Tous ces préjugés contre les résurgences polythéistes-animistes européennes ! – un plaidoyer argumentaire raisonné en leur faveur
Le monde contemporain est avant tout à l'économisme, au ludisme et au scientisme. Travail, loisir, science y valent pour production, séduction, confirmation – sinon c'est le sentiment de néant, de délaissement et d'inquiétude (même les plus sérieux zététiciens se retrouvent là face à un mur ! C'est dire …).
En dehors de ces termes et dérivés, « point de salut », Au hasard : pour tout ce qui s'avance comme générateur culturel et défenseur territorial … sur tout cela, « il faut » des diabolisations : c'est ce que jurent ceux qui ne jurent que par travail, loisir, science, progrès ou production, séduction, confirmation, obligation.
C'était sans parler du progrès équivalent de obligation, comme si on ne pouvait jamais ne serait-ce que digresser. Assurément, les poètes n'ont pas leur place dans cette ambiance, sauf s'ils sont scénaristes pour Netflix ou graphistes sur YouTube – et uniquement cela …
Alors, vraiment, quelle place auraient des polythéistes actuels ? Des animistes ? Des « païens1 » ? … Mille et un préjugés s'y opposent, mais ce ne sont que des préjugés.
Le préjugé actualiste d'arriération (ou le complexe du barbare)
Parlons-en, justement, de ce préjugé d'arriération. En effet, il peut sembler curieux qu'à l'heure où la météorologie et – plus récemment – la climatologie, nous expliquent que l'orage provient de différentiels atmosphériques, véritables générateurs électriques naturels … il peut sembler curieux qu'à cette heure, des personnes croient que le dieu viking Thor y soit pour quelque chose, ou bien un sabbat de sorcières sur un Akelarre.
En fait, il est déjà suffisamment difficile pour les post-monothéistes, de s'imaginer que toutes ces affaires ioniques sont le fruit d'un seul dieu prétendu totalitaire – alors si en plus se déploie tout un panthéon, rien ne va plus, déjà qu'avec la démonologie, l'hagiographie et l'angélologie c'était pas gagné (par l'hébraïque démon Reshep, le chrétien saint Christophe et l'islamique ange Ar-Râd !) …
Or, c'était sans parler du devenir sociohistorique : la Rome antique n'a-t-elle pas colonisé l'Europe continentale – et pas que l'Europe continentale ? Cette Rome ne s'est-elle pas convertie en Christ, serait-ce par le saccage des temples et le massacre des fidèles à l'ancienne coutume ? Les invasions dano-hercyniennes n'ont-elles pas bouleversé la donne romaine, à la fois en l'adoptant et en la féodalisant ? Quant à la christianisation, n'a-t-elle pas couru – au moins ! – jusqu'en Scandinavie ? Leif Erikson, « le viking qui a découvert Vinland » – l'Amérique – n'était-il pas déjà chrétien dans sa famille depuis une génération, n'a-t-il pas fait construire une église là-bas ? Et tous les compilateurs du merveilleux celtique et nordique, n'étaient-ils pas des moins qui ont tout évhémérisé ? Alors enfin, l'époque féodale ne s'est-elle pas réformée ès Renaissance jusqu'aux Lumières dont nous réclamons volontiers – jusqu'à nos valeurs de travail, loisir, science et progrès – production, séduction, confirmation et obligation ? … Alors à quoi bon ! À quoi bon ! À QUOI BON ? …
À bon, les animismes-polythéismes contemporains. L'hindouisme est la quatrième plus grande religion mondiale, après le catholicisme, le protestantisme et l'islamisme. Et encore, il a fallu diviser le monothéisme en trois, pour ne pas dire qu'elle est la deuxième plus grande religion mondiale. La question serait donc plutôt de savoir, comment les « actualistes » (appelons-les ainsi, ceux qui ne jurent que par ce qui se fait actuellement chez eux qui valorisent travail-loisir-science-progrès ethnocentriquement2) … la question serait donc plutôt de savoir, comme les actualistes, qui sont censés tout comprendre, ne comprennent pas cela.
