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Gilets jaunes, société anomique

16 novembre 2018 – Le spectre des gilets jaunes – Blagues et Dessins

Le mouvement des gilets jaunes n'a pas d'antécédent qui en permette une analyse. Il est incommensurable à tous les autres mouvements sociaux. Il s'oppose à un président sans programme, sans parti, élu quasiment sur son nom. Ce président est aussi sans opposition. Que des inconnues.

Notre vie politique a été cadrée pendant au moins deux siècles par le partage de la richesse produite, dans sa forme patrimoniale, et dans sa forme des biens et services à consommer. Le marxisme voyait une division de la société intenable entre une classe qui n'a que son travail et une classe qui a tout le patrimoine. Quand les travailleurs auraient la propriété des moyens de production, cette division tomberait et nous créerions une société harmonieuse. Cette théorie qui se voulait scientifique a été appliquée sur presque la moitié de la terre pendant 80 ans et elle a fait, dans cette expérimentation à très grande échelle, la preuve qu'elle ne fonctionnait pas. Les pays qui sont restés libéraux dans cette période ont développé une vaste classe moyenne, pour estomper cette division de classe décrite par Marx. Après la chute du mur, cette classe intermédiaire n'est plus nécessaire, car la crainte des possédants de se voir tout prendre par les révolutionnaires ouvriers disparaît aussi. Les développements techniques diminuent la part du travail des producteurs dans la consommation, mettent les États en concurrence, dispersent les créateurs de monnaie... l'internationale n'est pas ouvrière, elle est financière... des firmes multinationales sont plus riches que les États et surfent sur les pays comme sur une écume de vagues.

La société a perdu son fil directeur, conflictuel, on était pour ou contre Marx, un peu pour ceci, un peu contre cela... mais les discours se nouaient sur le sens de l'Histoire, la lutte des classes...

Les citoyens se sont branchés sur des sentiments plus près d'eux, ce qu'on appelle le légitimisme, le terroir, le sentiment d'appartenir à un groupe plus restreint et moins abstrait que les classes sociales et le sentiment que ce groupe est moins bien servi que beaucoup d'autres. Les classes sociales se sont multipliées en groupes régionaux, de sexe, de sexualité, de race... un kaléidoscope de divisions, qui n'ont aucune stratégie de combat et de victoire, calmant juste la souffrance liée à ces divisions. Ce sont des victimes dont le seul projet est de se faire reconnaître. Dans un tel schéma, tout le monde comprend qu'aucune reconnaissance ne sera suffisante pour éteindre la plainte.

Certains tentent d'expliquer les gilets jaunes dans l'ancien récit du travail, mais ils n'arrivent pas à dire ce qui se passe, structurellement, parce que le paradigme a changé. Gérard Noiriel est en tête dans cet exercice : il y a toujours des antécédents et on a raison de se révolter. Ce discours fait l'impasse sur une distinction fondamentale de l'action de l'extrême droite, qui n'a jamais été portée par la gauche : il y a des régimes policiers (Franco, Pinochet) et des régimes populaires (le fascisme, le nazisme). Il ne suffit pas d'être sans-grade et révoltés pour être révolutionnaires de gauche.

Pour la gauche, la politique est affaire de volonté et seulement de volonté, la décision politique ne connait pas de contrainte et ceux y voient des contraintes sont des gens de droite qui veulent tromper les citoyens. Dans cette absence de projet eschatologique à favoriser ou à empêcher, qui caractérise notre temps, les élus politiques semblent tous agir de la même façon, quand bien même il est aisé de voir que Jospin et Hollande ne font pas la même chose que Sarkozy et Macron.

Il y a anomie quand le contrôle social sur un individu s'évanouit au point d'être inopérant. C'est un hyper-individualisme. Nous n'avons pas assez d'idées générales et généreuses en commun pour pouvoir vivre ensemble. Nous n'avons plus le tissu de nos vies, les milliers de points d'accord sociétaux tacites Le « vivre-ensemble », dans toute sorte de domaines a fait place au vivre-séparé. Les cadres généraux d'une pensée commune font défaut. La tendance lourde des discours politiques consiste à se dresser les uns contre les autres et à tenter sans cesse de faire admettre qu'on est plus victimes, qu'on nécessite plus d'aide, plus d'attention, plus de reconnaissance que les autres.

Ce qu'on appelle les réseaux sociaux, qui devraient s'appeler plutôt des net-agoras, portent ces adhésions et plus fréquemment ces rejets sans fonds théoriques, sans grandes réalités. L'injure est devenu ordinaire et, alliée à la force de conviction, semble raisonnable. Le mot honte fait l'objet d'une explosion de son emploi. Cela signifie que le discours politique n'est plus possible et a été remplacé par un mode de pensée moral, avec son vocabulaire moral.

McLuhan avait vu il y a longtemps que le médium était le message. Il écrit qu'Hitler et le nazisme étaient un produit de la radio, nouvellement créée.

De la même façon, ces réseaux sociaux ou agoras de l'Internet portent des engouements populaires sans structures, sans contenus, sans projets, sans stratégies, et court-circuitant les structures antérieures. Et éphémères. N'atteignant que des buts premiers, de court terme. On l'a vu place Tahrir. On voit là une unanimité des soutiens sur un très large spectre, selon les principes intellectuels, logiques, intenable, avec des accusations croisées de récupération.

Les gilets jaunes sont un mouvement populaire, dans le sens où tout le monde peut y aller, on ne demande rien à l'entrée, et qui se nourrit de cette absence de détermination : les gilets jaunes offrent à quiconque un lieu pour dire qu'on va mal, que tout va mal et il vaut mieux ne pas laisser les autres prendre la parole quand une parole collective sortira, s'il en sort une. Pour le moment, ce qui est collectif, c'est un mode d'action et une icône (le gilet jaune).

