Les trois sources d’amélioration du système de santé selon Pr Karine Lacombe
« Avant de se jeter dans le péril, il faut le prévoir et le craindre : mais quand on y est, il ne reste plus qu’à le mépriser. » (Fénelon, 1699).
Ce mardi 30 juin 2020 en fin d’après-midi, l’ancienne Ministre de la Santé Agnès Buzyn a été auditionnée par la mission parlementaire d’information créée le 17 mars 2020 sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de coronavirus-covid-19. Cette très longue audition est intervenue après une autre audition très médiatisée, celle du professeur Didier Raoult le mercredi 24 juin 2020 dans l’après-midi. Je souhaiterais évoquer une autre audition, qui m’a paru intéressante bien que moins médiatisée : celle de la professeure Karine Lacombe le matin du jeudi 25 juin 2020.
Karine Lacombe fait partie de ces médecins chercheurs qui ont vu leur notoriété bondir auprès du grand public à l’occasion de la crise sanitaire. Elle est presque l’exact contraire de Didier Raoult : elle répond sans polémiquer, avec des termes précis, donne des arguments sur ce qu’elle avance et ose même s’aventurer sur des terrains qui pourraient lui être hostiles (comme sur les relations qu’elle peut avoir avec des entreprises privées, tous les liens sont d’ailleurs déclarés au centime de note de frais près, puisque c’est la loi depuis plusieurs années, tout est consultable sur Internet).
À 50 ans, Karine Kacombe est arrivée à un moment de sa carrière plutôt privilégié : on peut même imaginer qu’elle puisse susciter un peu de jalousie auprès de confrères qui auraient eu moins de succès. Bonne pédagogue (comme beaucoup dans la recherche médicale, elle est professeure des universités, médecin et chercheuse), elle a été appelée dans les médias à utiliser son talent de transmetteur de savoirs pour expliquer et faire comprendre cette nouvelle maladie qu’est le covid-19 et son évolution. Elle a fait ses études de médecine à Grenoble, a ensuite travaillé à l’Université Pierre-et-Marie-Curie (Paris-6), et depuis 2019, elle est cheffe du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Infectiologue réputée, elle est spécialisée dans la recherche sur le VIH et sur les hépatites, en particulier hépatite C pour laquelle elle a beaucoup communiqué dans les colloques internationaux.
Elle aussi porte la blouse blanche, elle non plus ne semble pas atteinte par le besoin des paillettes, elle aussi, elle soigne des patients et les connaît. Je m’arrêterai là car l’idée ici n’est pas de faire une comparaison avec un autre mandarin, l’impression qu’elle m’a donnée lorsqu’elle s’est exprimée aux députés de la commission, c’était une femme ultracompétente, très respectueuse de l’institution parlementaire. Et en l’écoutant, je me disais qu’il y avait encore du chemin à parcourir pour que la formule de Françoise Giroud sur l’égalité entre les hommes et les femmes soit applicable. En effet, elle disait en substance qu’il y aurait cette égalité le jour où l’on nommerait à un poste à grande responsabilité une femme incompétente. Indiscutablement, ce n’est pas le cas de Karine Lacombe !
Karine Lacombe a en particulier évoqué ses propres essais cliniques (qui, je le rappelle, sont systématiquement réalisés avec l’accord des patients et sous le contrôle du comité d’éthique), des essais en collaboration avec l’Inserm et l’Établissement français du sang : son axe de recherche reprend une méthode traditionnelle qui peut fonctionner (mais pas toujours), la transfusion du plasma sanguin de malades guéris. En effet, ces anciens malades ont développé des anticorps contre le coronavirus qui peuvent ainsi aider les nouveaux malades à lutter contre le coronavirus. Elle a expliqué que les premiers résultats étaient encourageants mais qu’il n’y avait presque plus de patients à tester. Elle envisageait de créer une structure à Mayotte ou en Guyane où l’épidémie fait encore rage. Elle a également expliqué qu’ont été stockées 5 000 unités de tel plasma sanguin, et que l’autorité de santé a décidé d’arrêter le stockage pour le moment (ces unités ont une date de péremption, je ne me rappelle plus la durée de conservation, de l’ordre de six mois ou un an).
