Les nanomatériaux : de l’ombre à la lumière
Les députés européens l’ont imposé : les nanomatériaux présents dans nos cosmétiques seront dès 2013 soumis à une obligation d’étiquetage. Et cela constitue une vraie avancée de la réglementation. Car si aujourd’hui ils sont bien présents dans nos produits, et même dans de très nombreux d’entre eux (crèmes solaires, déodorants, crèmes antirides, fards à paupières, soins pour cheveux, parfums…), les nano-ingrédients se font en revanche étrangement discrets sur les étiquettes. Cela n’a pas toujours été le cas, et cela ne le sera donc plus prochainement, mais leur passage de la lumière à l’ombre pour revenir sous les pleins feux de l’actualité mérite un petit décodage…

Ils ont d’abord été présentés comme des ingrédients révolutionnaires, vecteurs incomparablement efficaces des actifs anti-âge. On les revendiquait alors en caractères bien larges sur les étiquettes et on les vantait dans les publicités.
Les nanoparticules ont également envahi les crèmes solaires, permettant aux écrans minéraux (dioxyde de titane et oxyde de zinc) d’atteindre une taille suffisamment petite pour ne plus former de film blanc inesthétique sur la peau tout en continuant d’assurer une protection performante face aux rayonnements UV.
Puis, un jour, tout ce qui ressemble de près ou de loin au terme « nano » a disparu du discours cosmétique. Le mot a été banni des étiquettes, les argumentaires ont été réorientés vers les propriétés d’autres actifs, un lourd et grand silence a entouré ces si petites particules. Alors même qu’elles sont loin d’avoir été éliminées des formules. Pourquoi cette discrétion d’un coup ?
De la lumière à l’ombre
Un peu d’histoire. Les nano-ingrédients ont commencé à entrer dans la composition de nos cosmétiques (mais aussi de notre alimentation ou dans notre environnement) sans avoir fait réellement l’objet d’évaluations de sécurité pertinente, et sans tests épidémiologiques adaptés à leurs particularités.
Selon un schéma globalement identique à celui qui a marqué le développement des OGM, les nanomatériaux ont été découverts et mis au point, puis aussitôt exploités dans les produits de consommation courante. Les tests approfondis et les études poussées sur leur éventuelle toxicité, comme l’information exacte du consommateur et le débat public à leur sujet, étant remis par l’industrie à… « plus tard ».
Mais voilà : « plus tard »…, c’est maintenant. Et les premières expérimentations comme les conclusions des chercheurs qui les ont menées se sont révélées suffisamment alarmantes pour alerter les associations écologistes et de consommateurs, et bientôt l’opinion publique ou au moins une partie d’entre elle.
Réaction immédiate des fabricants de cosmétiques. On craint une réaction de défiance voire de rejet de la part des consommateurs, on a vu à quoi un tel phénomène peut mener avec les parabens et on ne veut pas rejouer la même partition : on ne parle plus de nanotechnologie.
Du moins officiellement.
Le mot disparaît ainsi des étiquettes mais les nanoparticules restent dans les formules. On les utilise mais on ne le dit pas. De la période où on informait le consommateur, certes mal, partiellement et sans disposer des données pertinentes de sécurité sur ces composés, on est passé à un temps de réelle dissimulation de l’information. On ne communique plus sur la technologie, ni même (et surtout) sur sa présence dans les produits.
La réglementation n’y obligeant pas (encore), les fabricants peuvent ainsi tout à fait légalement s’abstenir d’avertir leur consommateur, et éviter ainsi que l’inquiétude montante quant à l’innocuité des nanomatériaux ne rejaillisse sur leurs produits et éventuellement leur chiffre d’affaire... Une méthode assez facile pour ne pas avoir à affronter quelques questions embarrassantes. Qui n’en restent pas moins posées.
Les nanos, c’est quoi ?
Les nanomatériaux sont des molécules dont au moins une dimension (qu’il s’agisse de la structure externe – en « surface » – ou de la structure interne) est comprise entre 1 et 100 nanomètres (ou milliardièmes de mètre). Pour imaginer ce que cela peut représenter, on se souviendra qu’un globule rouge mesure environ 7000 nm…
On n’est pas dans réellement l’infiniment petit, plutôt dans l’ultra petit, mais cette ultra petite taille modifie considérablement les propriétés de la matière, amplifiant son comportement ou son apparence habituels (activité biologique, réactivité chimique, solubilité, résistance, mobilité, transparence…) ou changeant carrément ses caractéristiques.
Que leur reproche-t-on ?
Les premières inquiétudes datent du début de ce siècle. Et le premier cri d’alarme lancé par l’Association Les Amis de la Terre en 2006. Dans son rapport alors, elle citait déjà un nombre conséquent d’études incriminant les nanomatériaux dans des phénomènes toxiques pour les tissus humains ou les cellules : augmentation du stress oxydatif, production de radicaux libres et de cytokine inflammatoire, mutation et/ou altérations de l’ADN…
Plus les particules des nanomatériaux sont petites, plus leur activité est importante et plus le risque toxique serait fort.
