Dieu est révolutionnaire ! Connaître le divin pour en finir avec les religions, les idéologies et les illusions scientistes
Le propos qui va suivre pourrait surprendre les esprits pénétrés de manichéisme. L’opinion vulgaire scinde les humains en deux catégories, ceux qui croient et pratiquent plus ou moins sérieusement un culte et ceux pour qui Dieu n’existe pas. Certes, il y a aussi les agnostiques, qui ne prennent pas position mais le schéma reste tout de même binaire. Avec parfois des versions très savantes, comme celle de Leo Strauss qui a magistralement exposé pour quelles raison une vie axée sur la Bible et l’amour obéissant ne peut être conciliée avec une existence fondée sur la recherche autonome du sens et de la vérité par philosophie. Cette vue assez tranchée n’est certainement pas définitive. Finalement, Strauss nous lance un défi, celui de concilier vie religieuse et vie philosophique. Mais tout dépend ce qu’on entend par vie religieuse. Est-ce une vie où l’on obéit à une institution ou bien une vie d’un genre spécial, sans doute au-dessus de l’existence prosaïque, mais pas forcément reliée à une Eglise ? C’est d’une évidence détonante. Une vie religieuse, c’est tout simplement être relié à Dieu et comme Dieu ne se résume pas à une personne, on utilisera un vocable plus souple, en évoquant le divin. Etre relié au divin, voilà un précepte de vie assez intéressant, pour ne pas dire stimulant. Ce propos nous ramène à quelques fondamentaux qu’on a eu tendance à oublier. Platon philosophait avec comme finalité celle de connaître les choses humaines et divines. Et attention, les choses divines pour Platon ne sont pas les dieux du Panthéon que vénéraient les citoyens de la cité athénienne. Si on cherche une théologie du divin chez Platon, on la trouvera sous forme d’énoncés énigmatiques et surtout dans des propos où cosmologie et théologie sont entrelacées. Et même plus puisque une partie de l’homme participe au divin. Qu’on la nomme âme ou esprit, peu importe.
Deux millénaires après Platon et après l’époque médiévale, ce qui nous conduit vers 1600, une immense révolution des savoirs se dessine avec la séparation de trois « continents ontologiques » que sont Dieu, l’homme et la nature. Cette scission marque de son sceau la Modernité. Ces trois continents ne sont pas étanches, pas plus que les dispositifs épistémologiques qui les étudient, théologie, philosophie, science. Mais chacun des dispositifs revendique son indépendance. Du moins la science et la philosophie qui se sont détachées du socle scolastique dont l’architectonique place Dieu en position suprême. Du coup, un cadre épistémologique est apparu dans le courant du 19ème siècle, signant la modernité occidentale. D’un côté, Dieu, l’Eglise et ses ecclésiastes gérant le culte et la foi auprès des fidèles. De l’autre côté, d’une part les sciences humaines où figurent la philosophie, et les sciences de la nature, devenues indépendantes de la philosophie. On pourra mentionner nombre de figures savantes ayant accompagné, voire propulsé cette modernité épistémologique. Kant, bien sûr, pour qui le divin est inaccessible à la raison. Et puis Auguste Compte. En gros, la position des philosophes se résume à cette formule : nous n’avons pas besoin de Dieu, l’entendement et la raison suffisent à l’humanité. Et celle des scientifique est tout aussi claire : Dieu n’existe pas et si jamais il existait, il ne peut pas être inséré dans une expérience de laboratoire et donc, Dieu ne nous intéresse pas ; ceux qui sont croyants sont invités à laisser leur foi dans le vestibule avant d’entrer dans le laboratoire. Bien évidemment, si ces deux formules traduisent les positions consensuelles contemporaines qu’on dira orthodoxes elles ne nient aucunement la possibilité de pensées dissidentes qu’on trouvera chez beaucoup d’auteurs, souvent fantaisistes mais parfois plus pénétrants que les orthodoxies.
On connaît la fameuse phrase sibylline de Nietzsche, Dieu est mort. Le 20ème siècle a été placé sous le signe du désenchantement. Après la révolution de la raison et de la physique mathématique, il n’est pas inconvenable de penser que le divin a quitté l’espace des humains et surtout de la nature. Désorientés par ce progrès sans fin et ce vide laissé par le divin, quelques philosophes ont tenté une voie alternative, celle du spiritualisme à la fin du 19ème siècle. De nos jours, les intellectuels, soucieux de conférer à l’humain un sacré sans se compromettre avec le religieux, parlent de spiritualité, sorte de concept fourre-tout qui à force d’être employé intempestivement a fini par ne plus rien signifier. Le spirituel, une notion pour sans-culotte de la pensée. Mieux vaut oser évoquer le divin qui a encore sa place dans le champ des connaissances. Au moins les choses sont claires. Enfin, disons qu’elles sont désignées proprement mais que ce n’est pas pour autant que le divin se connaît aisément, ni ne se conçoit facilement. Osons affirmer le retour du divin et partit en quête de ce divin qui dans un premier temps, sera envisagé à la manière de Platon. L’homme peut connaître les choses divines. Que sont-elles ? Le monde intelligible, les idées. Mais aussi un monde derrière la nature qu’il faudra extraire des représentations scientifiques, voire même concevoir de manière spéculative.