La répétition par le premier ministre que le gouvernement a retiré les mesures-déclencheuses, le refus du gouvernement de revenir sur les mesure favorables aux riches, la continuation de la diminution de la pression fiscale sur les grandes entreprises... renforcent cette indétermination dans le contenu et cette détermination dans la force, le nombre, l'endurance...

Les gilets jaunes sont une révolte anomique (force physique, nombre... ni contenu sociétal, ni revendications, ni porte-parole) qui « désigne » un président anomique dans une société anomique. Les « gilets jaunes » sont un analyseur, comme toutes les révoltes et même un éclateur idéologique.

Le projet que les hommes devraient se donner est de conserver la possibilité de vivre sur la planète, mais ce n'est pas un problème national, quelque soit la taille et la puissance du pays. Il n'y a aucune institution pour s'occuper de cela avec le monopole de la violence qui serait nécessaire à la réussite de ce projet.


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3 réactions à cet article    



    • Taverne Taverne 11 décembre 2018 16:27

      Un bon gouvernant doit être à même d’identifier la véritable plainte, celle qui résulte de la douleur.

      Un bon gouvernant doit comprendre que, lorsque les gens sont fous de douleur, ils ne sont plus accessibles aux paroles raisonnables. Car qui dit « fou » dit « déraisonnable ». Tout ce qui est proposé alors au nom du « raisonnable » perd tout sens à leurs yeux, prend figure de choses illégitimes et trompeuses. Aucune parole raisonnable ne peut alors les arrêter.

      Un bon gouvernant doit savoir reconnaître la sagesse de la colère quand elle découle d’une injustice criante. Il doit alors mettre de côté ses réponses raisonnables et répondre à la sagesse par la sagesse, seule façon d’un retour ensuite au raisonnable.

      Un bon gouvernant doit s’attendre à ce que les gens soient déraisonnables quand eux-mêmes ne comprennent plus le sens des choses. S’ils font une politique insensée, les gens seront insensés et donc sourds à la raison.

      Un bon gouvernant doit être sensible à la dignité humaine et au sens profond qui est attaché à cette dignité. Si l’indignation repose sur une atteinte grave et / ou répétée à la dignité, il doit la recevoir comme une chose légitime, plus légitime que son savoir et que l’exercice de son pouvoir. Il doit mettre de côté son amour-propre tant qu’il n’a pas remédié à la cause de la juste indignation. Il faut retirer l’épine pour ôter la douleur de celui qui est fou de douleur et qui, de ce fait, n’entend rien.

      A bon entendeur.


      • Ministère Volontaire 11 décembre 2018 17:08

        Bonjour,

        .

        Sans structure ?


        Des site occupés un mois, avec des habitués des manifestations, ce que le ministère désignera par la tendance « Zad partout », constituent une « structure traditionnelle », des personnes qui reproduisent ce qu’il ont vu.


        Les actions syndicales qui se greffent au mouvement y apporte une logistique des bus, des numéro de téléphone, des personnels habitués a encadré des défilés, la « structure syndicale », que le ministère ne renommera pas.


        Les famille, se sont trouvés réunis dans cette contestation, les uns a cause des méthodes du pouvoir, les autres a cause de croc dans leur retraites, celui-la qui a un emploi « a la con ». Les familles, et groupes de familles.


        .

        Sans contenu ?


        Le mouvement a produit des dizaines et des dizaines de pétions, de manifestation, quelques partis, et, est en train de produire des projet de constitution et de réforme constitutionnelle.


        Le mouvement a produit de l’assistance sociale directe depuis au moins deux semaine, nourrissant et mettant en contacte avec des association et entre eux les galériens, les radicaux, limitant les débordements anti-riches et racistes.



        Le mouvement a produit des groupes de personnes d’accord entre elles sur les modes d’actions, le niveau d’engagement, de risques, qu’elle sont disposé a prendre. Apple et Google doivent tout savoir a ce sujet d’ailleurs.


        .

        Sans projets ?


        Les 2500 point d’occupation « zad partout », qui servent de point d’entrée et d’activité par défaut, résultent d’un projet. Les millions de lettres adressées aux élus, dont certains publiés ici même, sont pleines de propositions sensés !


        1.9 millions sur 1 pétions et 2.5 millions sur 4, pour la démission pure et simple du Gouvernement, c’est quant même un projet extrêmement concret, défaire le gouvernement pour voir si un autre serais pas mieux.


        Quelques millets ont eu le courage d’attaquer le président en justice, de le censurer au parlement, de pétitionner la dissolution de l’assemblée, de mettre en doute son intégrité mentale, de cramer une banque. Le ministère nie tout.

        .

        Sans stratégies ?


        Sur les champs Élysée, il y avais un général de la légion en jaune, avec un grand panneau « Référendum d’Initiative Citoyenne ». Qui étais encadré et escorté par des « jeunes avec des masque a gaz ».


        Localement, les manifestant réoccupent systématiquement après les interventions musclées. Des messages les préviennent des mouvement des divisions de CRS. Il n’y a plus que des volontaires, lors-ce-qu’il arrivent.


        Tout les journaux sont jaunes, tout les journaux sont jaunes, tout les journaux qui disent du mal du jaune, se font chasser de leurs lieu de travail ou doivent se cacher encasqué derrière la police pour pouvoir filmer du noir.

         

        L’usure des forces de police a long terme, le pousse-a-la-faute d’inviter des mercenaire, le pousse-a-la-dépense de mobiliser 160.000 bottes chaque samedi a Paris, pour n’avoir personne a aligner dans tout le reste du pays.

        .

        Pour vous servir, vive la France et le Peuple :)

        Le sous sous sous ministre par intérim vous souhaite de bonnes fétes.

        ++

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