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La double éthique culinaire

 

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Lors d’un récent entretien avec NeoRestauration [1], Thierry Marx a défendu le « fait maison » et le label « restaurant de qualité » créé par le Collège Culinaire de France auquel il appartient. On retrouve la position de protecteur de la gastronomie authentique et indépendante très récurrente dans la bouche des grands chefs. Explications :

Thierry Marx, comme à son habitude, est plein de phrases choc nous donnant l’impression d’avoir à faire à une personne vraiment intransigeante envers cette industrie agroalimentaire qui agit de « manière déloyale » envers les restaurateurs. Voici donc un extrait de ses déclarations :

« Le fait maison, c’est le minimum qu’un restaurateur, quel qu’il soit, doit à son client…mais qu’au moins, les plats qui figurent sur la carte soient transformés à 80% voir 90% dans la maison, à partir de produits bruts »

 « Ce qui me pose problème en revanche, ce sont les produits de 5ème catégorie : aujourd’hui, il y a plus de cartons que de produits transformés dans les poubelles de certains restaurateurs »

 « Un petit artisan qui forme un apprenti, qui se donne la peine d’aller au marché, qui a 3 ou 4 plats à la carte, qui se trouvent en concurrence avec des gens qui ont des cartes longues comme le bras, uniquement composés de produits de 5ème catégories, pour moi, c’est insupportable. Et c’est au détriment du patrimoine culinaire français »

Il n’oublie pas, bien sûr, en tant que membre du Collège Culinaire, de tacler un peu le titre de Maitre Restaurateur, titre qu’il juge « assez administratif et peu contrôlé » alors que le label Ducassien, Restaurant de qualité, est quand à lui « bien plus fort » que ce dernier.

Qui ne serait pas d’accord avec les propos tenus ci-dessus ? Pas grand monde. Il se pourrait même que les PDG des multinationales qui fournissent les produits qui semblent agacer Thierry Marx soient – à titre personnel – d’accord avec lui …

Petit rappel sur Thierry Marx

Au préalable, il est nécessaire de rappeler que Thierry Marx, notre pourfendeur de l’industrie et de ses utilisateurs, – mais aussi nombre de ses confrères – n’est pas exactement la personne la plus habilitée à tenir ce genre de discours en considération de ses partenariats avec Danone pour les produits Badoit, de son rôle d’ambassadeur de So French, So Good en Israël, la nouvelle campagne de promotion des produits agroalimentaires français à l’exportation, de sa position de président du jury du concours Président Professionnel (Lactalis), ou encore du fait que son « employeur » de Top Chef n’est autre que le groupe Metro Cash and Carry. Il a aussi créé en 2013 le Centre français d’innovation culinaire (CFIC) dont on apprend que :

« Du côté des professionnels, le CFIC est en contact avec des grands groupes agroalimentaire, car la recherche est également destinée à l’industrie. » [2]

Il est également intervenu en 2012 comme consultant pour la chaine de restaurants Sushi Shop.

Sushi Shop, chaîne française de restauration rapide japonaise, transforme-elle 90% de ses plats sur place à partir de produits bruts ?

 

Le rôle des clubs de cuisine des grands chefs

Cette fois encore, si nous voulons comprendre les tenants et les aboutissants de ces problèmes, ce n’est pas le discours culinaire des grands chefs qu’il nous faut écouter mais celui de leurs financiers qui, eux, n’ont pas autant besoin de s’embarrasser de baratins sophistiques.

Une de nos publications antérieures avait déjà clairement exposé que le monde de la gastronomie était largement financé par des grands groupes agro-industriels [3]. Lors d’une des manifestations d’un de clubs de grands chefs, le Culin’R Academie, qui est une émanation d’Unilever Food Solution, Olivier Brault, directeur général France du groupe a fait une déclaration très éloquente concernant leur fonction :

« Elle [La Culin’R Academie] permet d’inspirer les restaurateurs pour leurs prochaines créations et l’élaboration de leurs cartes. L’accent est mis sur les tendances du moment, les plats de saison et les techniques susceptibles de magnifier les saveurs des plats, les présentations et de gagner parfois du temps » [4]

Est-il besoin de préciser que c’est avec des produits de 5ème catégorie que nos grands chefs doivent mettre en œuvre leurs talents pour convaincre ces fameux restaurateurs que Thierry Marx semble tant mépriser ?