Choses divines certes, mais aussi invisibles et peut-être indicibles. Le monde est constitué de divers plans de réalité et l’on peut trouver le divin derrière le minéral, le végétal, une simple cellule ou un animal complexe et bien évidemment, le divin se loge dans la conscience humaine. L’athée se demandera quel est l’intérêt de formuler ces hypothèses. Le théologien verra une sorte de panthéisme et le philosophe décryptera une intention toute spinoziste. Néanmoins, un sceptique dirait que les meilleures intentions ne permettent pas nécessairement à la connaissance d’accéder aux choses les plus profondes et intangibles. De toutes ces réticences, le philosophe des temps hyper modernes qui veut accéder au divin ne doit rien retenir mais juste avancer, porté par une confiance raisonnée dans l’accès aux choses et aux concepts. Je suggère de concevoir le divin comme une « énergie cognitive ». Cette énergie qu’on peut penser universelle se tient derrière chaque plan et « opère » spécifiquement en accord avec les dispositifs (matériels, essentiels, formels, techniques ?) de ces plans. Pour préciser ma conception, je propose de penser le divin comme transcendant lorsqu’il n’intervient pas alors qu’il se fait immanent lorsqu’il devient efficace sur les plans d’existence. Energie cognitive, ce concept me convient parfaitement. Dans les précédentes investigations sur le vivant, j’avais envisagé deux substances, l’une technique et l’autre cognitive, mobilisée dans la perception et surtout les différents calculs permettant d’organiser le système et sa réponse à l’environnement. Finalement, la substance, ce vieux concept hérité d’Aristote et de la scolastique médiévale, a encore un bel avenir si l’on convient que substance équivaut à énergie.
Et donc deux énergies, l’une technique et l’autre cognitive, en relation avec ce qu’on pourrait désigner comme le divin tel qu’il se présente au 21ème siècle dans un contexte de développement scientifique inouï doublé d’une subtile effervescence intellectuelle dont on ne perçoit que l’écume. Ce doublet pourrait évoquer également deux des quatre causes aristotéliciennes, l’efficience technique et la finalité qu’on peut penser déterminée par un processus cognitif. Autrement dit, le divin est associé à un type d’énergie responsable des processus cognitifs entre autres choses. Et pour l’homme, connaître le bien et le mal, les vérités cosmologiques, philosophiques… et aussi organiser le jeu de l’évolution et de la transformation. Voilà, j’en ai à la fois trop et pas assez dit.
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On a tendance à l’oublier, le divin n’a jamais été monopolisé par les religions, pas plus que réservé aux seuls théologiens. Le divin se trouve chez Platon, Aristote, Descartes, Leibniz, Spinoza, Locke, et pour évoquer une période plus récente, Whitehead ou Teilhard de Chardin ou encore quelques physiciens contemporains. Voici quelques points généraux sur la question du divin. Ces propos doivent être compris comme des énoncés à visée herméneutique et heuristique, autrement dit pour donner du sens aux éléments de théologie exposés ainsi que de fournir quelques signaux pour l’horizon du chercheur.
Mystiques, philosophes et scientifiques. La question gnoséologique (connaissance) du divin se présente pour trois catégories de « chercheurs ». J’emploie ce dénominatif à dessein afin de préciser à nouveau que le présupposé d’un divin destiné à être connu implique que le divin concerne les chercheurs et autres en-quêteurs. Que l’on peut classer en trois catégories. Le mystique cherche à rencontrer le divin en l’accueillant dans sa conscience, au risque de fusionner. Le philosophe chercher à insérer le divin dans son système de concepts, voire sa doctrine sur le réel et notamment les réalités spirituelles. Le scientifique tente aussi d’insérer le divin susceptible de rendre intelligible (compréhensible) la nature et ce faisant, il est lui aussi un philosophe, plus précisément un philosophe de la nature. Pour finir, le divin s’adresse à tout homme qui le cherche sans qu’il sorte son pedigree anthropologique ou sa carte professionnelle. La « saisie » directe du divin n’est donc pas réservée aux mystiques. L’expérience personnelle du développement de l’intelligence et de quelques signes (voir Jasper ou Jung) livre quelque trace du divin dont l’efficace advient en soi et dans le monde.
Dieu et trois conjectures. Dans le Lalande, dictionnaire des notions philosophiques, Dieu est envisagé sous trois angles, Cause des causes, Etre des êtres, Fin des fins. On reconnaît ainsi le Dieu créateur, celui des origines, invoqué dans la Genèse et martelé par les mouvances fondamentalistes, pas seulement chrétiennes. Le Dieu comme Etre des êtres serait plutôt celui des philosophes, par exemple Descartes pour qui Dieu est l’être parfait, ou alors Platon pour qui le divin se situe dans le cosmos noétique, celui des Idées éternelles. C’est ce Dieu qui s’accorde le mieux avec les systèmes ontologiques, notamment ceux de l’âge classique de la modernité (17ème), et qui transparaît à travers les recherches ontologiques de Heidegger. Enfin, le Dieu comme principe régissant les causes finales, celui qu’on peut trouver dans les doctrines messianiques, dans la théocidée de Leibniz ou plus récemment à travers le point oméga de Teilhard et même chez Whitehead dont on ne connaît pas assez la célèbre formule, Dieu ne crée pas le monde, il le sauve (Process and reality, p. 346).
