Hélène Castel : du cogito à l’incognito
Prescription oblige, à quatre jours près, la justice n’aurait pu que donner quitus de son passé à Hélène Castel. Commence, en effet, aujourd’hui son étrange procès devant la Cour d’assises de Paris, pour le braquage de la BNP, à Paris, auquel elle a participé le 30 mars 1980 en compagnie de six autres comparses. Ces desperados, nés de la mouvance post soixante-huitarde, dans laquelle naîtra Action directe, avaient confondu révolution et délinquance. Peu doués pour la voyoucratie, ils échouèrent. Une fusillade s’ensuivit, avec les policiers, et un apprenti bandit fut abattu tandis qu’Hélène s’enfuyait sur un cyclomoteur volé.
Trois de ses complices furent arrêtés et condamnés, en 1984, à des peines allant de 5 à 10 ans de réclusion. L’un fera des études de médecine en prison, passera le difficile concours de l’internat et est, aujourd’hui, psychiatre ; l’autre est historienne, et le dernier, artisan. Les deux premiers ont fait l’objet d’une réhabilitation judiciaire, laquelle est en cours pour le troisième. Ils ont tourné définitivement la page.
Entre temps, Hélène est partie en cavale, s’est installée au Mexique, sous le nom de Florencia Rivera Martin ; elle est mère d’une jeune fille, a repris des études et est devenue psychothérapeute. Elle aussi avait presque tourné la page. Mais Nicolas Sarkozy venait de créer l’Office central chargé des personnes recherchées ou en fuite, et Hélène a été l’une de ses premières captures grâce, notamment, aux écoutes du téléphone de son père, le sociologue Robert Castel, avec lequel elle n’avait jamais rompu les liens. Elle a été arrêtée le 12 mai 2004, par la police mexicaine, à son domicile de Jalapa.
Du droit à l’anonymat
Si l’ontologie doit prendre place dans les débats judiciaires, c’est bien à l’occasion de ce procès.
Tout d’abord, qui va-t-on juger : !’adolescente en dérive, fille d’intellectuels trop occupés à mener leurs combats idéologiques pour s’intéresser à son éducation, n’ayant pas encore compris que la violence est toujours la manifestation d’un échec, ou cette femme posée, insérée dans l’existence, jetant sur son passé un regard critique sans complaisance ? Entre les deux, vingt-cinq ans se sont écoulés. Un être en devenir s’est métamorphosé en adulte responsable. En jugeant le premier, nous condamnons le second. Il n’est pas sûr que la justice y trouve son compte.
Et puis, il y a, également, ses trois anciens acolytes qui, depuis, ont purgé leur peine et changé, totalement, de destin. Ils se retrouvent précipités dans leurs souvenirs, avec le risque de voir jeter leurs noms à la pâture publique. Ils n’ont d’autre choix que de comparaître en audience publique, juridiquement en tant que témoins, mais moralement contraints. Vis-à-vis des jurés, ils sont l’illustration parfaite que les hommes progressent et savent tirer les leçons de leurs erreurs. A une époque où nous condamnons sans espoir de salut, leur exemple incite à la réflexion.
Un débat s’est instauré parmi les chroniqueurs judiciaires : faut-il ou non révéler leurs patronymes, compte tenu de l’ancienneté des faits et de leur réinsertion sociale exceptionnelle, que la divulgation de leurs errements criminels risquerait d’anéantir ?
Rien n’est prévu dans ce cas, et le journaliste reste seul face à son éthique. Jusqu’à présent, il semble que la presse, dans sa majorité, prône l’anonymat. Mais une telle attitude, pour respectueuse qu’elle soit des personnes en cause, fait l’objet de critiques. Elle oblige à tronquer des documents d’archives, afin de ne pouvoir identifier les braqueurs de l’époque. Et surtout, fait-on remarquer, on n’a pas eu ces égards pour les enfants d’Outreau, dont les noms ont été dévoilés à longueur d’éditions, ni pour les futurs acquittés, présentés, en gros titres, comme coupables avant même d’avoir été inculpés et au mépris de la présomption d’innocence.
Car les médias ont leur part de responsabilité dans ces déclarations fracassantes et ces vies brisées. Souvenons-nous de « l’affaire Grégory » et des torrents de boue, de délation, de marchandages qu’elle a charriés. Seul un journal a présenté des excuses à Christine Villemin, Libération.
Aujourd’hui, pour exister dans une société de l’image, il faut être victime ou agresseur, pédophile ou violé, masochiste ou imbécile. Le mal nous attire, et le bien indiffère.
Il faut espérer qu’Hélène Castel ressorte libre de la Cour d’assises, et que son année de détention soit sa seule peine. Quant à ses trois anciens compères, ils ne devraient pas trop se faire de soucis pour la préservation de leur anonymat. Ils s’en sont trop bien sortis pour qu’ils intéressent des journaleux.
Photo : AFP
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