Après l’évasion fiscale, l’évasion sociale… Peut-on quitter la Sécu ?
Libre choix d’assurance santé. La question, au coeur des problématiques économico-politiques actuelles, est passionnante.
A la clé, des économies substantielles pour les indépendants non salariés, qui calculette à la main, font les comptes et trouvent plus avantageux de s’assurer par des compagnies d’assurance européenne privées. Ces dernières développent et proposent dorénavant des formules adaptées à ces expat’s d’un autre genre. Pour prendre un exemple concret, pour plus de 1000 euros / mois de cotisations couverture maladie, CSG, CRDS (calculées sur un pourcentage des revenus)… on tomberait à 300 euros voire moins pour une couverture « annoncée » comme identique. Ne resterait à charge que l'URSAFF.
On compterait déjà actuellement environ 10 000 français, résidents et travaillant sur le territoire, affiliés auprès de 3 grandes sociétés d'assurance privées européennes.
La diffusion médiatique croissante (RMC Eric Brunet, Valeurs actuelles, Le Cri du Contribuable, Atlantico...) contribue d’ailleurs grandement à accélérer ce phénomène : la plupart des indépendants (artisans, auto entrepreneurs, médecins…) qui, de par leur régime spécifique, sont particulièrement taxés (au même titre qu’une entreprise le serait pour l’assurance de ces salariés), et parfois en difficulté financière, rêveraient de pouvoir récupérer une partie de leur charge, quitte à faire une entorse à la solidarité nationale.
Transposition de directives européennes
Le fondement juridique de cette possibilité est complexe : le 19 avril 2001, sans l’ombre d’un débat parlementaire, la France a voté « la fin du monopole des organismes de protection sociale » (Ordonnance de Lionel Jospin) sous pression de la Communauté Européenne exhortant la France depuis 1992, sous peine de sanctions financières, à transposer deux directives européennes sur l’ouverture à la concurrence des organismes de protection sociale.
Partant de ce constat, certains groupements libéraux affirment discerner dans ces évolutions juridiques les signes de la fin du monopole de la Sécurité Sociale et militent inlassablement pour casser l’idée selon laquelle il serait obligatoire d’y cotiser. Selon eux, le jeu de la concurrence pourrait permettre aux usagers d'obtenir un meilleur rapport couverture/cotisations et ainsi doper la croissance française. A la tête de ces mouvements, plusieurs leaders issus du monde médical, Claude Reichman (fondateur du mouvement MLPS (Mouvement pour la Liberté de la Protection Sociale), chirurgien dentiste et homme politique libéral conservateur) ou encore des chirurgiens esthétiques comme Thomas Gahagnon ou Philippe Letertre (chirurgien esthétique niçois pratiquant pénoplastie, lifting mammaire et autres liposuccions, fondateur du groupe facebook Lesmedecinsnesontpasdespigeons et de l’association UFML "Union Française pour une Médecine Libre"). En cherchant encore, vous trouverez une foule d’anonymes animant des blogs thématiques sur le sujet….et même des articles sur agoravox.
Vous êtes tentés ? Sachez que libreassurancemaladie.com propose un kit en ligne comprenant une assistance juridique gratuite par un avocat spécialiste du droit européen sans lequel vous aurez, préviennent-ils, toutes les chances d’échouer, voire même d’être condamnés (en théorie, 6 mois de prison et jusqu’à 15000 E d’amende, sans compter le redressement des cotisations impayées).
Une rubrique sur le site officiel de la Sécurité Sociale a même été spécialement créée, où il est spécifié que toute personne travaillant et résidant en France est obligatoirement affiliée au régime de Sécurité sociale dont elle relève : régime général des salariés, régimes de non-salariés ou régimes spéciaux. Refuser de s’y soumettre constitue un délit puni par la Loi.
Ceci relève, excusez du peu, de notre Constitution de 1946, héritée du Conseil National de la Résistance, qui fixe un droit pour tous à une Sécurité sociale élevée et solidaire :
« Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité les moyens convenables d’existence. »
La commission européenne, sommée par la France de prendre position sur le sujet, a rappelé dans un communiqué du 27 octobre 2004, « que les États membres conservent l’entière maîtrise de l’organisation de leur système de protection sociale ; en particulier pour toute l’étendue des dispositions légales et réglementaires concernant la Sécurité sociale (article 137 du traité CE). La Cour de Justice des Communautés Européennes a confirmé à plusieurs reprises que les organismes de Sécurité sociale ne constituent pas des entreprises au sens des articles 81 CE et 82 du Traité, c’est-à-dire n’exercent pas des activités économiques au sens des règles européennes de la concurrence.
En instrumentalisant quelques indépendants, naïfs ou cupides, dans des procédures interminables et dangereuses, le MLPS entretient délibérément la confusion en faisant l’amalgame entre les organismes assureurs soumis aux règles européennes de l’assurance et de la concurrence depuis 1992 et les organismes de sécurité sociale pour lesquels la nation reste souveraine, car à caractère exclusivement social.
En clair, rien ne vous empêche de prendre une complémentaire allemande ou suisse si cela vous chante. Mais n’espérez pas vous débarrasser de notre bonne vieille Secu aussi facilement.
Et si l’on a un tant soit peu de jugeote, il s’agit même d’une excellente nouvelle.
Avec des assurances privée à but lucratif, la tarification sera forcément individualisée sur le risque à savoir l’âge et les antécédents médicaux, ce que notre bonne vieille Secu ne prévoit pas.
En cas de maladie sévère, il est toujours nécessaire de demander une entente préalable, qui n’est rien d’autre qu’une négociation avec l’assurance pour justifier la nécessité d’actes médicaux.
