Indice des prix de l’INSEE : les limites d’utilisation
Deux articles récents publiés dans Agoravox ont abordé le problème de l’indice des prix (1,2), véritable outil de mesure de l’augmentation du coût de la vie. Cet indice est aujourd’hui discuté car il ne semble pas refléter l’évolution perçue des prix et du pouvoir d’achat. Examen des données.
« Je n’y arrive plus », « Tout augmente », autant de phrases entendues ou dites par tous... Les causes sont multiples. Citons l’augmentation de certains prélèvements obligatoires, ou les nouveaux besoins des Français, par exemple en matière de téléphonie et d’internet, qui ont eu un impact fort dans leur budget. De même le passage à l’Euro et son coût réel devraient être examinés en regard des bénéfices tirés par les pays de la zone Euro en termes de stabilité économique. Enfin, la liberté des prix ne s’est pas révélée être toujours une bonne chose, car la concurrence n’est pas réellement garantie, et le consommateur reste démuni face aux nombre d’offres ou à la complexité des informations comparatives. Tous ces points ne seront pas discutés ici. En revanche, l’accusée principale reste une inflation, supposée être plus forte que celle mesurée par l’indice des prix de l’INSEE. Il est donc légitime de se pencher sur le mode de calcul de cet indice et sur des dérives constatées.
Un indice pour tous
et pour personne
L’indice des prix est établi par le relevé de prix des produits et de services par les agents de l’Etat, transmis ensuite aux statisticiens de l’INSEE. Les statisticiens ont calculé un « panier » de consommation moyen, en tenant compte de différents paramètres affectant sensiblement ce panier, tels la composition du ménage (personne seule, couple mariée sans ou avec enfants, etc.), le lieu d’habitation (grandes villes, banlieue, province, campagne, dom ...). Une péréquation, fondée sur la structure globale des ménages, permet ensuite de calculer un indice moyen (3). Première constatation : l’indice publié est donc à la fois l’indice de tout le monde et celui de personne (4). Cette remarque, plusieurs syndicalistes et politiques se la sont faite. Thierry Breton est même allé jusqu’à proposer la publication de quatre indices (5), correspondant à différentes typologies de familles. Attendons de voir si ces bonnes paroles seront suivies d’effets.
Un secret bien gardé
Il est ensuite légitime de se pencher sur la composition du panier.
Correspond-elle vraiment à ce que les ménages achètent ? L’INSEE (3)
l’affirme. Cependant, là, nous abordons un des secrets les mieux gardés de
De plus, des interrogations se font jour si l’on examine la composition moyenne de ce panier, composition qui est disponible (3). On constate par exemple que 10% de l’indice est constitué par des biens et services non référencés. On constate aussi que le logement représente en moyenne 13,6% des dépenses. Cette valeur prend-elle en compte le remboursement des intérêts des prêts immobiliers ? Selon nos informations, la réponse serait non. Se fonde-t-elle sur des relevés de loyers réels ou sur le coût de l’indice de la construction ? Mystère. En tout cas - il s’agit d’une illustration du fait que l’indice des prix est celui de tous et de personne - ce chiffre semble sous-évalué quand on connaît le niveau d’endettement des ménages (30% des revenus affectés au remboursement d’emprunt étant un cas fréquent), la charge que représentent les loyers, et la progression du coût de l’immobilier en général en France (de 10 à 20% en moyenne selon la FNAIM). Enfin, raisonnons par l’absurde. Si l’on divulguait cette liste, et si l’on retenait l’argument de l’INSEE, des pressions devraient se faire jour. Celles-ci ne peuvent que s’exercer à la baisse (on ne comprendrait pas qu’un magasin ou qu’un gouvernement soit fier d’augmenter les prix et tire avantage de cette publicité !), donc vers une modération de prix. Cela ne pourrait ainsi que bénéficier au consommateur. Dès lors, pourquoi s’en priver ? Et pourquoi cacher ce panier ?
Les hausses déguisées
et invisibles
Autre problème lié au calcul de l’indice des prix :
celui de l’indisponibilité d’articles ou leur remplacement par des produits non
équivalents. Pour comprendre ce problème, il faut savoir que les agents de
l’Etat ne relèvent que les prix des mêmes produits achetés aux mêmes endroits.
La liste est réactualisée en revanche tous les ans. Il est très fréquent que
des fabricants remplacent un emballage par un autre, le volume ou le poids d’un
produit par un autre, entraînant une impossibilité de comparaison. Or, ces
modifications sont souvent accompagnées d’une hausse très sensible du prix. Les
fabricants arguent de leur côté d’un meilleur « service rendu »
(meilleur bouchon, prise en main, etc.), mais ce point reste très discutable.
Des exemples de telles manipulations sont régulièrement donnés par le magazine Que-Choisir ? En voici quelques-uns pris au hasard : remplacement d’une cartouche d’imprimante par une autre, de la même marque mais contenant 40% d’encre en moins (6), adoucisseur textile en bidon de 750 ml comparé à la même marque mais en doses lessive, hausse de prix +83%, lessive en bidon d’1,5 comparée à la même lessive en dosettes, + 126% (7), etc. Curieusement, les produits les moins chers disparaissent des rayons ; la hausse y reste en revanche, toujours invisible pour l’INSEE puisque les produits ne sont plus comparables ! Ces hausses dissimulées concernent aussi la santé : des témoignages de lecteur de 60 Millions ou de Que Choisir révèlent que le prix de certains génériques est supérieur à celui des médicaments prescrits, et que le prix de médicaments « déremboursés » (donc a priori moins contrôlés) avait augmenté sur le même lieu de vente de 1000% (8) !