Dieu et le temps. Trois autres conjectures. Pour des raisons qui vont apparaître comme évidentes, le divin doit être cherché en creusant les fins, celles de la nature, de l’humanité, de la personne. La quête de Dieu est entrelacée au temps, à l’expérience des êtres, à la conscience de l’homme qui avance dans la voie. On ne trouvera jamais la preuve du divin avec l’ontologie ou la raison ou même la cosmologie. Le divin se comprend à partir d’une expérience personnelle, mais pas avec les méthodes expérimentales de la science, enfin, pas pour l’instant. Le divin se partage, mais il n’est pas une expérience reproductible et c’est là toute sa spécificité. Sinon, du point de vue philosophique et scientifique, le divin peut être posé en articulation avec les causes finales et donc comme une hypothèse permettant de concevoir les transformations naturelles et humaines. Que peut-on soupçonner pour les fins ?
I. Dieu ne crée pas le monde, il le sauve. Cette formule de Whitehead ne sera pas niée par un Heidegger confiant à la fin de sa vie, en constatant l’état du monde, que seul un Dieu peut nous sauver. Mais quelle signification accorder à cette hypothèse d’un monde sauvé. Une rédemption, une préservation, un salut ? Peut-être un peu de tout ça. Et dans quel monde ? Celui qu’on partage avec l’humanité ou bien le monde intérieur ? La seconde option est la plus vraisemblable, quand à la seconde, elle fleure bon la théodicée d’un Leibniz mais ce n’est pas les moqueries d’un Voltaire qui décident d’une affaire close. Une piste intéressante verrait dans cette formule l’idée d’une permanence acquise dans un contexte de changement et donc, une augmentation de l’Etre. Qui peut prendre chez l’humain la forme d’une rédemption.
II. Dieu ne crée pas le monde, il l’ordonne (et l’embellit ?). Cette formule que je propose en la dérivant de la précédente suggère que l’énergie cognitive universelle advient sur les plans d’immanence soumis au devenir et au chaos afin de fournir les éléments efficaces permettant d’organiser, d’ordonner un domaine individué du réel. Par exemple les molécules du vivant, ou alors les cellules d’un protozoaire ou enfin l’entendement humain. Un clin d’œil à Einstein incline à proposer cette formule : la nature joue aux dés et Dieu retient les coups gagnants et la sélection naturelle fait le reste. Etonnant dirait Desproges mais pourtant, la vérité n’est pas très loin. Cet ordre divinisé peut-il être considéré comme beau ? Peut-être pas mais réglé, certainement. On trouve en effet des formes dans la nature et si la conscience esthétique s’y accorde, alors le sentiment du beau advient. Mais il n’atteindra jamais l’émotion que l’on peut ressentir en écoutant de la musique, art créé par l’homme mais dont on soupçonne quelque intervention du divin.
III. Dieu ne crée pas le monde, il le révèle ou le dévoile. Cette notion de révélation renvoie en fait à la vérité et s’inscrit tout aussi bien dans une perspective platonicienne que chrétienne. La révélation se conçoit comme le contenu d’une intelligence parvenue à un certain degré de connaissance. L’intelligence entretient un « certain commerce » avec le divin si l’on suit les néoplatoniciens mais aussi quelques philosophes de l’âge classique européen comme Descartes. Comment comprendre la révélation ? Une sorte de mise en ordre des données de la conscience. La révélation se conçoit comme la réunion de pièces d’un puzzle que l’intelligence ordonne. Dans le dernier livre du Testament, l’Apocalypse de Jean offre un récit qui peut être compris comme une allégorie sur le monde intérieur de la conscience, tourmentée par le chaos puis finissant par être sauvée. Rédemption et Révélation vont de pair. Les lecteurs connaissant Rosenzweig reconnaîtront dans ce « divin trio » une allusion au troisième terme, la Création. Cette notion n’ayant évidemment rien de commun avec un quelconque créationnisme. Dieu ne crée pas le monde, il l’ordonne !
On l’aura compris, le Dieu dont il est question dans ces lignes est un Dieu pour philosophes et le terme divin paraît plus approprié, ou si l’on veut transcendance, articulée à l’immanence. A retenir le grand principe, celui d’un divin qui « adhère » au temps, à l’évolution, aux histoires. D’où la déduction incontournable pour ce qui concerne les existences humaines : c’est à la fin qu’on connaît le divin. Quant à la nature, on peut énoncer un autre principe, c’est par les fins qu’on connaît le divin. Lequel intervient dans les causes finales. En tant que principe organisateur.
De ce texte, vous pouvez trouver les éléments de la libération. Je ne vais pas faire le travail à votre place. Si vous ne les trouvez pas, c’est que vous n’avez pas la volonté de vous libérer. C’est un choix que je respecte.
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