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Accueil du site > Actualités > Santé > Sacrifier la recherche, un pari à courte vue

Sacrifier la recherche, un pari à courte vue

Il est assez rare que la communauté mondiale des chercheurs exprime son unanimité. La récente décision des laboratoires AstraZeneca de réduire rapidement son département recherche et développement aura eu cet effet inédit. En dévoilant pour la troisième fois en cinq ans les contours de son plan de réduction d’effectifs, le laboratoire pharmaceutique a fait naître un sentiment général d’exaspération et d'inquiétude qui va bien au-delà des seuls salariés touchés, et qui a été relayée par des spécialistes parmi les plus éminents.

Se dérober devant l’obstacle, refuser d’affronter ce qui est défini communément comme « le problème de santé crucial du 21ème siècle », c’est-à-dire réduire la voilure des projets de « recherche et développement » : pour beaucoup d’entre eux, les laboratoires pharmaceutiques adoptent la même ligne de management et d’investissement qu’ AstraZeneca. En laissant de côté une question majeure : quid des traitements pharmacologiques à l’horizon 2020-2025 ?

Le reformatage des services recherche et développement est mis en place depuis une dizaine d’années. Les laboratoires pharmaceutiques considèrent que leur âge d’or est derrière eux. La décennie 1990-1999 a été faste, avec en moyenne plus de 30 nouveaux produits mis sur le marché. Pour les acteurs du secteur, 1996 reste en mémoire comme un pic, avec 54 nouveaux médicaments proposés. La décennie suivante marque un essouflement avec 24 médicaments proposés en moyenne, et celle qui s’annonce devrait confirmer un net ralentissement.

Pour autant, la branche industrielle de la pharmacologie continue d’afficher une excellente santé financière. Née en1999 de la fusion du suédois Astra avec le britannique Zeneca, le profil d’AstraZeneca est assez emblématique du secteur : un chiffre d’affaire en constante augmentation (+4% pour 2010), une présence dans plus de 100 pays avec plus de 60 000 collaborateurs… Le laboratoire est passé de la septième à la cinquième place parmi les "Big Pharma". Ce n’est donc pas en arguant de résultats économiques médiocres que les grands laboratoires, comme Merck ou Pfizer, sabordent leurs divisions recherche. Leur raisonnement est fondé sur d’autres motifs.

En premier lieu, l’ensemble des laboratoires de pharmacologie considèrent que jamais le processus de recherche n’est devenu aussi long et coûteux. Enserrée dans un protocole extrêmement contraignant, la recherche est un processus de moyen terme : il s’écoule en moyenne une quinzaine d’années entre la première piste scientifique et sa concrétisation sous forme de médicaments présents dans les officines. A cet étau en amont, les laboratoires mettent aussi en avant un carcan législatif et réglementaire de plus en plus strict.

En second lieu, la demande de nouveaux médicaments porte dorénévant sur des domaines complexes, qui font appel non seulement à la chimie pure mais aussi aux nouveaux domaines du savoir. Clairement mis en avant au cours du Congrès annuel de l’ECNP au mois de septembre dernier à Paris, l’enjeu actuel de santé publique porte massivement sur la question de la santé mentale. Avec d’une part l’allongement de la durée de la vie qui fait émerger de nouvelles pathologies de masse (démence sénile, maladie d’Alzheimer…) et d’autres part l’identification de facteurs sociétaux pathogènes (stress, angoisse, addiction ou troubles du sommeil), la demande de pharmacologie se focalise sur les troubles neurologiques, les plus délicats à traiter. Elle exige des investissements lourds que les laboratoires de pharmacologie refusent désormais de porter seuls.

Enfin, les politiques de santé défendues et mises en place par les gouvernements en Europe et dans l’ensemble des pays développés depuis une dizaine d’années favorisent la consommation des médicaments génériques et déremboursent nombre de produits. Justifiées par des considérations d’équilibre des finances publiques, ces deux axes sont contestés par les laboratoires qui voient leurs perspectives de profit ralentir à terme, et mettent en avant une équation imparable : moins de profits, donc moins d’investissement, donc moins de recherche…et donc moins de « trouvailles ».

En réplique à ce chemin dessiné par les Pouvoirs publics, Abott supprime 800 emplois de chercheurs au Pays-Bas et en Allemagne, MSD ferme six unités de recherche en Europe. AstraZeneca opte pour une stratégie plus abrupte et plus surprenante encore : l’entreprise s’apprête à externaliser presque totalement son activité de recherche. Pour son département de recherche sur les neurosciences, la firme anglo-suédoise ne conserve qu’une cinquantaine de chercheurs qui mèneront leurs travaux en partenariat avec un réseau d’interlocuteurs académiques et industriels. Au risque de la dispersion et de la dilution, considèrent la plupart des spécialistes, qui perçoivent dans le retrait d'AstraZeneca un dispositif économique à courte vue au détriment de la santé publique, soit une forme de démission, ou de représaille à l'encontre des pouvoirs publics, c'est selon...