Car il y a eu historiographie un éminent penseur français, nommé Hippolyte Taine, voilà deux siècles d'époque contemporaine. Ce penseur fut le penseur de l'historicisme, à savoir du principe historique selon lequel, il faut des conditions très spécifiques, pour qu'une culture puisse fleurir. À vrai dire, il n'a jamais su paramétrer lesquelles, voilà pourquoi il n'a pas été retenu dans la discipline (en plus de l'emploi innocent mais malheureux pour nos jours, de critères tels que « la race, le temps, le lieu » – race au sens neutre de génération ethnique plutôt que racisme évidemment). Hippolyte Taine n'a pas été retenu, pourtant c'est bien sur son principe historiciste que s'épanouirent les sciences sociales, et notoirement l'anthropologie.
Or, qu'est-ce que l'anthropologie ? … L’anthropologie, c'est la méthode scientifique qui – malgré quelques « observations participantes », permet de diagnostiquer les sociétés non-actualistes selon des préjugés actualistes. Par anthropo-logie, logique anthropique, on les met en boîte pour nous confirmer scientifiquement dans l'exotisme bourgeois. Il s'agit en fait d'une mesure d'hygiène, comme on regarde la covid avec des yeux ébahis à travers des discours médiatiques : pour éviter de le rencontrer tout en l'observant avec avidité (et pourtant, il migrait parmi nous …). En fait, de manière générale, le scientisme ambiant est déconstructeur, fatalement déconstructeur, parce qu'analytique et critique. Mais, quand on vit sa vie culturelle, même si on peut avoir conscience de ses différents aspects, on ne l'analyse pas ni ne la critique : on la comporte.
Enfin, dans des sociétés autoproclamées libérales comme les nôtres, où le précepte ultime est opportuniste et innovationniste (« réalise tes rêves, toi seul peut faire tes choix qui se respectent »), on voit mal comment l'opportunité de puiser dans le patrimoine pré-monothéiste pour réinventer des modes de vie, ne pourrait pas être validée. Elle étonne uniquement parce qu'il s'agit du religieux, et que le religieux (comme l'irréligieux à vrai dire) engage intimement nos sentiments de valeurs.
Bref : le préjugé actualiste d'arriération n'est bien qu'un préjugé, le préjugé des gens sans empathie … et c'était sans parler des chamanismes sud-américains, sibériens et océaniens toujours vivaces, qui recueillent plus de sympathie car correspondants l'actualisme écologiste.
Car enfin, dans les anciens mythes européens, les dieux naissent comme les hommes dans le monde, au monde. Il n'est pas dans l'esprit polythéiste-animiste d'être anti-scientifique : c'est même en Grèce « païenne », que naquit l'esprit scientifique en philosophie (emblématiquement pour nos jours : Démocrite) or ces Grecs jugeaient les druides philosophes, aussi.
Mais, plutôt que d'écologistes, parlons d'écologues polythéistes-animistes (emblématiquement de nos jours : James Lovelock et son hypothèse-Gaïa) – toute la sorcerie actuelle se veut d'ailleurs une telle écologue.
Le préjugé romantique d'humiliation éternelle
Ce préjugé découle de l'historicisme précédent. En effet, les sociétés actualistes sont obnubilées par leur héritage post-chrétien, à le diaboliser pour abominable à cause de la colonisation. C'est un sentiment compréhensible, d'autant plus que les anciennes coutumes européennes furent colonisées de la même manière : on n'a pas changé une « méthode qui gagne » depuis l'empereur Constantin qui, au VIème siècle, fit de la foi en Christ la religion impériale romaine.
De plus, notoirement, au XIXème siècle qui inaugure l'ère contemporaine – siècle dont nous parlions précédemment aussi, puisqu'Hippolyte Taine y vécut … – au XIXème siècle, l'Europe des Lumières a perdu sa mentalité aristocratique et savante transfrontalière à cause de la Révolution française et son accouchement de l’État-nation administratif napoléonien. Imitée par tous les pays d'Europe, la France suscita partout une crispation frontalière administrative – aidée par le choc des invasions de Napoléon. Se sentant fragile, tout le monde tourna au nationalisme, c'est-à-dire à la mise en boîte de sa nationalité, concurrentiellement, eut égard aux autres nations : le romantisme régnait en France, c'est-à-dire la mentalité à prendre le psychodrame d'un moi pour le Tout cosmique (la France ne s'en est jamais remise, jusque dans son universalisme humanitaire).
