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Kate ou la collision des imaginaires

On peut être irrité du battage médiatique ou passionné par la vie rêvée des anges. On peut parler de non-événement. On peut mettre ce mariage anglais en comparaison d’importance avec le tsunami du Japon ou les difficultés économiques.

D’une manière ou d’une autre, par le rejet ou par l’adhésion, le mariage de Kate et William participe à notre représentation du monde. Il y participe d’abord parce que la médiatisation en fait un événement mondial. A moins de vivre dans une forêt sans presse ni télévision on ne peut l’ignorer.

Les différentes lectures possibles sonnent le rappel des imaginaires. Et leur collision.

Une lecture moderne, dans une société ancrée dans la démocratie, pointe l’anachronisme d’une royauté dont le sens et l’utilité n’ont plus d’évidence. Un discours critique parfois acerbe s’est développé. Certains en appellent à la remise en usage de la guillotine pour en finir avec cette famille assimilée à une caste d’exploiteurs. D’autres se demandent ce que peuvent bien avoir de plus ces deux personnages pour mobiliser ainsi une ville et autant de médias. Et il est vrai que la notion de royauté est incompatible avec la notion d’égalité.

De la violence verbale à la presque dévotion exprimée envers cette famille anglaise, la palette des sentiments exprimés est large. Comment ne pas être tenté de simplifier le monde et de dire : « Puissent-ils être heureux », comme si à travers eux nous le souhaitions à nous-mêmes, comme si leur union mettait en exergue nos propres unions réussies ou nos séparations désastreuses. Comment, dans un autre élan de simplification, ne pas décocher des flèches meurtrières à ces exploiteurs du peuple ? Comment supporter de voir ces sourires anglais sur les petits écrans alors qu'il y a moins de deux mois un tsunami faisait près de 30'000 morts et disparus ? Oh, je ne m'inquiète pas : on apprend très bien à tout supporter. la preuve : on a déjà oublié les morts, les gens déplacés, on ne parle plus que de centrale et de nucléaire...

La réalité n’est jamais très simple et la lecture que nous en faisons ne la rend que partiellement et imparfaitement. Mais comment passer aux pertes et profits un événement qui suscite autant de passion et de ferveur en Angleterre ? Comment ne pas lui reconnaître une valeur symbolique forte ?
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Dans les imaginaires des petites filles et des petits garçons il y a des princes et des princesses. Ils et elles ne sont pas des représentants du pouvoir matériel : ils sont des allégories. Quand un prince épouse une princesse, dans un conte, il représente la valeur donnée à et reçue d’une personne considérée comme unique, comme dotée d’une grande valeur et non interchangeable. Dans l’imaginaire le prince et la princesse donnent valeur au couple et alimentent un rêve de pérennité amoureuse. N’est-ce pas tentant de pouvoir aimer et être aimé toujours, sans perte, sans souffrance ?

Dans la réalité sommes-nous vraiment des princes et des princesses dans nos couples ? Avons-nous réalisé nos rêves ? L’époque moderne propose de nouvelles mythologies, dont celle du couple multiple. Aujourd’hui il n’est pas prévu de durer une vie ensemble. On fera deux, voire trois couples majeurs ou mariages. Les stars qui souvent préfigurent ce que vivront les anonymes, font déjà des contrats de séparation quand ils se marient !

Face à cela, ce mariage princier - parce qu’il est si exposé publiquement - est à la fois la réminiscence d’un rêve amoureux absolu, et le constat de son échec douloureux au moins une fois sur deux. La réalité n’est pas le rêve. L’imaginaire amoureux est à la fois exalté et mis à mal par cette représentation lisse et si parfaite du bonheur.

Un autre imaginaire peut se lire dans l’ascension de Kate. Petite-fille de mineurs, fille de parents devenus riches par leur propre moyens, enfant qui rêvait d’être princesse, elle fait aboutir son rêve et passe de l’ombre à la lumière. C’est Cendrillon.

Mais très vite, j’imagine que cela lui sera reproché. On la traite d’ailleurs déjà comme une arriviste. On l’admire et on lui en veut en même temps d’avoir transgressé les limites de son milieu. Elle est déjà l’objet de cette admiration et de cette haine, miroir de nos désirs et de leurs inévitables frustrations. Collision des imaginaires : quand l’enfant veut devenir roi on l’admire.