Par ailleurs, si Karine Lacombe a donné quelques résultats d’autres essais cliniques qui n’ont pas été encore publiés, c’était en précisant que les informations qu’elle donnait avaient déjà été présentées publiquement d’une manière ou d’une autre. Tout dans son expression respirait la rigueur, de fond comme de forme (ce qui est rassurant pour un médecin). Cela dit, je n’évoquerai pas les traitements testés, puisque, à l’heure actuelle, aucun de ces traitements (que ce soit l’hydroxychloroquine ou le remdesivir ou d’autres) n’a vu son efficacité prouvé pour traiter le covid-19.
J’évoquerai dans sa prestation un élément triple très intéressant : parce qu’elle est une femme qui cherche à améliorer l’avenir, elle a formulé trois dysfonctionnements dans la gestion de la crise, et donc, trois propositions pour rendre plus efficace le système de santé.
Auparavant, j’évoque aussi deux points de son audition qui m’ont paru intéressants à relever.
Le premier point, crucial, c’est la situation dans les EHPAD ou dans les services de réanimation des hôpitaux. C’est un témoignage important qui a son poids vu sa compétence. Elle a affirmé qu’en tant que cheffe de service à l’hôpital, elle n’a reçu aucune consigne, écrite ou orale, pour refuser l’entrée en réanimation de personnes atteintes du covid-19 en raison de son âge ou de ses pathologies. C’est important car il y a eu beaucoup de désinformation sur le sujet. Que ce soit en EHPAD ou à l’hôpital dans d’autres services, tous ceux qui ont eu besoin d’être hospitalisés en service de réanimation l’ont été. C’était la raison pour laquelle, d’ailleurs, au sommet de la crise, on a fait des transferts de centaines de patients d’un hôpital d’Île-de-France ou du Grand Est vers d’autres régions ou même d’autres pays qui ont accepté de les accueillir. En gros, il y a eu au sommet du pic 7 500 personnes en réanimation, en période normale, la France avait une capacité maximale de 5 000 lits en réanimation et toutes les équipes soignantes ont agi pendant des semaines pour avoir 10 000 lits disponibles. Le système de santé a donc tenu même s’il est améliorable. C’était Agnès Buzyn, juste avant sa démission, le 14 février 2020, qui a mis le système de santé sous tension (avec annulation des opérations programmées non urgentes, etc.).
En revanche, il y a une réelle réflexion lorsqu’un patient très âgé doit aller en réanimation. La réanimation est une douleur pour le corps et l’esprit, cela nécessite beaucoup d’énergie et la personne est complètement isolée, sous sédation (donc n’a plus de conscience), la famille éloignée. Lorsque, pour les personnes très âgées, les chances de s’en sortir sont proches de zéro, alors, comme dans la période d’avant-covid-19 (ce n’est pas une nouveauté, c’est l’application de la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie), il y a une décision collégiale avec consultation de la famille et il est décidé généralement de faire entrer la personne en soins palliatifs au lieu de la réanimation. Sa fin de vie sera alors beaucoup plus douce. On peut toujours trouver contestable une telle décision, c’est pour cela qu’elle est collégiale et que la famille prend part aussi à la décision, mais ce n’est pas spécifique au traitement du covid-19 et dans tous les cas, cela est complètement indépendant du nombre de lits disponibles en réanimation (c’était très différent en Lombardie où beaucoup d’hôpitaux, pris de court, ne disposaient pas assez de lits en réanimation). C’est important de bien comprendre qu’il n’y a jamais eu d’euthanasie dans les EHPAD, mais des soins palliatifs. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu du manque de personnel et d’équipements, pour réduire le taux de contamination beaucoup trop élevé dans certains établissements.