En tout cas, c'est à cette époque que, en France, on écrivit le roman(tisme) national, fondé sur la mise en exergue du roi-guerrier Vercingetorix. Elle n'a pas eu tort, dans la mesure exacte où l'aventure de cet Arverne entre les peuples gaulois, est l'aventure d'un brave ayant réussi là où d'autres ont échoué : fédérer des peuples gaulois, jusqu'à refaire craindre la Rome que – comme ce fut le cas quatre siècles plus tôt – un brennos gaulois (c'est-à-dire un chef, gallois bran, comme le nom du roi final dans Game of Thrones) ne ramènent ses armées devant la Cité palatine et la mette à sac.
Et pourtant, le nationalisme eut tort d'en faire une germanophobie, voilà le point … d'autant plus que les Anciens Allemands furent mieux placés que les Anciens Français, face à Rome. En effet Rome réussit une vingtaine d'année, à coloniser ce que Jules César avait baptisé la Germanie (vaste espace celtique hercynien et dane à l'entrée de la Mer Baltique, que l'historiographie actualiste ne parvient pas à penser autrement que dans les termes césariens de Germanie … c'est dire sa partialité). Mais Hermann, fils de chef enlevé de force à sa famille pour être romanisé en Arminius, a retourné son apprentissage contre les colonisateurs avec succès, et c'est ainsi que Rome renonça aux terres nordiques avant la christianisation.
Bref, la France a choisi le coq pour symbole, celui qui chante même les deux pieds dans la merde, jeu de mot césarien à son sujet encore. En effet, en celtique, gaulois (galatai) signifie souveraineté, gouvernement, vaillance mais cela sonne en latin comme le coq ou la poule, le gallinacé, gallinaceus. Il faut croire que nos ancêtres nationalistes contemporains, firent une identification à l'agresseur, dans leur révisionnisme ! C'est pitié.
Nos ancêtres nationalistes contemporains, révisionnistes, ont figé une humiliation dans le ciel éternel de leur idée française : ce n'est pas très malin. C'est d'autant moins malin, que cela inspira les Belges (pourquoi cela ne m'étonne pas ? humour franco-belge) avec « leur Vercingetorix », j'ai nommé Ambiorix – mais aussi les Espagnols avec leur révolté Olyndicus, les Britanniques avec Boudicca (qui a le « charme actualiste » du féminisme), ou encore les derniers résistants gaulois après Vercingetorix : Lucterios et Drappès, à la bataille d'Uxellodunum, après la fameuse d'Alesia. Ce dernier exemple démontre, d'une part, que le nationalisme pratique un révisionnisme sélectif … mais tous ces exemples démontrent la bêtise nationaliste en général, d'être romantique, et de valoriser des humiliations de guerre en guise de héros morts au combat.
À vrai dire, quand on se veut aujourd'hui polythéiste-animiste celtisant, on peut évidemment honorer leurs mémoires. Mais on doit se demander en quoi cette mémoire devrait nous affecter plus ou moins que celle de Napoléon – qui en touche une sans faire bouger l'autre à la majorité des Français, et d'autant plus s'ils ne sont pas Blancs. Ce n'est pas méchant ni contre lui, mais on s'en fout de Napoléon, alors pourquoi en aurait-on quelque chose à carrer de Vercingetorix ? … Plus sérieusement, il n'est que de se dire que cela fait partie de l'Histoire. Et surtout, sans historicisme, de faire preuve de dynamique et de volonté, en arrêtant les identifications à l'agresseur justes bonnes à susciter le psychodrame de petits moi « néopaïens » post-nationalistes à chier.
Bref, le préjugé romantique d'humiliation éternelle n'est bien qu'un préjugé, le préjugé des gens tristes se rejouant en boucle des souffrances masochistes. Tant qu'à faire dans les mouvements littéraires, pourquoi ne pas faire dans la science-fiction polythéiste-animiste ? Quelque part entre Shadowrun et Solarpunk, à vous de vous définir !
