Avant Jules Ferry, une partie (réduite) de la population était intéressée par l’éducation des enfants (en sa seule partie scolaire ou scholê donc intellectuelle, pas trop en sa partie hygiénique physique). Et ces personnes étaient des religieux + des précepteurs en très petit nombre.
Après Jules Ferry, il y a eu énormément de hussards de l’éducation qui avaient comme objectif profond d’amener les enfants à une vision plus scientifique refusant les superstitions et refusant même les interrogations métaphysiques. Ce combat étant idéologique, il a attiré du monde, fait des vocations tant il y avait soudain des millions d’enfants à instruire et avec des budgets prioritaires absolument inédits.
Puis, il y a eu la montée de l’hygiénisme, du soin à accorder au corps, à la bonne santé et dans la même école, devenue laïque, on s’est mis à faire du sport la grecque quasiment sans rien réinventer (disque, marteau, javelot, course, saut). On a aussi donné à manger aux enfants.
Cet hellénisme, que déjà les protestants d’avant Ferry reprochaient à l’université issue du Moyen Age, aura aboutit à un renouveau du culte du corps et les plus laïcistes qu’étaient les socialistes de l’Est auront forcé sur ce culturisme que n’a pas dénié l’arianisme.
Comme après Freud, il y a eu Dolto et Antier, on s’est mis à considérer fortement la dimension psychanalytique de l’enfant en inversant encore plus le regard sur lui. Autrefois, un enfant était d’abord imparfait et il fallait le rendre parfait. Vers 1950, on était arrivé à une vision inverse où c’était l’enfant qui était un ange et l’adulte un pervers. Frapper un enfant devenait criminel. Exit l’ancien « qui aime bien châtie bien »
La fonction de l’EN et des éducateurs professionnels a donc fortement évolué et leur trop grande, trop complète, trop profonde implication dans les enfants qui leur étaient confiés aura abouti, dans ce mouvement vers plus de tendresse, à bien des cas d’authentique amour de type Héloïse et Abelard (Cf Gabrielle Russier). Se sont alors ouverts des procès édifiants (qui n’auraient pas pu avoir lieu sous Ferry) où le rôle de l’éducateur devenait susceptible de diabolisation alors qu’ils n’étaient que la conséquence d’une dérive sociale vers le puérilisme.
Plus l’enseignant était susceptible de passer pour un monstre pour avoir trop aimé son enseigné, plus son autorité a décliné, plus il se faisait petit face à l’autorité morale de l’enfant qui gagnait en puissance. Et cela pendant que les textes de loi punissaient plus gravement quiconque était en position d’autorité officielle.
Lorsque Bayrou avait gilfé un ado qui lui fouillait les poches, c’est sur cette problématique autorité officielle accordée à l’adulte + politicien Vs autorité morale accordée à l’enfant + pauvre que s’était situé le débat. Sur ce coup, cet adulte « en position de force officielle » s’en était bien tiré mais ça a été limite.
Une gilfle de plus, par exemple, et il se serait retrouvé dans le trou réservé aux diables
(le gamin s’en étant sorti sans aucun reproche social)
Ici, vous exposez une problématique qui s’énonce par le seul biais budgétaire. Or, en 1885, cette problématique pécunaire ne serait pas posée tant chacun était au contraire fier et empressé d’éduquer les enfants. On arpentait le monde pour les éduquer et en faire de bons enfants de la Patrie
Si de nos jours, il y a des réticences à éduquer des enfants et si ces réticences s’exposent par le biais pécuniaire (en invoquant par exemple le fait qu’ils ne sont pas de la commune), c’est surtout parce qu’il y a des réticences morales et qu’on ne sait pas les énoncer.
Nous ne sommes pas loin du moment où toute personne bossant avec des enfants sera soupçonnée de chercher avec eux quelque relation non prévue au Programme.
L’éducation de l’enfant est devenue une patate chaude tant pour les profs que pour les maires que pour les parents.
Si l’on persiste dans la voie du puérilisme angélique, plus personne ne voudra se charger d’enseignement (sans jamais avouer que c’est en raison du trop grand risque de déraper et d’être alors diabolisé)
Si l’on revient à la voie dure qui marque une grande distance affective, on sera taxé d’autoritarisme, de conservatisme ringard ou de retour aux âges des cavernes.
Le film « Le Cercle des poètes disparus » montre que si un prof se compromet un tant soit peu dans l’anormalisme, il risque gros en cas d’accident. (Dans ce film, on ne voit pas le prof finir en prison et tout finit sur une scène de solidarité avec lui de la part de ses élèves-libérés mais c’est en principe le sort qui l’attendait)