Le second point, plus anecdotique mais à noter : parce qu’elle a été souvent interviewée dans les médias et qu’elle prônait des opinions proches du gouvernement, Karine Lacombe a été considérée souvent comme représentante du gouvernement. Lors de son audition, elle a tout de suite déclaré que ce n’était pas le cas, qu’elle était une chercheuse indépendante, et pour preuve, elle a expliqué qu’elle n’avait alors aucun contact avec le gouvernement, sauf un contact téléphonique de trois minutes avec le Ministre de la Santé Olivier Véran qu’elle avait régulièrement comme cheffe de service pour donner le pouls de l’épidémie dans son service, lorsque le vendredi 27 mars 2020, on l’a appelée de Matignon pour faire un exposé le lendemain sur l’état de l’épidémie. Elle n’a évidemment pas refusé (qui refuserait une telle demande, hors provocateur rebelle ?) et on l’a vue ainsi participer à la longue conférence de presse du Premier Ministre Édouard Philippe dans la soirée du samedi 28 mars 2020, aux côtés d’Olivier Véran et du professeur Jérôme Salomon (le directeur général de la santé).
Venons-en au sujet principal : au fil des questions et réponses de son audition, Karine Lacombe a relevé trois sources d’amélioration dans le système de santé (et de recherche médicale). Elles ne sont pas nouvelles ni forcément très originale, mais elles ont eu le mérite d’être formulées intelligemment et de manière très constructive, et cela dans une instance officielle et même suprême : là où l’on fait la loi.
1e source d’amélioration : mieux impliquer les médecins de ville
Agnès Buzyn a affirmé que dès le 14 janvier 2020, les médecins de ville et les établissements médico-sociaux étaient informés et alarmés au même titre que les services hospitaliers de l’état d’avancement de la pandémie (à une époque où il y avait encore très peu de cas en Chine). Néanmoins, dans le protocole ultérieur pour dépister les cas dans les foyers de contamination (la "technique coréenne"), la réalisation des tests virologiques devait se faire dans des laboratoires de type P3 (très peu nombreux) pour éviter au maximum la contamination. De même, chaque personne dépistée positive était isolée et traitée à l’hôpital, et la consigne a été qu’en cas de suspicion de covid-19 (état grippal, fièvre, etc.), il ne fallait pas se rendre chez les médecins généralistes ni aux services d’urgence des hôpitaux (pour éviter les contaminations), mais appeler le 15 pour avoir un accueil spécifique covid. C’était possible jusqu’au milieu de février quand le virus ne circulait pas, mais après la réunion de Mulhouse, le nombre de cas s’est multiplié et il était impossible que les hôpitaux prissent en charge tous les malades sans forme sévère.
Ce n’était donc qu’à partir du début du mois de mars que les médecins généralistes ont commencé à ausculter des malades du covid-19, et cette implication a permis d’ailleurs de se rendre compte d’autres symptômes cliniques qui n’étaient pas encore évoqués, comme la perte de goût et d’odorat, ou des diarrhées (le coronavirus ne s’en prend pas qu’au système respiratoire), etc. Or ces symptômes sont souvent ceux de malades qui n’ont pas développé la forme sévère, et les hôpitaux ne connaissent que les cas graves.
La crise sanitaire a d’ailleurs fait apparaître un fossé entre la médecine hospitalière et la médecine de ville. Les essais cliniques sont difficilement réalisables en ville pour une raison simple : c’est beaucoup plus dur de suivre un patient en ville qu’à l’hôpital où il est installé dans une chambre d’hôpital avec un suivi quotidien, tandis que le patient de ville peut ne plus donner signe de vie, ou du moins, de nouvelles, après la première consultation (c’est toujours le cas pour des maladies bénignes comme la grippe). Peut-être faudrait-il imaginer un système facile et rapide, une application sur Internet, pour que le patient continue à donner des nouvelles (bonnes ou mauvaises) à son médecin de ville pour avoir une idée, par exemple, de l’évolution de son état et de l’efficacité et de la rapidité d’un traitement ? (Cette idée est de moi et pas de Karine Lacombe qui n’a fait que souligner des faiblesses à corriger).