Le préjugé horrifié des humanitaires
Abordons à présent le sujet fâcheux, entre fafs et antifas. Le préjugé qui, selon la loi de Godwin, arrive fatalement quand un sujet s'élonge (or cet article ne s'élonge-t-il pas pour les besoins de sa cause ?), à savoir le moment nazi au XXème siècle européen. Cela horrifie tous les humanitaires, à bon droit : de mémoire d'hommes, on n'avait jamais disposé de tels moyens que ceux préposés par l’État-nation administratif rationnel post-napoléonien, doublé de toutes les techniques de management industriel, afin d'opérer un ethnocide. Car des ethnocides, hélas, il y en eut de nombreux depuis la Nuit des Temps : il n'y jamais eu de « bon sauvage » rousseauiste.
Il y en eut, certes, mais à relativement à petite échelle, à coups de lances et de couteaux si vous voulez : cela ne les rend pas moins dégueulasses, comme récemment entre Tutsis et Hutus africains. La réalité des ethnocides a même donné l'excellent scénario de Conan le Barbare … où c'est le barbare, qui est victime de l'ethnocide de son peuple, et qui cherche à le venger ! Ne soyons pas manichéens. Ou bien, autre exemple, le personnage du prince Van, dans les Visions d'Escaflowne.
Mais les nazis ont mis l'armada contemporain au service d'un tel projet : c'est vraiment dégueulasse, ils ont réalisé des économies d'échelle ainsi ! C'est démentiel. Car, autrement, Hitler n'aurait été qu'un énième César, Charlemagne ou Napoléon. Les nazis comparaient d'ailleurs leur œuvre à celle de Charlemagne : avec celle de l'antique Hermann/Arminius, cela fait deux figures réussies dans le nationalisme allemand !
Pour l'anecdote : les Français, qui se réclament encore une fois masochiquement d'un tel dano-hercynien Frank carolingien que Karolus Magnus/Charlemagne – et jusque dans leur nom de Français, ils reprennent le nom de Frank ! – les Français doivent se rabattre sur Jeanne d'Arc contre les Anglais, en plein cœur de la féodalité chrétienne. Une figure que leur clergé a pourtant mise à mort ! … le masochisme des nationalistes français n'a pas de limite.
Or donc, les nazis ont fait comme les antiques chrétiens : ils ont récupéré les mythes européens (Société de Thulé, vikings, etc.) – tout en s'alliant néanmoins avec des fascismes catholiques (Franco, Pétain, Mussolini) : cherchez l'erreur … – ils ont récupéré les mythes européens, pour les ravaler à leur racisme aryaniste pangermaniste. Une telle salade serait aujourd'hui qualifiée de complotiste à bon droit, mais elle ne se différencie pas automatiquement d'autres crédos, tels que ceux de l'actualisme commun – en dehors du point crucial du racisme, qui n'est théorisé que depuis le XIXème siècle contemporain.
Les problématiques des peuples ayant vécu des mythes et pratiqué les anciennes coutumes – religions ethniques européennes – tenaient moins du racisme que du clanisme ou de ce que l'on pourrait appeler à Rome, du citoyennisme. C'est-à-dire qu'on avait de la valeur à mesure qu'on appartenait au peuple ou à la cité. Autrement, il était tout à fait possible d'être recruté comme esclave, mais même à des membres du peuple ou de la cité, il était possible de tomber dans cette condition. Il s'agit de formes inhérentes à la survie, bien qu'elle prenne d'autres dimensions à mesure que le territoire s'étende et doive être administré rationnellement.
Ainsi, le suprémacisme impérial romain n'est pas relayé à un racisme, et de nombreux peuples s'associèrent avec des ressortissants étrangers, qu'ils incorporaient régulièrement, ou avec qui ils s'acculturaient à force d'échanges. Le principe est le même qu'en virologie, comme on dit de quelque chose qui fait le buzz qu'il est « viral » : il faut voir la mémétique de Richard Dawkins.
Bref, de même qu'avec le nationalisme, et dans sa continuité logique, le nazisme n'est qu'un préjugé horrifié des humanitaires, face aux résurgences des polythéismes-animismes européens. En fait, dans les conditions où l'universalisme hérité des Lumières pratiqua doublement le colonialisme (esprit civilisateur européanisant) et le décolonialisme (respect des nationalismes et patriotismes épars tout autour de la planète !) il est parfaitement logique que les résurgences « païennes » d'Europe, s'inscrivent dans la continuité de l'indigénisme.