Et puis il y a cette royauté. Gênant la royauté à notre époque. Une royauté dont certains voient avant tout le symbole de l’unité du pays, de la pérennité des choses, de la garantie d’une démocratie (rappelons-nous qu’en Espagne la monarchie constitutionnelle a permis l’instauration de la démocratie), et dont d’autres voient la tyrannie ancienne, le pouvoir absolu. La réalité est peut-être quelque part à cheval sur ces deux visions. Le pouvoir monarchique a été l’une des premières formes d’organisation du pouvoir à large échelle, celui-ci ayant par ailleurs des devoirs et non seulement des privilèges : protéger le pays contre les pillards et les envahisseurs, rendre la justice, entre autres. Et dans la symbolique intérieure la royauté c'est le gouvernement de soi-même, la non-dépendance émotionnelle et intellectuelle à l'égard des autres, la stabilité de ses décisions.


Ce qui se joue dans le mariage de Kate et William ne peut être réduit à l’image télévisuelle, ni au coût financier de cette opération de communication mondiale. L’événement rapporte autant qu’il coûte, en argent mais aussi en valeur symbolique et en sentiment d’appartenance.

kate2-4.jpgEt en rêve. Il rapporte en rêve ce que la réalité de nos vies décousues a coûté. Oh, il ne saurait combler nos déficits. Car le déficit c’est le réel, là où notre imaginaire obscur, fait de souffrances, de désillusions, de programmations d’échec, de manques jamais comblés, conduit à l’abîme nos désirs et notre rêve d’être durablement prince ou princesse, d’être aimé au-delà des contingences, au-delà de nos limitations.

Ce mariage réactive et ré-ancre ce rêve. Ce qu’il y manque c’est : comment fait-on pour le réaliser ? Il faudrait remonter en amont du mariage : vers ce qui fait nos vies, nos schémas de fonctionnement, nos éducations, nos peurs, notre préparation à la vie, notre capacité à voir à long terme et à gérer l’altérité. C’est en amont que la valeur se crée.

Kate, dit-on, a toujours rêvé d’être princesse. C’est bien en amont de sa rencontre avec William qu’elle s’est donné cette valeur. Alors nous pouvons bien détester la stupide inanité de ce mariage, ou au contraire vivre du bonheur par procuration. Mais ici et maintenant, que décidons-nous de faire de nos vie ? Cela nous appartient, là, tout de suite.

Le réel nous renvoie des catastrophes, des échecs sublimes ou terribles, des colères, des larmes, des dépendances. Mais notre imaginaire n’est pas tenu par ce réel : il peut le transformer. La décision nous appartient.


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11 réactions à cet article    


  • hommelibre hommelibre 2 mai 2011 09:53

    Il manque une phrase à la fin du paragraphe 11 :

    « Collision des imaginaires : quand l’enfant veut devenir roi on l’admire. Et quand il le devient on le lui reproche. »


    • Fergus Fergus 2 mai 2011 10:12

      Bonjour, Hommelibre.

      Cet évènement apporte quelque chose « en rêve », écrivez-vous, et vous avez raison de le souligner. Mais c’est bien là que le bât blesse : que des peuples soient fascinés par un mariage princier, au point souvent d’en oublier le réel et de se laisser rouler dans la farine des diversions, relève du même aveuglement que pour le football ; là aussi on évoque très souvent le « rêve » alors que les moeurs de ce milieu sont à vomir. Deux « rêves » très différents mais qui cachent, tous deux, bien des turpitudes et des secrets inaouables.

      En définitive, la seule attitude raisonnable est celle de la petite nièce, en bas à gauche de la photo : rester sourd(e) à tout ce cirque, à ce grand déballage indécent...

      Cordialement.


      • hommelibre hommelibre 2 mai 2011 10:18

        @ Fergus :

        Je vous entends bien et partage en partie votre point de vue. La petite fille est en effet tout aussi symbolique ! Et souligne l’aspect paradoxal de l’événement.

        Oui il y a risque que le rêve endorme les souffrances du réel et aveugle sur sa condition.

        Mais n’est-ce pas utile, en partie au moins ? N’y a-t-il pas un rêve qui nous fait nous relever des chutes et des désastres ? Je crois beaucoup à la fonction positive, dynamique, du rêve sur la motivation de l’humain.


        • Fergus Fergus 2 mai 2011 10:59

          @ Hommelibre.

          Le problème vient du fait que ce genre de rêve est exactement le même que celui que les monarchies ont offert aux peuples, souvent asservis, durant des siècles : « réjouissez-vous, braves gens, participez à la fête, éclatez-vous, oubliez que demain vous recommencerez à trimer sous la schlague pour des clopinettes ». Voilà la symbolique de ce genre de rêve.