Il est vrai que les données précises et exhaustives manquent encore pour évaluer justement le risque réel encouru au contact de ces substances. Mais de plus en plus de voix scientifiques semblent pencher vers la gravité, et travaillent à confirmer et compléter les premières données qui les ont alarmées sur le sujet.
Des effets nocifs des nano-ingrédients pour l’environnement, et notamment pour la faune aquatique (qu’elles peuvent atteindre par le biais de nos rejets de déchets, eaux usées après la toilette et autres bains de mer où on laisse à chaque fois un peu de produit cosmétique dans la nature), sont également fortement suspectés.
Les nanos traversent-ils la peau ?
Si la preuve a été apportée que des nanoparticules pouvaient pénétrer des cellules humaines comme les globules rouges, encore faut-il, quand elles sont présentes dans un cosmétique réservé à une application cutanée, qu’elles soient capables d’accéder jusqu’au dit globule (entre autres cellules). Or, théoriquement, les nano-ingrédients ne pourraient pas dépasser le niveau des couches superficielles de l’épiderme.
En pratique, il est probable que ces molécules ultra petites trouvent assez facilement leur chemin à l’intérieur de notre organisme : soit par ingestion (rouge à lèvres, dentifrices…), soit par inhalation (poussières de poudres, vapeurs parfumées…), soit encore par le passage de la barrière épidermique, et notamment en cas de lésions (même minimes) de la peau, comme cela peut être le cas en présence d’eczéma ou de boutons, de brûlure due par exemple à un coup de soleil, d’une micro-coupure résultant du rasage…).
Retour vers la lumière
D’étude inquiétante en résultat alarmant, et malgré la belle omerta pratiquée par l’industrie à leur sujet, les nano-ingrédients ont fini par attirer l’attention des autorités sanitaires et politiques. Plusieurs pays européens (dont la France depuis 2007) ont organisé une série de rencontres entre experts et grand public dans le cadre de Nanoforums, pour informer et ouvrir une réflexion sur la possibilité d’envisager une utilisation sécurisée des nanoparticules, sans susciter de méfiance trop importante de la part des consommateurs.
Et les députés européens viennent d’orienter la réglementation vers davantage de transparence, en faisant figurer, et pour la première fois, des obligations d’étiquetage et d’évaluation des nano-ingrédients dans le texte du nouveau Règlement européen, qui va remplacer la Directive cosmétique d’ici 2013.
C’est bien un retour vers plus de lumière pour les nanos. Et de la lumière douce et tamisée des argumentaires publicitaires et des revendications d’actifs révolutionnaires, on est passé à l’éclairage cru et vif des études scientifiques d’une part, des nouvelles exigences réglementaires d’autre part : évaluations de sécurité exigées avant toute nouvelle utilisation dans un produit et affichage obligatoire de la nature de la substance avec le préfixe « nano » ajouté au nom INCI de l’ingrédient dans la déclaration officielle des composants.
Pour l’industrie, ce retour sous les sunlights brûlants de la transparence est contraint et forcé. Pour les associations de consommateurs, il est positif mais encore bien insuffisant…
Le Règlement limite en effet son champ d’application aux nanomatériaux fabriqués intentionnellement, non solubles ou bio-persistants, et ne concerne de plus que les produits mis sur le marché à partir de l’entrée en vigueur effective de la nouvelle réglementation, ce qui, souligne le BEUC (Bureau européen des unions de consommateurs), exclut d’une part les autres nanomatériaux et d’autre part plusieurs centaines de produits cosmétiques déjà existants.
Principe de précaution
En attendant l’application du nouveau Règlement (qui permettra malgré les quelques réserves qu’on peut lui apporter d’identifier de nombreux nano-ingrédients), et tant que rien n’oblige les fabricants à signaler leur présence sur l’étiquette, comment faire jouer le principe de précaution à titre personnel ?
Pour les crèmes solaires, on peut choisir systématiquement celles formulées avec des écrans minéraux et qui laissent un léger film blanc sur la peau à l’application. Pas très esthétique, peut-être, mais signe que les particules n’ont pas été réduites au point d’atteindre la barre des 100 nm, et donc moins suspect de dangerosité.
Pour les autres types de cosmétiques, la manœuvre est nettement plus complexe. Car rien, dans la texture ou à l’application, ne différencie un produit qui contient des nano-ingrédients d’un autre qui n’en contient pas.
Le seul recours pour être sûr de ne pas se tromper sur ce point est de se tourner vers le bio, dont toutes les chartes aujourd’hui interdisent le recours à ces composés. Attention tout de même pour les produit certifiés par Écocert : mieux vaut s’assurer que la formule a été certifiée après le 1er janvier 2008, puisqu’avant cette date, les nano-ingrédients étaient admis dans les cosmétiques bio.
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