Certains services publics ont aussi eu recours à ces changements tarifaires statistiquement invisibles. Ainsi un aller-retour en TGV entre A et B qui coûtait 100 euros l’année dernière coûtera 125 euros cette année parce que l’horaire est passé de « période creuse » à « période de pointe ». De même, la Poste proposait l’année dernière des envois en « colieco » pour la France (moins de 500 g) à un peu plus de 4 Euros. Début janvier, le service a été supprimé, et remplacé par un colissimo à 5,10 euros. Augmentation de 15% au bas mot, complètement invisible pour l’indice des prix. Pourtant, pour le consommateur qui cherchera à aller de A à B, ou à envoyer un colis au tarif le plus intéressant, la hausse est réelle et sensible. Il est difficile d’estimer le montant de cette « dissimulation » d’augmentation, mais des enquêteurs de Que Choisir m’ont indiqué qu’elle représentait de 10 à 15% des produits répertoriés dans leurs études de prix. Une hausse moyenne de 50% sur ces produits, cas fréquent, implique donc une hausse cachée des prix de 5% environ... Cette impossibilité de comparaison n’est pas donc virtuelle. Elle a été confirmée à Agoravox par des agents de la DGCCRF, aussi impliqués dans le relevé des prix et des services. L’INSEE la reconnaît à demi-mot en parlant de produits et de services de qualité non équivalente (3).
Des prix furtifs, à
géométrie variable
Un autre biais plus récent a été constaté dans la grande distribution, où de nombreux Français se fournissent en produits de consommation courante. Il s’agit de l’existence de divergences fortes entre les prix portés sur les linéaires (les rayons) et ceux facturés à la caisse. Ces différences sont dans 95% des cas favorables au magasin, et peuvent atteindre sur un produit donné plus de 40%. Le plus souvent, elles se limitent à environ 15 %, et deviennent difficiles à repérer. Point critique, ces hausses sont furtives et restent invisibles pour l’INSEE, puisque seul le prix affiché est enregistré ! Elles le sont aussi pour le consommateur. Il devient dès lors important de noter les prix des produits sur les produits eux-mêmes avant le passage en caisse. Dès lors, un retour à l’étiquetage individuel obligatoire des produits serait peut-être une bonne chose !
Un outil soumis à de fortes pressions
L’indice INSEE joue un tel rôle dans la vie économique du
pays qu’il est tentant pour quelque gouvernement que ce soit, d’exercer des
pressions sur les statisticiens de l’INSEE. Celles-ci ont été particulièrement
fortes en 2004, ce qui a valu un certain nombre de mises au point de
l’intersyndicale de l’INSEE. On pouvait lire sur un de leurs communiqués :
Ce débat [sur la validité de l’indice des prix à la consommation] doit
prendre place hors de la pression politique liée à la conjoncture immédiate et pour un autre indice (des prix en grandes surface), L’INSEE produit un
indice dont il n’est pas très fier, eu égard aux pressions subies pour le
réaliser (9)... On ne saurait être plus explicite.
Le véritable problème lié à l’indice des prix reste son
utilisation dans le cadre social, puisqu’il sert de base à toutes discussions
sur l’augmentation des salaires et des retraites, ou au réajustement des
pensions alimentaires. Or l’indice des prix ne mesure pas le pouvoir d’achat
des ménages. C’est bien là d’ailleurs la limite de son utilisation. Toujours d’après
l’INSEE (3), ce pouvoir d’achat (mesuré par l’indice du même nom) n’augmente
plus ou presque plus entre 2002 et 2004. Quant au niveau de vie, c’est-à-dire au revenu
disponible des ménages par tête, il a baissé en 2002, 2003 et 2004, les
chiffres pour 2005 et 2006 n’étant pas disponibles. En relation avec ce qui
précède, le revenu des ménages a aussi baissé sur la même période. Nous étions
fin 2004 sensiblement au même niveau qu’en 2001 ! Or sur la même période,
la hausse des prix avoisinait 10%.
Le décalage fort qui existe entre indice INSEE des prix et inflation perçue est donc lié à trois facteurs au moins :
-
le fait que l’indice des prix est un indice moyen qui
correspond à tous et à personne ;
-
des augmentations de prix et de services cachées pour
les statisticiens de l’INSEE ;
-
le fait que l’indice des prix ne mesure pas le pouvoir
d’achat des ménages, celui-ci ressortant en baisse entre fin 2001 et 2004.
La perception qu’ont les Français de ce décalage correspond à un sentiment partagé. Ce décalage était d’ailleurs, dès 2003, à son plus haut niveau depuis 30 ans (10).
Références
- Laurent
Guerby. Inflation et transparence. Agoravox 2006.
Url : http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=16006. - La
taverne des poêtes. Pouvoir d’achat,
entre fantasmes et réalités. Agoravox 2007.
Url : http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=16992 - Site de l’INSEE - Indice des prix
Url : http://www.insee.fr/fr/indicateur/indic_cons/indic_cons.asp - Florent
Latrive, Tonino Serafini. L’indice Insee sur les prix en accusation.
Libération 14 Décembre 2006. - Thierry
Breton. Conférence de presse trimestrielle, 19 décembre 2006
http://www.finances.gouv.fr/presse/discours/ministre/tb0612191.php - Que-Choisir n°412, p15, 2004.
- Pas de quoi s’emballer, Que Choisir n° 423, p 48-52, 2005.
- Que Choisir n°419, p 14, 2004.
- http://cgtinsee.free.fr/dossiers/Travaux%20Insee/indice%20des%20prix/indicedesprix.htm
- Direction
de la prévision. Ministère des Finances. Novembre 2003
http://www.minefi.gouv.fr/fonds_documentaire/Prevision/dpae/pdf/2003-118-20.pdf
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