Bruno Oger, chef conseiller culinaire de Unilever Food Solutions se produit en démonstrations privées durant des Festivals. L’occasion de montrer le potentiel des fonds Knorr Professional.

Comme souvent lorsqu’ils sont pris la main dans le panier, nos grands chefs nous expliquent que le but de ces collaborations est d’améliorer la qualité de ces produits. Même si ceci reste évidement à prouver, admettons qu’ils soient de bonne foi. Pourquoi alors, deviendrait-il problématique, à leur yeux, pour un restaurateur d’utiliser ces produits alors que ce sont eux, en grande partie, qui les développe et nous en vante les bienfaits ?

Après tout, comme le fait remarquer Thierry Marx lui-même dans cet entretien pour NeoRestauration, on n’attend pas du restaurateur qu’il fasse son pain où sa charcuterie, un boulanger ainsi qu’un charcutier fournissant le restaurant suffisent. Alors, dans la mesure où nos grands chefs garantissent aux restaurateurs la qualité de ces produits de 5ème catégorie, comme le charcutier du coin lui garanti la qualité de ses jambons, pourquoi en serait-il autrement avec ces produits ?

Ignoraient-ils donc que les grandes marques telles que Knorr, Président Professionnel et bien d’autres, les ont engagés et financés afin de mettre en place et promouvoir des produits destinés à la restauration commerciale ?

Identifiant symbolique positif et négatif

En fait ce que nous voyons se dessiner ici n’est rien de moins qu’une forme de mépris de la part de nos grands chefs. Pour ces derniers, aussi longtemps que la collaboration avec l’industrie agroalimentaire les concerne, elle doit forcément être un identifiant symbolique positif, à savoir l’amélioration du goût, de la qualité et de l’éternel : « Je suis fier de travailler avec Fleury Michon depuis vingt ans. Je crois que les chefs ont fait beaucoup évoluer ce secteur. Nous avons contribué à éliminer toutes les boîtes à pharmacie et les additifs. » (Joël Robuchon). [5]

 Par contre, comme l’illustre bien les propos de Thierry Marx, précédemment cités, dès qu’elle concerne les autres restaurateurs, cette collaboration avec l’industrie (qui passe finalement pour eux simplement par l’achat de ces produits) devient forcément un identifiant symbolique négatif, c’est-à-dire : destruction de l’artisanat, mépris du client, avarice etc…

Il serait nécessaire que nos « journalistes » gastronomiques fassent remarquer à Thierry Marx et sa bande de toqués qu’il y a un lien évident entre la généralisation de la collaboration des grands chefs avec l’industrie (du club et de l’association de cuisine au financement de projets en passant par le développement de produits) et le progrès que celle-ci a effectué ces dernières décennies dans la restauration et qu’on pourrait, par conséquent, alors considérer ces Messieurs-Dames comme les catalyseurs de la destruction de l’artisanat qu’ils prétendent défendre.

Ils devraient également mettre le doigt sur le partenariat de nombreux grands chefs avec des chaines de restaurants, boulangeries ou pâtisseries, car il n’y a pas de situation plus oxymorique que celle ou l’on prétend défendre l’artisanat tout en travaillant au développement de ces chaines… [6]

Ces contradictions d’apparences, mais qui n’en sont en fait pas, peuvent s’expliquer par le fait que c’est l’exceptionnalisme culinaire de nos grands chefs qui rend leurs affaires si prolifique. Effectivement, quel serait leur capital culinaire ainsi que l’attention portée à leur discours dans une société ou les artisans – au nom de qui ils parlent à longueur de temps – seraient majoritaires ? Probablement bien amoindri…

Il se pourrait donc qu’il n’y ait pas seulement des affinités économiques mais aussi idéologiques entre nos grands chefs et l’industrie agroalimentaire, puisque ces deux catégories ont besoin, l’une pour des raisons d’extension du marché et l’autre de valorisation, que l’artisanat soit réduit à un minimum.

