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Accueil du site > Actualités > Société > L’amour et le choléra au temps de la « post-vérité »...

L’amour et le choléra au temps de la « post-vérité »...

 Aux vendanges de l’amour, la cuvée épouse, millésime après millésime, la falsification des gestes et du verbe en une ère d’insécurité ontologique montante… Dans le sillage du tsunami médiatique de MeeToo précipitant le crépuscule du mâle, le philosophe et sociologue Raphaël Liogier propose son explication de sexes dans un ouvrage de circonstance invitant à se dégager du nœud retenant bien en deçà de l’amour…

 

Que s’est-il passé depuis le néolithique ? L’anthropologue Marshall Sahlins voyait advenir voilà 35 000 ans la naissance du capitalisme – et de la capitalisation du corps des femmes par un pouvoir mâle qui leur fait toujours tant d’ombre…

Justement, depuis, en quel temps vivons-nous vraiment ? Un jeune philosophe, Raphaël Liogier, constate que « la soumission des femmes s’est inscrite dans la symbolique des civilisations »…

En tant qu’homme « européen, citadin, occidental, nanti, blanc, hétérosexuel, bref a priori non discriminé », le philosophe engage sa parole pour évoquer ce monde qu’il partage avec les femmes – ce monde dont il leur aurait été interdit de jouir et où, décidément, il manquera « toujours quelque chose » à la pleine satisfaction et à la jouissance partagée par l’un et l’autre …

Comment retrouver une communauté de destin dans le vacillement des identités sexuelles, à l’heure de la mainmise biopolitique sur les gestes de l’amour ?

 

De la femme capital(e) à la femme absolue

 

Depuis les temps les plus reculés, les hommes sans qualités vivent « sur le dos des femmes » - un « véritable détournement de la richesse » …

La présumée « angoisse masculine face au pouvoir reproducteur de la femme » et à la « surpuissance de la femme libre »(cet « envers du sentiment d’impuissance masculine ») se prolongerait depuis des millénaires en « mâlitude culturellement construite »… Raphaël Liogier n’en doute pas : « La virilité dominatrice est née du sentiment d’impuissance des hommes face au fantasme d’une force débordante des femmes »…

Et la « vision capitalistique » du corps de la femme perdurerait jusque dans une bien biodégradable « littérature moderne » tenant du mode d’emploi et de gestion adapté à l’ère de la célérité ayant perdu patience et de la téléprésence au monde…

Rien ne semble avoir changé depuis les contes d’antan - ceux à ne surtout pas grandir : « La fable de la Belle au bois dormant va à l’essentiel. Elle donne une image de la femme fragile, délicate, passive qui s’endort dans l’attente de son prince charmant sans même le savoir. Pendant cent ans. Autant dire une éternité moins une étreinte. Tout comme Blanche-Neige ou Cendrillon, la Belle au bois dormant n’a de valeur que celle que l’homme lui confère royalement. L’amour du prince est volontaire. L’amour de la pauvrette, de la souillon, ou de la délicate qui se pique avec un fuseau, est, à l’inverse, toute réceptivité. (…) Le mythe de Cendrillon et celui de Blanche-Neige en reste cependant au niveau social, suggérant que la future princesse n’était qu’un capital exploitable avant sa rencontre avec l’homme qui jette sur elle son dévolu. » Un prince sinon rien – pourvu qu’il en ait le plumage, le ramage, l’image et l'abattage…

Le philosophe explorateur des mutations de l’identité humaine rappelle le mythe de Lilith dans la Genèse, la « vraie femme originelle et entière », qui « se voulait l’égale de l’homme et en fut damnée pour l’éternité » - « l’ancêtre des sorcières du Moyen Age et des hystériques du XIXe siècle » - coupable, forcément coupable, depuis nos origines de plus en plus reculées jusqu’à l’actuelle mise au pas économique ne laissant plus rien subsister de ce qui pourrait être « hors de prix » …

Depuis, tourne le moulin de nos cœurs en un manège désenchanté en des temps où le consommateur pressé veut être servi sur le champ et dévorer les fruits non défendus de l’amour sans pépins avant même d’en avoir planté la petite graine…

 

La guerre des sexes est-elle déclarée ?

 

L’onde de choc de « l’affaire Weinstein » comblerait-elle enfin les « attentes » et l’emballement médiatique suscitera-t-il enfin un mouvement global vers un vrai commencement d’un absolu compagnonnage entre les deux pôles du monde ? MeToo constitue-t-il vraiment un « mouvement historique majeur » qui irait à « la racine des choses » ? La question est fondamentale - et la dérobade toujours de mise : qu’est-ce qu’une femme dans le regard des hommes du XXIe siècle ?

Avant que le producteur Harvey Wenstein ne tombe de si haut à force d’avoir abusé de sa supposée « supériorité » ( ?) sociale de mâle dominant, ne vit-on pas un « féminisme » pourtant volontiers victimaire et non moins vindicatif refusant de voir des atteintes caractérisées et massives à l’intégrité des femmes lors de la tristement célèbre nuit du 31 décembre 2016 à Cologne ?