2e source d’amélioration : la recherche médicale en Europe
En tant que scientifique avec des programmes de recherche internationaux, Karine Lacombe a été confrontée, pendant cette crise, à une véritable difficulté lorsqu’il fallait mettre en place un programme d’essais cliniques européen. En effet, selon elle, il manque une structure (une agence) européenne chargée de coordonner les programmes de recherche européens en faisant la liaison entre les différents pays impliqués. Si la santé ne fait pas partie des prérogatives actuelles de l’Europe, la recherche scientifique, en revanche, si. Le risque, c’est de rajouter une couche bureaucratique. Il faut donc une structure souple, légère, et surtout, efficace.
3e source d’amélioration : produire localement les médicaments
C’est sans doute la difficulté qui a été tout de suite détectée avec la crise, le fait que toutes les productions des équipements, médicaments se fassent en Chine, si bien que lorsque la Chine est confinée, les usines ne tournent pas et il n’y a plus de fournitures. Il est donc essentiel d’assurer une souveraineté sinon nationale au moins européenne sur la production de produits stratégiques, comme les masques, les médicaments, etc. On peut d’ailleurs voir que les pays qui ont gardé encore une force industrielle ont pu rapidement se doter de tests PCR, masques, etc. (Chine, Russie, Allemagne, États-Unis, etc.).
L’audition d’Agnès Buzyn a confirmé d’ailleurs ce problème majeur qui aurait cependant pu être anticipé : ses premières commandes datent du 28 janvier 2020 et du 4 février 2020, mais ce qu’elle n’imaginait pas, c’est que la production était arrêtée ou dans l’impossibilité d’être transportée par avion (il faut un mois en cargo !). Et comme l’a expliqué Agnès Buzyn, il n’y a pas que les masques et les tests comme produits stratégiques, mais des dizaines d’autres (comme l’iode en cas de catastrophe nucléaire) dont il faudra créer des filières européennes rapidement.
C’est autour de cet objectif, retrouver une souveraineté industrielle, que le Président Emmanuel Macron devrait axer la dernière année et demie de son mandat, c’est crucial et compatible avec le besoin de créer des emplois.
Sur la forme, Karine Lacombe n’est jamais sortie de son rôle, elle est une praticienne et une scientifique, elle n’est pas une politique et n’a aucun conseil à donner aux politiques. À chacun son rôle. En revanche, la praticienne a pu exprimer ses difficultés et poser finalement quelques jalons pour améliorer le système de santé dont le salut ne peut pas se réduire à la seule augmentation de ses crédits. Sa réorganisation est elle aussi une nécessité vitale.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 juin 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Karine Lacombe.
Claude Huriet.
Didier Raoult.
La Charte de déontologie des métiers de la recherche (à télécharger).
Hydroxychloroquine : l’affaire est entendue…
Madagascar : la potion amère du docteur Andry Rajoelina contre le covid-19.
Rapport de Jean Castex sur le plan de déconfinement le 6 mai 2020 (à télécharger).
Protection rapprochée.
Discours de Claude Malhuret le 4 mai 2020 au Sénat (texte intégral).
Covid-19 : les trois inepties du docteur Claude Malhuret.
11 mai 2020 : Stop au covid-19 ! (et traçage ?).
Discours du Premier Ministre Édouard Philippe le jeudi 7 mai 2020 à Matignon sur le déconfinement (texte intégral).
Professeur mégalo (vidéo).
Covid-19 : où est l’Europe de la Santé ?
Michel Houellebecq écrit à France Inter sur le virus sans qualités.
Unitaid.
Déconfinement : les départements verts et les départements rouges, la confusion des médias…
Didier Raoult, médecin ou gourou ?
Le déconfinement selon Édouard Philippe.
Covid-19 : le confinement a sauvé plus de 60 000 vies en France.
Du coronavirus dans les eaux usées ?
Le covid-19 n’est pas une "simple grippe"…
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