Donc, à moins d’être très riche et en excellente santé, le pari reste sacrément risqué.
La page « et la Solidarité ? » du site libreassurancemaladie.com, est exemplaire de démagogie et de désinformation sur le sujet, contestant la rupture pourtant évidente de solidarité interindividuelle.
->>> Ce n’est pas réservé qu’à la classe aisée puisque « même les personnes rémunérées au SMIC peuvent économiser de l’argent en s’assurant pour la maladie auprès d’une société privée ! »
Oui MAIS ces fameux « smicards »
- auront-ils les moyens de se passer du tiers payant, c’est à dire avancer 100% des frais médicaux (en Allemagne d’ailleurs, l’assurance privée est ouverte depuis 1996 à partir d’un certain niveau de revenu d’environ 55 000 euros /an)
- pourront-ils se payer le luxe de payer leurs soins en dessous d’une certaine franchise ou au dessus d’un certain plafond s’il est décrété, ou même si l'entente préalable sur la prise en charge des soins est refusée
- pourront ils suivre l’augmentation de leur cotisation en cas de mauvais résultats financiers par ces assurances
->>> La CMU étant financé par l’Etat et donc par l’impôt sur le revenu, nous restons solidaire avec les « nécessiteux ».
Peut-être mais qui va alors supporter les couts de fonctionnement du système de santé (financement de la recherche, ouverture de services hospitaliers, enseignement et formation médicale, thérapie innovante…) : pas les « nécessiteux » qui ne peuvent contribuer par définition, encore moins les riches qui préfèreront s’assurer hors de nos frontières pour économiser sur leurs charges.
Ne restera donc que la classe moyenne… qui héritera nécessairement à terme d’une médecine à 2 vitesses : l’hôpital public pour le commun des mortels, financé par ce qu’il restera du budget et les cliniques privées, conventionnées avec les compagnies d’assurance privée avec ticket d’entrée à 60 kE.
->>> La Sécurité Sociale est une aberration puisqu’avant son existence, les médecins soignaient gratuitement ceux qui ne pouvaient les rémunérer
C’est certain qu’avant 1946, le cout des soins devait être limité : les antibiotiques venaient d'être découverts, une piqure de pénicilline et le tour était joué. Aux States, si vous voulez vous offrir une chimiothérapie, vous vendez votre maison. Le débat sur les dépassements d’honoraire semble leur avoir également échappé...
Le MLPS est donc parti en croisade : il s’autoproclame représentant des français patriotes européens qui veulent sortir leur pays de l’ornière où le collectivisme l’a jeté, confondant allégrement dans ses plaidoyers déficit et gaspillage des caisses, solidarité abusive et complot d’Etat.
Un principe supérieur à la libre concurrence selon notre constitution : la solidarité
Oui, la Sécurité Sociale est très mal gérée et gaspilleuse. Elle mériterait de subir une réforme profonde, à commencer par les régimes spéciaux.
Oui, le budget est croissant : cout des soins, vieillissement de la population, médecine de consommation…et les ressources de plus en plus limitées...
Oui, l’Europe nous pose un problème de compétitivité économique et sociale qui dépasse le seul concept de marché commun.
Mais l’affiliation obligatoire à la Sécurité sociale, organisme de redistribution qui n’a pas vocation à réaliser des bénéfices, reste la meilleure garantie d’une protection sociale de haut niveau, solidaire et durable pour tous. C’est le seul système garantissant l’égalité d’accès aux soins, ciment du pacte républicain français.
Ceux et celles qui prétendent le contraire sont des menteurs, des assistés et des lâches.
Menteurs
- car le remplacement d’un système solidaire par la mise en place d’un système de libre choix d’assurance privée n’est accessible (et rentables) que pour les français les plus aisés.
- car la procédure juridique qu'ils invitent à suivre est risquée sur le plan juridique et financier
- car ils n'informent pas de la tarification ajustée sur l'âge
Assistés
- car on ne peut être moralement un usager du système de santé français en refusant de participer financièrement à son budget de fonctionnement,
- car il est inconcevable de ne pas participer proportionnellement à ses moyens (ce que l'assurance privée ne prévoit pas, puisque la somme est fixe et non pas proportionnelle aux revenus et que l'argent encaissé n'est pas réinjecté dans le budget sanitaire français mais dans des fonds d'investissement).
On n’a d’ailleurs fort à parier qu’en cas de pépins, les expat’s sociaux reviendraient se réaffilier dare dare, à l’instar de ces centaines de traders français virés de Londres revenu touché leurs 6000 euros d’ASSEDIC en revenant bosser en France une journée...
- En refusant de payer la CRDS (remboursement de la dette sociale), ils seront redevables à la société française d'une partie du cout des soins qu'il leur a été prodigué jusqu'ici
Lâches
- Les salariés de la classe moyenne vont continuer de payer la retraite de leurs parents et grands parents, mais eux vont capitaliser pour leur pomme en bon individualiste
- Le financement de l'Assurance Maladie reposant à 60% sur les cotisations salariales et patronales, ils mettent sciemment en danger l'équilibre budgétaire pour l'ensemble des prestations sociales délivrées aux Français
Ne nous leurrons pas, tout pousse dans notre société moderne à corrompre le sens du mot solidarité dont l'essence même ne devrait pas avoir de couleur politique. Redistribution des richesses, assistanat ou spoliation étatique, les sensibilités sont nombreuses. Mais ne jetons pas l’opprobre sur un principe moral inscrit dans la Constitution en la rendant responsable de tous nos maux économiques.
La solution est ailleurs mais il faudra beaucoup de courage politique.
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