Egalia, genre et éducation : éloge de la différence
Je reviens sur le billet d’il y a quelques jours : Suède : Egalia, un pas vers la folie. Il a permis de nombreux et intéressants échanges. Certaines questions particulières ont été abordées, qui pour moi impliquent des développement complémentaires. Je donne donc ici une suite à ce premier billet.
Pour rappel l’école primaire d’Egalia a supprimé toute référence à des modèles filles-garçons, allant jusqu’à supprimer le « lui » et le « elle ». Les raisons en sont données dans le premier billet.
Je pense pour ma part qu'il est préférable d'avoir un modèle, dont on pourra toujours se démarquer, que de ne pas en avoir. Je pense aussi que les modèles qui ont été construits depuis des millénaires ne se sont certainement pas mis en place pour rien, ni juste pour enfermer les gens. Par exemple les modèles père-mère sont forcément différents. Ils impliquaient pour l'un la défense du territoire, donc la guerre et la mort souvent précoce. La femme-mère était amenée à s'occuper des enfants, non parce que le « patriarcat » l'y aurait contrainte (aberration du discours féministe), mais parce que la disponibilité de son corps (allaitement) en particulier l'y invitait naturellement. D'où aussi une propension probable à s'occuper des soins, puis de l'éducation.
On peut donc comprendre que l'éducation des filles et des garçons ait été différenciée pour les préparer à cette vie. En ce qui concerne les garçons, je n'ai personnellement jamais eu de problème à exprimer ma tristesse si nécessaire. Mais vu les conditions ancestrales où l'homme devait se battre, je comprends que l'on n'ait pas voulu encourager chez lui le ressenti de ses états d'âme. Un soldat ne doit pas pleurer avant et pendant l'attaque.
Je constate - et je ne suis pas le seul - que la tendance naturelle de l'humain est de répéter un système quand il semble marcher : comportement, réaction neuro-physiologique, etc, et de faire de cette répétition, peu à peu, une norme, ou au moins un référent. L'humain fixe, fige, ce qui fonctionne. Un deuxième constat que l'on rencontre en général dans la nature, est le regroupement des espèces animales ou végétales par similarité : identité commune, territoire favorable, climat, etc. Dit autrement pour faire vite : qui se ressemble s'assemble. C’est une forme d’économie d’énergie. Et le corollaire est que qui ne se ressemble pas, ou qui ne s'assemble pas, demande un effort d'adaptation plus grand, voire peut être perçu comme un complément à soi mais aussi comme une menace. Le différent, quand il est moins nombreux, doit se faire accepter. Alors que pour le plus nombreux, quel qu'il soit, l'acceptation se fait plus ou moins par défaut.
Ainsi un hétéro dans un milieu homo est un « étranger », comme un chinois est un étranger en Afrique, ou comme un berrichon est un étranger à Paris, etc. Ce phénomène me semble inévitable. Je veux dire par là que quelle que soit la définition que l'on donne de soi, elle devient normative et excluante ou au moins relativisante pour d'autre. Donc l'acceptation du différent demandera un travail conscient tôt ou tard.
Enfin, c'est ma façon de voir. A partir de là, est-il possible de mettre en place une éducation qui évacue le sentiment d'appartenance à une norme (quelle qu'elle soit) et qui donc éviterait ce mécanisme d'apprivoisement du différent ou la contrainte de ladite norme ? Personnellement j'en doute. Je pense qu'il y a un travail cognitif à faire sur l'acceptation du différent. Cela ne se fait pas à la maternelle.
Je pense que donner un modèle, ou un référent, est compatible avec le fait de pouvoir par la suite compléter et faire évoluer ce référent. Il y a forcément toujours un modèle préexistant à toute forme, en tous cas aujourd'hui. Ce n'était peut-être pas encore le cas pour les premières molécules qui ont pu être très polymorphes et labiles dans la structure de leurs composants avant de se stabiliser dans une forme reproductible à l'identique.
La transmission d'un modèle culturel était assez rigide par le passé. Il y avait probablement des raisons. Mon avis et ma tendance personnelle est que les modèle peuvent être plus fluides, plus mobiles, plus malléables, afin de ne pas y être assujéti de manière pénalisante. Cela est une évolution déjà considérable. Mais plus fluides n'implique pas qu'il n'y ait plus de modèle.