Après 35 000 ans de névrose collective, de révolution pornolithique et d’omerta, voilà enfin la « chasse aux porcs » ouverte sans permis ni sommation – la peur change enfin de camp et la justice fera le tri entre vrais prédateurs piégés et tir aux pigeons collatéraux… L’intelligence du cœur attendra son heure quand le déferlement cèdera la place au discernement …

La sororité reste toujours à construire, à en juger la tribune publiée dans Le Monde du 9 janvier dernier. Signée par cent femmes (dont Catherine Deneuve) revendiquant pour les hommes le « droit d’importuner » comme une licence pour un « droit de cuissage » soft au nom de la « séduction », elle confond « l’insistance importune et le vrai flirt » : « Dans le premier cas, on ne respecte pas le consentement d’autrui ; dans le second, on le cherche au contraire : mieux, on se plaît à l’obtenir. C’est tout l’attrait du vrai jeu de séduction. » Mais la « séduction » insistante n’est-elle pas négation de l’altérité ? N’est-ce pas ce qui précisément empêche d’entrer dans une relation d’équilibre ?

Si le harcèlement consiste en avances non désirées, comment déclarer sa flamme à une femme, fût-ce au nom de la « liberté de séduire », sans être intrusif et la mettre « mal à l’aise » ?

Dans une société « liquide » où l’on évalue la « valeur » de chacun, le jeu de la rencontre entre egos et égaux est celui de « l’évaluation » qui fait entrer dans un moment de reconnaissance sociale majeure quand bien même les relations entre individus fluctueraient sur le mode de la flexibiité, de la jetabilité ou de l’interchangeabilité… Longtemps, rappelle le philosophe, la femme, considérée comme une propriété, une bonne fortune un bien fongible dont on jouit sans lui consentir le droit à la jouissance, s’est couchée de bonne heure : « Un capital ne jouit pas : il est objet de jouissance. (…) L’homme offre son statut. La femme offre son corps. Comme tout capital, la femme est évaluable. Sa beauté, ses formes, son teint, son éducation raffinée lui donnent du prix. Ce qui est rare est évidemment plus cher. D’où l’importance de la virginité. Le corps féminin apparaît comme un bien fongible, corruptible « à l’usage ». Jamais pénétré, il est considéré comme absolument neuf. Si la virginité n’est plus le prérequis social qu’il a été, le fantasme de la virginité paraît loin d’être révolu, alors que des milliers de jeunes filles mettent aujourd’hui à prix leur première relation sexuelle sur Internet, avec des montants allant jusqu’à des millions de dollars. »

Le « cœur du problème », c’est le regard dégradant des hommes sur le corps des femmes qui réclament la souveraineté sur leur corps – un « regard toujours néolithique » insiste le philosophe : « Tant que la reconnaissance peine et entière de leur souveraineté corporelle ne sera pas acquise, les femmes ne seront pas concrètement les égales des hommes. (…) La question n’est pas d’éliminer la séduction, mais de sortir de l’idée diffuse que les femmes ne savent pas totalement ce qu’elles veulent. »

Le « cœur du problème », c’est cette « excision préventive opérée sur le corps et la conscience des femmes » - jusqu’à l’ultime ruse de la raison économique qui recycle l’appel à la liberté en injonctions à consommer « tout, tout de suite », transformant le corps humain en objet de plaisir séparé de son sujet dans une farce mercantile dont la femme se retrouverait encore la dinde plus ou moins consentante là où les actrices du X sont érigées en nouvelles Mariannes cathodiques...

Pourtant, le mythe de Romeo et Juliette ou de l’amour salvateur n’ont pas pris une ride – et demeurent le bon filon d’une industrie culturelle qui en universalisent le fantasme…

Longtemps, les femmes jouaient sur les marges qui leur sont laissées comme elles se jouent des hommes empêtrés dans leur présumée domination : « Pourquoi est-ce « gratuit pour les filles » dans certaines boîtes de nuit ? Nullement par respect de leur personne, mais parce que leur présence garantit l’attractivité du lieu. Si les hommes voient encore communément les femmes comme des paquets cadeaux qu’ils se disputent, les femmes ont intériorisé le jeu. Elles perçoivent leur corps comme un objet de jouissance à négocier. »

Aujourd’hui, « dans les couples contemporains, les deux partenaires savent l’un comme l’autre qu’ils peuvent facilement assouvir ailleurs leur désir sexuel » - libre aux femmes de s’aligner sur le présumé « modèle masculin » et de battre les hommes sur leur propre terrain dans un contexte de compétitivité effrénée…

Pour « l’homme moderne », vivre l’amour au temps des écrans et d’un turbocapitalisme dont les deux mamelles seraient malbaise et malbouffe, c’est « ne plus utiliser le corps des femmes pour se rassurer » - sans consentir pour autant à sa dévirilisation. C’est « grandir vers elles au lieu de chercher à se grandir à travers elles » en se libérant de son atavique « mâle peur ». C’est « vivre avec elles l’interdépendance sans dépendance » et se « différencier sans se discriminer »... C’est « chercher la réciprocité » - avec leur aide… Comme disait Annie Leclerc, ce serait épouser enfin l’humain là où il se fabrique, non plus là où il s’empêche…

Ainsi, aimer serait consacré acte vraiment libéré dans le respect d’une « nouvelle féminité indépendante de l’impérium viril » et une « virilité transvaluée » privilégiant la « maîtrise de soi dans le respect de la transcendance de l’autre », mettant en jeu une physiologie au-delà du consommable et du falsifiable, plus proche de la vision de Rimbaud : « Oh, nos os sont revêtus d’un nouveau corps amoureux »…

Raphaël Liogier, Descente au cœur du mâle, Les Liens qui libèrent


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