Questions théologiques avec et après Heidegger
Si l’on veut situer Heidegger en une formule, alors on évoquera sa thèse de l’oubli de l’Etre. Cette thèse a été fondée sur un examen rigoureux du cours de la philosophie européenne depuis son aube avec les présocratiques jusqu’au retournement tenté par Nietzsche alors que la philosophie académique se trouvait dans l’impasse du néo-kantisme. Heidegger pensait que la philosophie occidentale était passé à côté d’un questionnement plus fondamental sur l’Etre, en s’égarant dans la métaphysique. Une pensée a commencé avec Héraclite et Parménide, puis elle a été occultée. Heidegger nous invite alors à amorcer un nouveau commencement.
L’œuvre la plus marquante de Heidegger n’est pas « Etre et Temps », essai inachevé et du reste inachevable, laissé en chantier par l’auteur, mais l’essai sur l’avenance, publié avec comme titre « apports à la philosophie ». Ce livre a été écrit entre 1936 et 1938 par Heidegger mais ne fut publié qu’en 1989 en Allemagne, puis tardivement en anglais et en français. Cette date de publication coïncida avec la chute du mur, la fin du communisme et une sorte de désarroi mélancolique ayant gagné la communauté des intellectuels. Le contexte ne se prêtait pas à une attention particulière à ce livre qui pour certain, paru tardivement et faisait double emploi compte tenu des milliers de pages écrites après le tournant de 1936 par Heidegger et disponibles depuis assez longtemps. De plus, le style poétique employé par l’auteur ne se prêtait pas à une traduction parfaite si bien que la version fournie par François Fédier pour Gallimard reçut un accueil mitigé pour ne pas dire hostile de la part des cercles académiques de l’université.
Comment situer le tournant philosophique pris dans l’essai sur l’avenance (Ereignis) ? Si l’on considère que « Etre et Temps » constitue une analyse du Dasein pris comme un kosmos avec un ordre, et donc, que Heidegger a tenté d’élaborer une kosmologie du Dasein fondée sur l’Etre, alors le tournant (Kehre) se comprend comme l’élaboration d’une kosmogonie avec ses émergences et ses ouvertures laissant entendre une vérité oubliée, celle de l’Etre. Heidegger envisage une mutation de l’homme pour qu’il entre dans une disposition accordée au déferlement d’une essence de l’estre. L’homme inséré dans la figure du quadriparti, enraciné dans la terre, accordé à l’ordre du monde, du ciel, l’homme mortel face aux Dieux. L’issue du cheminement tracé par Heidegger est pour le moins énigmatique, pour ne pas dire mystérieuse. In divino veritas !
Ces brèves notes nous interpellent sur un autre commencement, celui hérité de Jérusalem sur le Dieu des Ecritures et les développements de la théologie en Europe mais aussi en Orient. La théologie révélée est fondée sur la foi en une divinité qui parle à l’homme. La philosophie européenne, de Platon à Hegel, admet ou conçoit une divinité qui, elle, est intelligible à l’homme rationnel. Ne pourrait-on envisager un autre oubli, celui du Dieu révélé ? Le développement de la théologie laisse pourtant penser le contraire mais en vérité, la théologie a contourné la question fondamentale, celle de la nature de l’homme. Pourquoi Dieu s’intéresserait-il à cette créature issue du monde de chair après une longue évolution ? Il faut aussi interroger l’essence de l’homme ; pourquoi quelques-uns ont entendu une parole identifiée comme voix divine ?
La philosophie de l’avenance marque une étape dans le chemin parcouru par Heidegger. On voit se dessiner un thème qui n’est pas exploré dans Etre et Temps, c’est celui d’une mutation, voire une transmutation de l’homme. Cette transformation est jugée nécessaire afin que l’homme puisse à nouveau entrer en résonance avec un ouvert au sein duquel il entend la vérité d’un Etre déferlant. La transmutation de l’homme est la condition pour l’avènement d’une théophanie. La transmutation se comprend comme une théogonie dont la généalogie part de l’homme. La théogonie des Grecs était à l’écart de l’homme, jouée entre les dieux. Le second commencement aboutit à un autre achèvement que celui de la philosophie platonicienne puis moderne.
Merci d’accueillir ces quelques notes en forme de brouillon préparatoire à un livre que je pressens comme inaccessible. Quand j’entrerai dans le dur, vous ne me lirez plus ici. En attendant, vos remarques philosophiques sont les bienvenues.
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