L’amitié entre hommes, une denrée rare !
L’amitié, la vraie, non le terme trop souvent galvaudé pour qualifier quelques vagues connaissances et relations de bureau ou de palier est exceptionnelle, elle devrait être préservée. Celui qui se déclare de nombreux amis n’en a souvent en réalité aucun. Les réseaux sociaux sur Internet ne sont que des cache-misères affectifs, masquant en fin de compte un manque de communication réelle entre individus et lorsque les rapports humains sont déconnectés des nouveaux moyens de communication, il ne reste pas grand chose.
Avec un ami, on se parle, on se voit, on s’engueule quelquefois, on ne lui envoie pas uniquement des mails et des SMS. Celui ou celle qui se targue de 127 amis sur Facebook si ce n’est plusieurs centaines, est souvent dans l’incapacité de trouver quelqu’un chez qui sonner quand cela va vraiment mal ou au contraire pour partager une bourriche d’huîtres à 2 heures du matin avec une bouteille de chablis quand tout va très bien. Parler et voir les autres dérange désormais, on ne vient plus à l’improviste chez les gens, même si on les connaît intimement. On téléphone au préalable ou encore mieux, on envoie un message, une non-réponse signifiant peut-être absence de réseau ou une batterie à plat, mais surtout le désir de ne pas être importuné. Tout est fait pour se protéger de l’intrusion de l’autre et laisser le filtre de la technologie moderne pour éviter le contact physique ou la réponse de vive voix qui pourrait blesser, offenser ou tout simplement déranger. Bientôt dans notre société, le contact vocal sera lui aussi réduit à sa plus simple expression et l’homme communiquera dans les magasins, commerces et administrations par écrans tactiles, scanners et claviers. Cela peut malheureusement avoir aussi un impact négatif sur les relations plus intimes entre individus. Jadis, les enfants et les adolescents collectionnaient les images et les billes, puis les timbres-postes, ils les échangeaient entre eux dans la cour de récréation en discutant ou se chamaillant avec véhémence. Pour les plus jeunes dorénavant, c’est à qui aura le plus d’« amis » possibles et de photos sur la page d’accueil de son site personnel. Peut-on haïr, mépriser ou tomber amoureux d’un avatar ? Il semble hélas que oui pour des individus vivant dans un monde où la limite entre le réel et le virtuel est devenue floue.
L’amitié est rare, si ce n’est exceptionnelle et le bon sens voudrait que l’on utilise le mot ami avec modération et non à tort et à travers pour qualifier n’importe quel peigne-cul rencontré dans une supérette, à une fête ou au restaurant d’entreprise et encore moins sur le Net. Mais cette amitié ne peut s’exprimer pleinement que dans l’action ; les discussions, la complicité, la réciprocité ne prenant de la valeur que ponctuées « d’actes de bravoures épiques et festifs » qui lui donnent son véritable sens et font les inoubliables souvenirs. Bien qu’ils aient eu souvent épouse, famille et enfants, les Grecs de Sparte, d’Athènes ou de Thèbes donnaient une place primordiale à l’amitié tant dans leur mythologie que dans leurs écrits et leur actes. Et contrairement au monde contemporain, ils pouvaient intégrer dans cette amitié une composante homosexuelle sans que personne n’y trouvât à redire, il n’y a qu’à relire le Banquet de Platon pour s’en convaincre. De nos jours, l’amitié entre hommes a éliminé cette dimension, même si certains calendriers sportifs faisant l’éloge du muscle et de l’effort collectif puissent en faire douter ! L’amitié virile, bien qu’elle ne soit ni ambiguë ni teintée d’attirance physique consciente est fortement imprégnée de complicité, de dépendance, de communication et d’exclusivité que l’on retrouve aussi dans l’homosexualité. Les vrais amis font tout et beaucoup mieux ensemble qu’avec des femmes, sauf coucher et se caresser. Beaucoup d’hommes n’en ont pas véritablement conscience, bien qu’ils passent plus de temps avec leurs amis et copains qu’avec leur épouse ou leurs enfants. Et la seule chose que des amis n’osent pas faire ensemble, c’est de prendre le petit déjeuner dans une chambre à deux lits, histoire de voir s’il ne leur viendrait pas des sentiments plus intenses en se beurrant mutuellement des toasts. Deux hétéros qui partagent une chambre d’hôtel pour des raisons d’économie, descendront en salle à l’heure du petit déjeuner. La plupart des hommes ont du mal à admettre qu’ils éprouvent entre eux des sensations bien plus fortes que lorsqu’ils sont en couple ou en famille. Il est d’ailleurs paradoxal de constater que dans l’imagerie populaire, celui qui est toujours à la maison, qui rentre chez lui immédiatement après le travail, qui accompagne sa femme pour faire ses courses et s’occupe des gosses, les débarbouille et les torche, est traité de « lavette » ou de « lopette » par ses potes, alors que celui qui passe le plus clair de on temps au bistro, à la chasse ou sur un terrain de sport entre mecs, est considéré comme un homme et non comme une « tapette », même quand il reluque d’un air goguenard les couilles de ses copains sous la douche en sortant des blagues grasses dans les vestiaires.
L’amitié exemplaire, celle d’Oreste et Pylade, de La Mole et Cocanas, de Montaigne et La Boétie sont édifiantes, à la limite du réalisme, mais elles traduisent une complicité au quotidien qui peut être faite de rire, de connivence, de légèreté et d’actes un peu fous qui donnent du goût à la vie. Hélas, les contraintes, l’argent, les obligations sociales, professionnelles et familiales, ainsi que l’ambition et la course au pouvoir, fût-il minime, menacent cette amitié qui n’est souvent idéale que dans les livres. L’amitié entre hommes mariés s’arrête souvent à l’heure où il faut retourner chez soi pour ne pas se faire engueuler. « Buvons encore une dernière fois, à l’amitié, l’amour la joie, on a fêté nos retrouvailles, ça me fait de la peine mais il faut que je m’en aille », geint bien souvent l’homme marié en quittant prématurément le bistro après avoir regardé fébrilement sa montre avant de rentrer soumis à la niche. La petite chanson du Néo-zélandais Graeme Allwright datant des années 60 est toujours d’actualité ; plus beaucoup de place pour les anciens copains quand on vit en couple avec des enfants, ou gare au divorce ! Alors, faute de mieux, les couples se fréquentent entre eux et organisent des barbecues le dimanche. Ils prennent l’apéritif en discutant d’un ton badin et routinier du boulot, des gamins ou de futilités pendant que la marmaille joue dans le jardin et ce cadre touchant finit le plus souvent par des mesquineries et des médisances, quand il ne dérape pas en adultères croisés et en minables histoires de cul banales entre amis avec toute l’hypocrisie et la dissimulation qui siéent à ce genre d’aventures étriquées. Le barbecue du dimanche est souvent le meilleur moyen de se retrouver cocu et content.
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