 ... Plus récemment, l’historien des sciences Gerald Holton a montré, dans son ... Il nomme « thêmata » des éléments thématiques non réfutables, ...

        # Hegel et l’idéalisme Allemand - Résultats Google Recherche de Livres books.google.fr/books ?isbn=2711613674 Jean-Louis Vieillard-Baron - ‎1999 - 385 pages Sur ce sujet, un livre de Gerald Holton a été traduit en français. Il établit l’ importance décisive de themata dans la pensée des grands savants, tels Einstein ou ...

        Merci Google


      • Aldous Aldous 22 mars 2013 17:14

        Il établit l’ importance décisive de themata...

        C’est au pluriel.

        Il établit l’importance de thèmes...

        il faut dire les thêmata.

        Wiktionnaire :

        themata Latin Forme de nom commun

        themata /Prononciation ?/

        1. Nominatif pluriel de thema.
        2. Vocatif pluriel de thema.
        3. Accusatif pluriel de thema.

      • soi même 22 mars 2013 12:56

        Comme je viens de voir vous enfoncer Bernard dans le nihilisme dogmatique, c’est pas bien, votre supérieur va vous tirez l’oreille !


        • Bernard Dugué Bernard Dugué 22 mars 2013 13:14

          Restez chez vous au lieu de dire des bêtises, et puis une grippe est si vite arrivée par les temps qui courent


        • Montagnais .. FRIDA Montagnais 22 mars 2013 13:15

           .. l’antique honneur de la France, nullement réconforté, continuera de gir et d’agoniser par terre, assassiné par des banquiers et des Vénérables.


          Propos d’un Entrepreneur .. Bloy.

          .. pierre brute, poudre forte, barriques et canons, poudre faible, étoiles, drapeaux, tuiles pioches et truelles .. Glaive, sable et sable jaune .. « Frères et Compagnons » .. jouissons ..

          Foutre !

          Mieux vaut Villon : 

          En riagal, en arsenic rocher,
          En orpiment, en salpêtre et chaux vive,
          En plomb bouillant pour mieux les émorcher,
          En suif et poix détrempée de lessive

          Persistons, si vos capacités technologiques vous le permettent, entrez résolument dans la carrière des MMO .. Mouvements Mondiaux pour l’Ontologie. Démasquez !

          Remarquez.. c’est déjà fait pour celui qui veut bien regarder.

          Car le but de l’Ordre ne peut plus rester longtemps son premier secret.

          • philouie 22 mars 2013 18:13

            Car c’est homme en tant qu’individu qui est concerné, autant que l’homme comme élément d’une société.

            C’est ce qui distingue la spiritualité de la religion : la spiritualité est de l’ordre de la solitude faceà Dieu, pour la religion il faut être au moins deux . La religion, c’est croyances partagées, c’est projets de société, c’est l’homme en tant qu’il est un animal collectif. La religion c’est qui fonde le conscient collectif. ce n’est pas « je crois » c’est « nous croyons ».

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