Produire vite, produire dans le seul objectif de la rentabilité économique immédiate ne peut être une ligne d’horizon pour l’ensemble de l’industrie pharmaceutique. A elle seule, l’émergence de la question de la santé mentale pour le demi-siècle à venir contredit cette stratégie. Il y a là un faux calcul économique. En sacrifiant à une analyse de court terme, les laboratoires assèchent d’emblée le potentiel de leurs profits futurs : de nouveaux traitements proposés leur assureront une véritable manne financière. Mais, plus que tout, il y a là une dimension éthique des laboratoires et de leurs partenaires. Déserter le champ de la recherche neurologique, c’est aussi fragiliser la santé publique, c’est à dire le bien-être de chacun. C’est faire peu de cas de la responsabilité citoyenne d’un secteur qui doit avoir, en théorie du moins, le bien-être humain au coeur de son projet.

 

Pour en savoir plus :

AstraZeneca coupe dans ses effectifs mais pas dans ses dividendes, L'Agefi, Février 2012


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5 réactions à cet article    


  • jef88 jef88 6 juin 2012 13:42

    Et aux USA ?
    Ils vont recupérer les (futurs) marchés ???


    • easy easy 6 juin 2012 16:24

      Je ne vous disputerai rien.

      Mais je tiens à mentionner quelque chose qui a forcément une incidence dans ce sujet : Le Crédit Impôt Recherche

      Depuis 1983 l’Etat s’est mis à rembourser 25% des dépenses en RD des entreprises. Il y avait des idées de grandeur dans l’air, la France devait pondre des brevets en veux-tu en voilà, il fallait donc soutenir les entreprises dans leurs dépenses en RD.

      Plus exactement, ce remboursement des 25% était OK pour la première année mais l’année suivante, les entreprises qui en avaient bénéficié ne pouvaient obtenir un remboursement de 25% que sur leurs surdépenses ./. à l’année précédente. 
      1 million de dépensés chaque année en RD n’offrait qu’un seul remboursement de 250 000 la première année ensuite plus rien. Pour profiter chaque année de cette subvention, il fallait dépenser de plus en plus en RD. 

      D’autres pays en ont fait à peu près autant.

      Pour présenter son dossier de remboursement à l’Etat, l’entreprise doit montrer que ses dépenses exposées sont 100% relatives à la RD. Il n’est en principe pas question de se faire rembourser l’achat ou l’amortissement d’un chariot élévateur qui sert en réalité à la production. Pas question non plus de se faire rembourser les salaires d’un ingénieur ou jardinier qui bosse en réalité à la production ou au commercial.
      Les entreprises ont donc rusé pour faire glisser des dépenses de production ou de marketing dans le poste RD afin de se les faire rembourser. (Même des ratés de productions ont été affectés en « essais de RD » 



      Mais en 2006, parce que les entreprises dépensant chaque année le même budget en RD protestaient de n’être plus aidées, on a convenu de les rembourser sur la base de leurs dépenses, peu importe qu’elles soient en hausse, égales ou en baisse.

      Nous étions le seul pays à être si généreux et bien des étrangers ont trouvé intéressant de s’installer ici.

      Pire.
      Jusque là, même après 2006, les montants de remboursement étaient plafonnés (disons à 100 millions d’Euros par entreprise et par an)

      Or après 2006, les remboursements ont été déplafonnés.

      Pire encore.

      Ce n’était plus 25% que l’Etat remboursait aux entreprises mais 50% !


      En somme, si chaque année Aventis dépensait un total de 800 millions en RD, l’Etat lui envoyait un chèque de 400 millions.

      Il y a même eu des possibilités de se faire rembourser par l’Etat avant d’avoir effectué la dépense !


      Ce remboursement par l’Etat s’effectue au vu du rapport des dépenses en RD que lui remet l’entreprise. Comme c’est très technique, personne à Bercy n’étant assez compétent pour comprendre la différence d’usage entre 100 kilos de barydisulfate et 20 grammes d’hydroxynucléoazimuthé, Bercy signe des chèques les yeux bandés.
      Un PDG peut placer un bon ami à une place bien grasse en RD, même si elle est archi fictive, Bercy ne peut rien redire. Quand un patron a une bonne paire de pantoufles à offrir à quelqu’un c’est en RD puisque son salaire, ses déplacements, ses voyages « de recherche » tout y sera remboursé à 50% par l’Etat.

      Quand l’équipe très spéciale (externe souvent), constitue le dossier de CIR annuel, elle peut inscrire sur la liste des dépenses de RD une poignée de directeurs parfaitement déclarés et régularisés à l’URSAFF, qui disposent d’un bon contrat de travail, mais qui n’ont jamais mis les pieds ni en RD ni même dans l’entreprise. Ce rapport n’étant lu par personne que le PDG de l’entreprise, étant envoyé directement à Bercy, personne de l’entreprise ne peut dire « C’est bizarre, ce directeur là , je ne l’ai jamais vu en RD »

      Bercy peut poursuivre avec pugnacité un patron pour un plein d’essence effectué un WE mais capituler complètement devant un dossier de demande de remboursement RD pesant 1 milliard. Et Bercy d’avouer piteusement que le CIR n’est pas sur son axe de vérification. On s’en serait douté. 