Il ne viendrait aujourd'hui à l'idée de personne, par mesure décoloniale, de pratiquer l'accaparation culturelle d'une autre région du monde, et encore moins sa recolonisation territoriale de peuplement. Aussi est-il cohérent d'escompter ce même esprit de justice pour les religions ethniques d'Europe et leurs territoires. Mais il est singulier alors, que cela soit taxé de réaction conservatrice (jusqu'au nazisme ! en passant par le fascisme catholique …) puisque c'est précisément une éthique conservatrice, ou du moins traditionaliste, qui par exotisme bourgeois, incite au décolonialisme.
En conclusion, il faut comprendre que des migrations et des métissages ont toujours eu lieu dans l'Histoire humaine, mais jamais au rythme mécanique et électrique que nous connaissons, et avec de vastes bassins sédentaires immémoriaux, ayant ainsi l'écologie humaine de pouvoir absorber les évolutions ethniques. Répétons que les principes sont les mêmes qu'en virologie : une inoculation trop forte peut être létale, et à tout le moins morbide (pour l'inoculé comme pour l'inoculant). Ici, la seule vaccination possible, c'est la lenteur – car on ne cherche pas de vaccination absolue, ce qui serait plus qu'irréaliste : anti-réaliste.
Le nazisme fut ainsi anti-réaliste dans son projet, qui devait heureusement avorter ; le nationalisme est irréaliste, bien qu'il surnage. Néanmoins, il est surréaliste (au sens artistique du terme) de pratiquer des métissages de masse. Si l'Europe doit assumer son passif colonial, il est surréaliste de croire pouvoir lui faire absorber le cosmopolitisme planétaire en quelques générations … d'autant plus que c'est suprémaciste dans la démarche. D'un tel phénomène surgissent des aberrations séparatistes.
La scientificité d'un polythéisme-animisme contemporain : entre cosmisme et cosmicisme
Plus on y réfléchit, avec la résurgence tricentenaire du druidisme depuis la Grande Bretagne, la reconnaissance du druidisme dans ce même pays, ainsi que la reconnaissance de l'asatrú comme religion officielle en Islande et comme religion parmi d'autres en Norvège … plus on y réfléchit, plus on doit se dire que « dans l'absolu », la résurgence des polythéismes-animismes européens, religions ethniques … au-delà du pourquoi ? eh bien pourquoi pas ? …
Une telle absence de jugement de valeurs est épistémologiquement et méthodologiquement scientifique. Procédant d'un- ou suscitant peut-être un- éventuel nihilisme de fond, elle correspond à une option « païenne » : les Anciens Grecs, dont on connaît bien les mythes et autres thèses, ne posèrent-ils pas Khaos à l'origine – du moins chez Hésiode ? … or il s'agit moins d'un Désordre que d'une Béance sans bord, par-delà l'être et le non-être. Ou bien, la Tyché (destinée, aléa, chance) ne semble-t-elle pas au principe de toute vie humaine – qui décidera ensuite si elle doit en rire ou pleurer ? …
Alors, pour revenir à l'exemple de l'orage – phénomène météorologique et climatologique, provenant de différentiels atmosphériques, véritables générateurs électriques naturels – il devient tout à fait possible d'en goûter l'ampleur au travers d'un dieu viking tel que Thor, ou bien un sabbat de sorcières sur un Akelarre. Dans les deux cas, cela inscrit le pratiquant dans une cosmologie ou – pour le dire ainsi – un cosmisme/cosmicisme « païens ».
Voilà la différence avec le monothéisme, ses démonologie, hagiographie et angélologie – avec l'hébraïque démon Reshep, le chrétien saint Christophe ou l'islamique ange Ar-Râd. C'est-à-dire qu'à proprement parler, les monothéistes ne s'inscrivent dans aucune cosmologie ni aucun cosmi(ci)sme, mais plutôt un universalisme : la main du prétendu dieu totalitaire – serait-ce par le biais de ses saints ou de ses anges – n'appartient pas au cosmos. Elle est posée comme transcendante et absolue, totalement séparée : à proprement parler, elle n'entre pas dans la cosmologie.
