Famille mono-parentale
L’enfermement absolu.
Les mots prennent souvent de curieuses formes pour habiller de manière présentable des situations qui sont souvent insupportables. Il en va ainsi quand on qualifie de famille monoparentale une femme seule qui galère au quotidien avec ses enfants, dans l’indifférence d’un mari, parti sous d’autres cieux ou pire encore, disparu sans laisser d’adresse et d’une société qui se moque bien de tendre la main à celle qui se retrouve seule pour tout gérer tant bien que mal.
Femme seule avec des enfants c’est loin d’être une sinécure. Tout pose problème, tout devient une infernale course-poursuite après le temps, l’argent, la vie. Il lui faut tenir tous les rôles à la fois sans aide ni épaule sur laquelle s’appuyer. Elle trouve le plus souvent et ce, dans le meilleur des cas, un travail strictement alimentaire qui lui permet tout juste de joindre les deux bouts d’un quotidien de restrictions permanentes.
Elle s’occupe de ses enfants dès le petit matin, se lève encore plus tôt si elle veut prendre un peu de temps pour elle, faire du sport ou bien surfer quelques minutes sur la toile, lire ou avoir un jardin secret. Puis c’est la course afin de préparer les petits déjeuners, les cartables, les affaires, en espérant que rien ne viendra entraver son agitation frénétique pour être prête à l’heure. C’est faire fi de l'invérifiable retard de l’ouverture des portes de l’école primaire. Les enseignants ne sont pas à quelques minutes près, elle si !
Ce retard - ces dix minutes à piétiner devant le portail qui ne s’ouvre pas- va lui être reproché toute la journée. Elle va arriver en retard au travail ; l’employeur se moquant bien d’en savoir la cause. Elle va devoir rogner sur sa pause : elle ne pourra finir plus tard, il faut aller chercher les enfants tout en n’oubliant pas de passer par le « drive » pour faire l’approvisionnement.
Elle se morfond dans ce travail sans intérêt ; elle n’a pas le choix. Les ambitions d’avant se sont dissoutes dans ce présent qui n’en finit pas de la réduire à sa situation de femme en instance de divorce avec des enfants à charge. Tout lui pose problème, la réduit à cette étiquette sans espoir, à cette perspective parfaitement bouchée. Tant que les enfants ne sont pas partis, elle sera esclave de sa solitude.
Elle n’a pas d’ami, pas de famille à proximité. Elle avait suivi celui qui est parti ou qu’elle a fait partir pour son inconduite, qui l’a abandonnée sans se soucier de la dimension matérielle. Elle découvre la pauvreté : celle qui englue le présent, condamne l’avenir. Comment avoir une vie intime quand tout est sacrifié pour les enfants, quand le manque d’argent se fait chaque jour sentir de manière cruelle ?
Sa voiture ou sa machine à laver est une épave. Mais comment pourra-t-elle la changer ? Son ex ne va pas mettre la main à la poche, oubliant que sa pension alimentaire est une goutte d’eau misérable. Comment obtenir un crédit avec ce salaire de misère ? Comment continuer à travailler sans voiture ou à tenir la maison sans machine à laver ? Elle tombe dans un cercle infernal qui n’ouvre aucun espoir. Elle est engluée dans sa détresse affective, enfermée dans sa solitude, contrainte de rester tout le week-end et les vacances dans cet appartement qui devient son unique univers.
Elle n’en peut plus. La société et ce mari parti l’ont condamnée à la séquestration à perpétuité. Sortir, partir, voyager, s’amuser, il faut de l’argent et elle en manque cruellement. Elle est devant son tas de linge, de vaisselle, de factures et de traites à ressasser son malheur, sa vie qui s’étiole, qui se cogne aux murs de sa prison mono-parentale en dépit d’une volonté farouche et du désir de ne jamais se plaindre.
Les enfants ont découvert la pauvreté, soudainement, brutalement. Ils ont perdu leurs amis ; il a fallu aller dans un petit village ou un quartier périphérique pour trouver un appartement abordable, un environnement acceptable. Ils sont les otages d’une situation où les a placés ce père absent qui méconnaît la réalité des siens. Il ne fait aucun effort, évite de les prendre et s’étonne qu’ils ne veuillent plus le voir ou disparaît à jamais, indifférent à leur sort.
La femme seule, pilier de cette famille monoparentale- joli mot pour une situation sans beaucoup d’espoir- va passer les vacances à courir après le temps, les gardes d’enfant, les centres aérés, les activités qui sont toutes plus chères les unes que les autres. Va-t-elle avoir du temps pour elle ? C’est impossible. L’été sera plus douloureux encore : l’été suppose d’avoir du temps et de l’argent et c’est justement ce qui lui fait défaut cruellement.
Elle ressasse, elle se désespère mais elle ne peut baisser les bras ; elle ne veut surtout pas abdiquer devant l’adversité. Elle est fière et farouche dans sa détermination. Ses enfants sont là, elle tient debout pour eux, elle résiste, elle se bagarre contre un époux aux abonnés absents, une société indifférente et méprisante, un réel qui ne se soucie pas de lui faire une petite place. Elle aimerait vivre, elle est encore belle, encore désirable mais elle s’enferme dans un statut qui repousse les princes charmants et les prétendants acceptables.
Elle rêve de jours meilleurs. L’âge avance, l’avenir se referme sur elle ; elle n’en peut plus et elle ne peut crier au secours. Témoin impuissant d’un drame qui se répète ainsi à des centaines de milliers d’exemplaires de par notre société théoriquement si solidaire, je ne peux que coucher sur le papier le récit de ces vies qui résistent avec une opiniâtreté exemplaire. Que fait-on réellement pour les aider ?
Solitairement vôtre.
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