      L’Etat subventionnait donc 50 % de la RD française qui, ainsi engraissée, ne recherchait probablement plus autre chose que de nouvelles pantoufles.


      Vous imaginez bien que l’Etat finançant aussi généreusement la recherche ne pouvait pas, en plus, continuer d’accepter de rembourser les médocs issus de cette recherche quel qu’en fût leur prix.


      Il y a eu énormément d’abus. Mais comme les seuls qui pourraient nous les révéler sont ces personnels qui bossaient à la RD et qui en profitaient, nous n’en saurons jamais rien.

       

      Toujours est-il qu’en 2011, il y a eu réforme de ce principe, resserrrage de vis et que la nouvelle donne du CIR a forcément joué dans les calculs des entreprises et en tout premier lieu de celles de la pharmacie.



      • Xtf17 Xtf17 6 juin 2012 19:49

        @ l’auteur et aux lecteurs, pour être passé par là je confirme intégralement.
        J’ai eu l’opportunité de quitter l’industrie pharmaceutique et notamment AstraZeneca après y avoir travaillé comme chercheur quelques temps. Sans regrets.
        J’ai pu continuer à exercer mes compétences de chercheur dans un autre domaine (qui va un peu mieux mais pour combien de temps ?), mais ma femme avec un parcours similaire s’est carrément réorientée après 9 ans d’études et ce constat d’une industrie dans un état lamentable et qui comme ailleurs exploite ses salariés pour le profit unique de ses actionnaires.

        Heureusement il y a beaucoup à (ré)apprendre sur des traitements plus traditionnels qui utilisent des plantes, des huiles essentielles... pour lesquels les recherches récentes ont démontrer de nombreuses activités. Mais bien sûr ces produits accessibles, que l’on peut fabriquer presque chez soi pour certains, ne peuvent offrir aucune rentabilité à deux chiffres à des actionnaires...


        • crazycaze 7 juin 2012 00:49

          Le budget consacré à la RD baisse de façon continue dans tous les secteurs depuis près de 15 ans, ce n’est pas une réalité propre à la seule recherche pharmaceutique. Elle est liée non seulement à une vision purement comptable de la gestion, à savoir attirer davantage d’actionnaires en favorisant davantage les devidendes que les RD. Mais aussi en faisant financer une partie des coûts de la recherche par les états, donc par les contribuables. En effet, en favorisant la collaboration entre l’enseignement supérieur et les entrreprises privées, ce qui était recherché c’est d’obtenir à moindre coût le fruit du travail des chercheurs. En distillant quelques clopinettes pour financer thèses et quelques investissements, le secteur privé s’approprie les résultats (les brevets) tout en ne finançant qu’une infime part des investissements réels, le reste, infrastructure, jeunes chercheurs talentueux corvéables à merci mais non salarisés, restant à la charge des états. Nous avons été nombreux à dénoncer ce qui se dessinait, mais en vain. Des chercheurs ont même démissionné de postes prestigieux comme par exemple M. Bourguignon de l’INRA pour s’être aperçu de ce marché de dupes. D’autres ont même vu leur labo, leur travail et leur poste supprimé en quinze jours pour s’être opposé à des firmes comme Monsanto parce que les résultats de leurs études n’allaient pas dans le sens voulu par le pouvoyeur des mannes devenu plus essentiel que l’intelligence, le talent, l’indépendance et l’éthique de ces chercheurs. Tout ceci est cohérent avec la doctrine de ce capitalisme crapuleux et amoral qui sévit partout, priivatisation des bénéfices, nationalisation des pertes. On peut aussi le constater dans les relations entre hôpitaux publics et cliniques privées. La plupart des investissements lourds est très majoritairement assumée par le secteur public, en revanche tout ce qui est rentable est récupéré par le secteur privé. 


          • Pharmafox 8 juin 2012 13:18
            Je lisais que jusqu’aux Etats-Unis, les chercheurs étaient choqués de la fermeture du centre de Reims consacré au cancer, tant les équipes ont bonne réputation.

            Parmi d’autres : le site de Serono en Suisse (Merck). Plus discutable, car lorsque Merck a acheté Serono, c’était une coquille vide dont la seule valeur tenait aux accord qu’elle avait passé avec d’autres biotechs. A moins d’un miracle, la fermeture avait quelque chose d’inéluctable. C’est sans doute ce qui avait poussé Bertarelli à vendre.

            Quant au site de Novartis à Nyon a été sauvé par la pression de la rue, et les menace de boycott par les médecins (pour le coup assez bête de leur part : les médicaments de Novartis sont des incontournables).

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