La distinction des genres par le sexe, et la fonctionnalité de cette distinction (reproduction) est fondamentale. C'est l'une des classifications majeure, sinon LA classification majeure, à l'intérieur des espèces. En faire l'économie, par peur d'y être assujéti, est d'une part une amputation et une déconstruction, d'autre part la raison ne me paraît pas suffisante pour tenter une telle déconstruction.
L'amplification du clivage hommes-femmes telle que proposée par le féminisme radical ou marxiste voudrait justifier une telle déconstruction, car dans cette déconstruction il y a aussi la déconstruction du masculin, plus que du féminin puisque cela se fait « à cause du et contre le masculin considéré comme producteur d'une domination de type esclavagiste ». Mais je ne crois pas que le passé ait été cet esclavage. La rhétorique féministe creuse ce poncif pour en contrepartie s'octroyer un droit de regard sur ce que doit être le masculin. Je conteste cette rhétorique. J'ajoute aussi que plutôt que déconstruire, on pourrait augmenter ou jultiplier : augmenter le nombre de modèles. La maman ou la putain, c'est un peu court comme choix pour les femmes, de même que leur variante infirmière ou femme fatale. On peut aussi élargir le pendant côté hommes, car beaucoup d'hommes en ont assez d'être catalogués pourvoyeurs ou violeurs par des féministes qui pour elles-mêmes refusent les stéréotypes mais n'hésitent pas à en asperger les hommes (la variante étant : papa ou prédateur).
Pour en venir plus précisément à la situation des personne transgenres, qui faisait l'objet de remarques et questionnements, je me suis longtemps demandé pourquoi les féministes associaient autant les minorités sexuelles (LGTB). Car les femmes hétéro ne sont pas une minorité sexuelle ! Deux réponses à cela : d'une part le féminisme radical des années 70 a été largement accaparé par des lesbiennes américaines. D'autre part cela facilite l'idée que les femmes en général sont une minorité opprimée. En plus cela fait caisse de résonance. Malheureusement j'y vois un acte de colonialisme féministe. Les Bi et les homo n'ont certainement pas les mêmes problématiques concrètes que les femmes. Et puis alors, pourquoi ne pas mettre les hommes comme autre minorité opprimée ? Opprimés par des stéréotypes, par des dirigeants, etc ? Ben non, il faut forcément un ennemi de classe (n’oublions pas que ce féminisme là est une lutte des classes et se revendique comme tel) ! Si tout le monde est opprimé, il n'y a plus personne contre qui se battre et à rendre responsable de nos malheurs.
Cela dit, l'hétérosexualité restant la norme pour la reproduction de l'espèce, les homo ou les trans seront toujours dans une position sociale plus fragile. Il ne s’agit pas ici de jugement de valeur. Il y aura toujours un travail d'acceptation de l'altérité à faire, un démontage de l'arrogance possible du groupe numériquement dominant. Le dérangement produit par la différence restera. D'ailleurs la différence est faite pour être dérangeante et adaptative. Rien n'est donc donné d'avance. Croire qu'une éducation va supprimer ce dérangement me paraît illusoire, ou déculturant. Apprendre à accepter la différence me paraît infiniment plus réaliste et plus fécond humainement et spirituellement que de vouloir faire comme si elle ne dérangeait pas.
La différence dérange.
Par contre cette différence peut être traitée de manière intelligente. Pour faire une analogie, l'éducation d'enfants noirs et blancs dans une même classe ne doit pas être discriminante. Mais il n'y a pas à gommer la différence. Par exemple, les cours de géo ou d'histoire peuvent insister sur les pays ou régions d'origines, les différences de cultures, ce qui apprend aux enfants à reconnaître leur identité d'origine, et aux autres à la leur faire accepter comme intéressante et enrichissante.
A Egalia, on a supprimé le « lui » et « elle ». Imaginerait-on en classe supprimer la notion de couleur pour éviter le blanc et le noir ? Cela se fait aux USA : les schtroumpfs noirs sont violets !... Je trouve cela contre-productif par rapport à l'objectif. Car en filigrane, le racisme est toujours là. Ne vaut-il pas mieux dire : black is beautifull ? White is beautifull ? Woman is beautifull ? Man is beautifull ?
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