Comprenons-nous. La notion de cosmisme vient des Russes Nikolaï Fiodorov et Vladimir Vernadski, encore au XIXème siècle contemporain. Il s'agit, pour commencer, d'une tentative de réinscription du monothéisme dans la modernité scientifique. La science surgissant du fond polythéiste-animiste à la Renaissance (période qui porte bien son nom), il était logique qu'elle injectât du cosmologique dans le monothéisme, et de toutes façons elle confronta le monothéisme dans ses certitudes dogmatiques universelles. Mais une telle mouvance que suggérée par la notion de cosmisme, reste éminemment non-monothéiste.
De plus, la notion de cosmicisme vient de la philosophie du grand écrivain américain H.P. Lovecraft. À la charnière des XIXème et XXème siècles contemporains, son écriture propose un cosmos irréligieux, peuplé d'entité incommensurables anhumaines, et terrifiques pour l'humain en cela même – entités cosmiques que Lovecraft nomme les Grands Anciens. Il s'agit littéralement d'un « polythéisme matérialiste », se déployant par un misérabilisme nihiliste (l'humanité n'est qu'une vanité dans le cosmos). Or ce misérabilisme nihiliste est un héritage monothéiste dans le matérialisme moderne, tout droit tiré du Livre de l'Ecclésiaste : « vanité de vanités, tout est vanité », agrémenté d'horreur si l'on peut dire – sublimation d'une horreur puritaine, face aux vieux fonds polythéistes-animistes natifs et vaudous américains, adapté à la sauce technique.
Et pourtant, sur la base des Anciens Grecs – leur philosophie comme leur esthétique, – il est possible de comprendre le cosmisme et le cosmicisme dans leurs « paganicités » fondamentales : il s'agit des tentatives plus ou moins (post-)monothéistes, de se resituer sur Terre. Mais le monothéisme ne définit personne par rapport à la Terre : il définit tout le monde par rapport au jugement dernier et à l'apocalypse, la vie future et sa résurrection – c'est-à-dire par rapport à des arrière-monde.
Les polythéismes-animismes ne créent pas d'arrière-mondes : ils s'inspirent et enrichissent le monde vécu. C'est aussi pour cela, que l'existentialisme, l'absurdisme et le personnalisme sont des philosophies à caractère monothéiste (Søren Kierkegaard, Antonin Artaud, Emmanuel Mounier, Albert Camus et Jean-Paul Sartre) : ce sont peur eux, en pleine époque contemporaine, des façons de se reconnecter au vécu – certes intellectualisées. Encore un pas, et nous voilà dans l'ontologie fondamentale, en remontant comme des saumons le courant de notre Tyché vers Khaos.
Pourquoi l'Antiquité (proto-)historique et périodes héritières ?
Reste une dernière question à élucider. Pourquoi se déterminer pour l'Antiquité (proto-)historique et périodes héritières – telle que l'ère viking pendant la féodalité, par exemple ? … Or, de même que pour la résurgence d'un polythéisme-animisme contemporain, il faut répondre pourquoi pas ? Mais, concrètement, il y a des éléments de réponse.
Le premier élément de réponse dépend littéralement de Khaos et Tyché : il se trouve que, de tous les éléments (proto-)historiques dont nous disposons, ce sont les périodes gréco-romaines, celto-nordiques et balto-slaves qui apparaissent. De la Béance des âges à travers l'Aléa terrestre, il ne nous appert que ces fonds traditionnels. Pour la Grèce et la Rome, c'est évident, qui nous laissèrent des témoignages écrits, recopiés même par des copistes islamiques durant la féodalité, tandis que l’Église s'élevait sur la ruine de Rome … mais il en va de même avec l'archéologie et la reconstitution celto-nordiques et balto-slaves : quelques témoignages gréco-romains et divers découvertes, sans parler de tout le merveilleux féodal, parlent pour une hérédité.
Il ne s'agit pas d'un romantisme comme avec les nationalistes, ou même autrement que les nationalistes. Ceci dit, c'est bien par romantisme non-nationaliste, que des personnes se prêtent aux polythéismes-animismes européens. Vraiment, pourquoi pas ? si ce sont les charmes des contes, des sorcières et des fées qui intéressent ? … Mais, de manière plus érudite dans la reconstructionnisme, il s'agit aussi de (néo)classicisme : pour les Gréco-Romains c'est limpide, dont la Renaissance s'inspira à l'âge classique. Ça l'est moins pour les Celto-Nordiques et les Balto-Slaves, et pourtant il s'agit littéralement d'enjeux classiques, à savoir qu'il faut « connaître ses classiques », connaître les Anciens sans jouer les Modernes querelleurs contre eux, pour qu'une résurgence ait lieu au-delà du romantisme.