          Le rêve qui devrait motiver les classes populaires est celui qui a conduit à la Commune de Paris, aux révoltes des Canuts, au grands mouvements sociaux de l’ère industrielle : celui d’une vie meilleure et de l’assurance de pouvoir élever sa famille dans la dignité. Comparé à ce rêve-là, les mariages princiers ne sont que des avatars des romans-photos pour midinette et pour décervelés !

          Bonne journée.


        • hommelibre hommelibre 2 mai 2011 18:05

          Fergus, les rêves de liberté sociale que vous décrivez sont des temps très forts, et ils sont aussi nécessaires.

          Aujourd’hui je ne le ferais pas de la même manière que pendant la Commune mais j’aurais été avec les insurgés à cette époque.

          Et j’ai besoin de plusieurs rêves différents pour faire mon chemin dans la vie.

          Bonne journée.


        • paul 2 mai 2011 11:04

          Le rêve est sans doute nécessaire, de temps en temps, mais ce qui est insupportable, c’est la démesure d’un évènement auquel nous devons assister, sauf à éviter radios et télés pendant au moins 48 h . Il n’y a rien de plus important .
          Voir cet article de Julien Salingue sur Acrimed, ( j’espère que mon lien va fonctionner ) .

           http://www.acrimed.org/article3583.html&nbsp ;&nbsp ;


          • hommelibre hommelibre 2 mai 2011 18:02

            Paul : j’étais dans le même état d’esprit : ne rien lire ni écouter pendant 48h. Cela me gonflait à l’avance. Jusqu’à vendredi midi, où sur internet j’ai vu l’arrivée de Kate. Et là j’ai vu autre chose, qui m’a parlé.

            Oui il y a une démesure, totale. C’est ce qui en fait un rêve planétaire, et un tel symbole. Cette démesure est peut-être nécessaire pour donner un sentiment différent que ce qui nous matraque depuis l’hiver : le Japon, la politique, la violence banale du quotidien, etc. Le contrepoids de la dépression mondiale doit être à la même mesure.

            Personnellement j’ai du coup fait le choix d’adhérer à ce que cet événement représente de positif.


          • cevennevive cevennevive 2 mai 2011 14:44

            Hommelibre, bonjour,

            « Le réel nous renvoie des catastrophes, des échecs sublimes ou terribles, des colères, des larmes, des dépendances. Mais notre imaginaire n’est pas tenu par ce réel : il peut le transformer. La décision nous appartient. »
             
            Très juste phrase :

            1° Elle peut être « renversée » :

            Le réel nous renvoie des amours, des bonheurs, des joies, des amitiés, des tendresses enfantines. Mais notre imaginaire n’est pas tenu par ce réel : il peut le transformer en crainte de tout perdre, en peur de la solitude, du vide. La décision nous appartient.

            Je ne veux rien prouver en disant cela hommelibre, je veux simplement vous dire que cette remarque : la décision nous appartient est très juste : pourquoi ne l’appliquez-vous pas à votre spleen ?

            Quant à l’actualité : mariage princier, canonisation, mort d’un soit-disant terroriste, cette dernière phrase est encore plus juste : la décision nous appartient : de participier ou pas,
            de croire ou pas, de regarder ou pas.

            Cordialement,


            • hommelibre hommelibre 2 mai 2011 17:56

              @ Cevennevive :

              Je comprends votre suggestion. En ce qui me concerne je choisis de lutter contre un idéologie que j’estime dangereuse et anti-démocratique, le féminisme radical et marxiste. C’est ma décision en l’état des choses.

              Mais ce n’est pas ma raison de vivre ! Je publie bientôt un roman, à fin mai ou mi juin, chez Publibook : « Le diable en été ». J’en parlerai plus quand il sortira. Mais si vous avez l’occasion de le lire vous verrez un tout autre aspect de moi, et mon affection pour les femmes à travers trois personnages féminins que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire.


            • Dominitille 2 mai 2011 15:25

              Le soi-disant terroriste est-ce Jean-Paul II ou Ben Laden ? Car il est vrai que l’Eglise Catholique qui déplore la mort de cet homme ne sait pas comment laver ses propres mains rougies du sang de milliers de victimes au cours des siècles ;

              Coucou HommeLibre.
              Encore dans les froufrous ?


              • hommelibre hommelibre 2 mai 2011 17:58

                Ah, Dominitille, les froufrous... Terrible ça...

                J’aime les femmes, passionnément, et ça ne me passe pas !

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