C’était quoi le 11 janvier 2015 ? Tous Charlie pour une marche blanche
Après ce 11 janvier 2015, dans le feu de l’action, quelques imprudents politiciens de cirque médiatique ont loué la force vitale, morale et républicaine de la France glorieuse héritant de ses droits de l’homme et fière de sa laïcité. Dans le flux émotionnel, la raison fut balayée au profit des accommodations idéologiques et comme bien souvent, le déni de réalité fut pratiqué, chez les élites comme au sein du peuple. N’a-t-on pas entendu récemment un ministre interpréter la croissance nulle comme le signe que la France est sur la bonne voie et va s’en sortir ? Après l’enthousiasme des premiers jours la magie du 11 septembre s’est estompée ce qui est naturel. Le Lexomil populaire obéit à une pharmacocinétique psychologique comme n’importe quelle benzodiazépine dont l’effet s’estompe après une dizaine d’heures dès lors que la molécule est éliminée par les enzymes hépatiques. Il faut avaler un autre cachet pour maintenir l’effet. Ce qui ne présente aucune difficulté. Par contre, la marche du 11 septembre possède des effets plus durables mais pour maintenir l’efficace dans le temps, il aurait fallu une marche tous les mois.
Que nous dit cet événement ? La sagesse intellectuelle incline à prendre du recul et à analyser les faits quelques mois après. C’est ce que firent des intellectuels parmi lesquels Emmanuel Todd qui livra une interprétation faisant polémique. Le fin limier de l’ethnologie urbaine et rurale a réussi à débusquer quelque improbable Ovni sociologique avec ce fameux catholique zombie qui est difficile à identifier tant il se fond dans la foule, pas comme les excités cadavériques qui participeront bientôt à la marche des zombies dans les centres villes. Le bobo s’ennuie. Que vaut l’analyse de Todd ? Ne rate-t-elle pas sa cible ?
Pour ma part, après le recul et en surfant sur une discussion de bistrot avec un ami de passage, je pense avoir à peu près compris le ressort du 11 janvier. C’est le même que le ressort que celui des marches blanches qui se déroulent dès lors qu’un fait divers tragique et pas acceptable moralement prend une résonance médiatique. Il y en a des dizaines chaque année. A Talence, une marche blanche fut organisée à la mémoire d’un jeune assassiné pour un smartphone par deux marginaux. Le maire de la ville et quelques élus se sont joints à cette marche. Le 11 janvier, élus de tous bords ont défilé avec le peuple dans les grandes villes alors que dans la capitale, les autorités invitées à cette grande marche blanche sont venues du monde entier, y compris quelques chefs d’Etat peu recommandables.
C’était une marche blanche de deux millions d’âmes. Venues pour diverses raisons psychologiques et notamment pour se retrouver et se pincer ; pour se rassurer et se dire, non, ce n’est pas possible, ces gens liquidés à la kalach parce qu’ils dessinaient ce qu’ils pensaient, c’est un cauchemar, ce n’est pas la France, ce n’est pas notre pays, notre histoire, nos valeurs morales, notre culture. Il faut se réveiller, faire savoir que les juifs et les musulmans sont nos frères. Faut qu’on se réveille et que tous ensemble, le peuple français se montre à lui-même qu’il est encore là et que l’Histoire s’écrit non pas avec deux tristes gugusses armés jusqu’aux dents mais avec deux millions de gens venus au nom de l’affirmation de l’identité républicaine française. Le 11 janvier a certainement représenté ce moment d’affirmation identitaire face auquel les jeunes négationnismes ont vite été repérés dans les cours d’école en ne respectant pas une minute de silence décrétée sans vraiment réfléchir par des autorités sous l’emprise de l’événement.
Le problème de ces marches blanches et surtout celle du 11 janvier, c’est qu’elles se présentent comme un cataplasme émotionnel et n’ont pas plus de traduction politique que la fameuse banque de la colère analysée par Peter Sloterdijk. Les pleurs et les aboiements n’ont jamais engendré d’action politique. Pour transformer la société, il faut une vision et l’usage de la raison.
Pour l’exposer autrement, on interprètera cette marche blanche du 11 janvier comme la manifestation d’un besoin. Les gens ont eu subitement besoin de se rassembler. Je ne porte aucun jugement moral. J’analyse et nul besoin d’être docteur en psychanalyse pour comprendre que ce besoin résultait d’un manque que les attentats du 7 janvier ont dévoilé en filigrane. Un manque affectif émergé d’une société de plus en plus violente et aride sur le plan moral. Mais une fois le manque résolu par la marche blanche, la vie ordinaire peut continuer et chacun de retourner dans son petit univers. Rien de comparable avec une marche portée par une aspiration collective, comme il y en eut quelques unes. On pensera aux mouvements d’émancipation, celui des afro-américain conduit par Martin Luther King. Mais rien de comparable avec ce 11 janvier ce qui, et on le comprend, a laissé un goût amer à ceux qui ont voulu croire à un élan historique.
Pour moi, l’affaire est assez simple et ne mérite qu’un chapitre de livre sur l’état de la France en 2015. Ce livre qui se projette avec approximations à travers mes récents billets mais ce n’est pas forcément mon objectif principal car la science m’attend.
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