Du Sort nécessaire
Cela dit, on serait injuste avec le « romantisme », si l'on ne pensait qu'il n'accouche que de romantisme. En effet, il s'agit réellement de la sociologie subculturelle de franges de la population « païenne » contemporaine. À vrai dire, c'est en partie par leur pivot hérité (les sorciers féodaux) et reconstitué (notoirement : les wiccans) que le « paganisme » contemporain vit.
La sorcellerie, sorcerie, witchcraft ou wirchery, avec tous ses exotismes et ses multiculturalismes voire transculturalismes contemporains, ses bizarreries et ses singularités entre les rayons de littérature fantastique et d'ésotérisme de piètre aloi, en librairie (jusqu'à ses récupérations pour des égéries féministes, quoiqu'il y ait des hommes dans l'affaire, jusqu'aux gourous sectaires hélas – et sans parler du new age qui trame tout cela) … la sorcellerie constitue la trame mutante et palpitante des polythéismes-animismes contemporains.
Il est impossible et inconvenant (inconvenant au sens de Cicéron) de faire l'impasse sur son Histoire. et il est même parfaitement logique d'estimer sans autre forme de procès, que tous les polythéistes-animistes contemporains sont de tels mutants-palpitants de nos jours.
Or ils le sont, dans leurs genres plus ou moins érudits, plus ou moins esthétiques, plus ou moins pratiques, plus ou moins stylistiques, plus ou moins ésotériques, plus ou moins écologiques, plus ou moins oniriques, etc. ad libitum, ad nauseam. Pour ne prendre que le plus emblématique en France : Pierre Marie Kerloc'h, grand druide du bosquet de Bretagne, héritier de la tradition tricentenaire depuis l’Écosse, est un tel sorcier, avec ses rituels francs-maçons et sa philosophie spinoziste … or il en va de même avec des fraternités plus obscures ou discrètes, s'inspirant même des derniers travaux de la recherche archéo/historique.
En effet, la recherche archéo/historique se veut neutre et, comme son nom l'indique, veut traiter d'objets et de gens appartenant au passé : elle n'a aucune vocation à relancer les mouvements « néopaïens » ou ethniques reconstitués, et il faut y faire des as-sort-iments, pour qu'aient lieu des résurgences …
Pour reprendre les mots de l'historiographe Hippolyte Taine, sans passion, dénués de toute implication malheureuse : la race, le temps et le lieu ont des siècles d'écart, quoique l'héritage dans l'imaginaire collectif et dans la sorcerie soit présent. C'est la Tyché qui veut cela, depuis le Khaos (proto-)historique.
C'est qu'il y a de l'avenir à inventer pour les polythéistes-animistes contemporains, « (néo)païens » actuels (l'usage de la notion de paganisme par la science reste absurde, puisqu'il provient du monothéisme contempteur). Un avenir, selon les affinités et les possibilités, entre Shadowrun et Solarpunk.
« Les Dieux y veilleront » … à condition que les hommes soient vaillants.

Source
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1Paganisme, c'est le terme que donnèrent les sociétés européennes, lors de leur développement monothéiste, à l'égard de leurs anciennes coutumes. Mais quand, des siècles plus tard, elles découvrirent les sociétés d'autres continents à travers la colonisation monothéiste, le développement scientifique, par naturalisme observateur, n'a plus dit paganisme. Il a dit : animisme. Reste que les Romains eux-mêmes, si administrateurs, avaient des nymphes et des limbes, des esprits de la nature, et que les Vaudous ont des dieux : les Romains sont des animistes et les Vaudous des polythéistes.
2Ce sera l'actualisme commun, par rapport à l'actualisme scientifique, selon quoi les découvertes scientifiques seraient valables en tout temps et en tout lieu de l'univers. L'actualisme commun se prétend soi-même valable en tout temps et en tout lieu, par préjugé ethnocentrique.
Article originalement paru sous Academia.edu
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