Il est probablement important pour nos grands chefs d’aider l’industrie à se développer, tout en montrant du doigt les autres restaurateurs qui utilisent ces mêmes produits afin de mettre en valeur leur propre travail (et finalement étendre eux aussi leurs marchés), sans jamais, bien entendu, remettre en cause sérieusement ce qu’ils trouvent «  insupportable ».

Conclusion

Pour conclure, à propos des « journalistes », il serait intéressant qu’Emmanuel Rubin – critique gastronomique et co-auteur du livre noir de la gastronomie dans lequel il s’en prenait aux chefs soumis aux diktats de l’industrie agroalimentaire- nous fasse une petite enquête sur le sujet maintenant qu’il a terminé, rappelons-le, son Tour de France à bord d’un van aux couleurs de la marque Panzani à la recherche du chef qui trouvera la recette de demain pour l’industrie agroalimentaire ! [7]

Un concours culinaire professionnel réservé aux chefs restaurateurs, et une finale organisée à l’Institut Paul Bocuse  sous l’œil attentif d’Emmanuel Rubin.

.

Comment se fait-il également que Périco Légasse ne fasse jamais le lien entre les grands chefs et cette industrie autrement que lorsqu’il s’agit de chefs étrangers (Ferran Adria, René Redzepi…) ou quand il s’agit de descendre en flèche un "ami" (Jean-Pierre Coffe) qui est pourtant à un niveau largement inférieur que nos grands chefs en matière de collaboration avec l’industrie ? Est-ce parce qu’Alain Ducasse, en lui prêtant les locaux de son école pour son ancienne émission Toques et politiques, a trouver un moyen de s’acheter son silence ? Ou bien est-il, lui aussi, dans le deux poids, deux mesures ? [8]

Romain R

[1] Neorestauration, Le fait-maison mieux valorisé sur les cartes : http://www.neorestauration.com/article/le-fait-maison-mieux-valorise-sur-les-cartes,27559

[2] Que cache l’appellation "Restaurant de qualité" du Collège culinaire de France ? : http://www.egaliteetreconciliation.fr/Que-cache-l-appellation-Restaurant-de-qualite-du-College-culinaire-de-France-18426.html

[3] L’industrie agroalimentaire, partenaire officiel de la gastronomie mondialisée : http://www.egaliteetreconciliation.fr/L-industrie-agroalimentaire-partenaire-officiel-de-la-gastronomie-mondialisee-17204.html

[4] Culin’R Académie par Unilever Food Solutions, avec les chefs étoilés Bruno Oger et Mathieu Viannay : http://www.lechef.com/culin%E2%80%99r-academie-par-unilever-food-solutions-avec-les-chefs-etoiles-bruno-oger-et-mathieu-viannay/

[5] Joël Robuchon et Cyril Lignac : du rififi dans les fourneaux : http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2007/07/27/01006-20070727ARTMAG90414-du_rififi_dans_les_fourneaux.php

Joël Robuchon multiplie les projets : http://www.lhotellerie-restauration.fr/hotellerie-restauration/articles/2007/3048_27_septembre_2007/Joel_Robuchon_multiplie_les_projets.htm

[6]Cyril Lignac, Jean-François Piège et Thierry Marx et Sushi Shop : http://fr.sushi-maki.com/actualites/sushishop-sushi-haut-de-gamme.html

La Boite à pizza : Depuis plus de 2 ans, l’enseigne collabore avec des grands chefs étoilés dans le cadre de son opération la Pizza des Grands Chefs  : http://www.laboiteapizza.com/fr/

Les frères Pourcel travaillant pour Délifrance, fournisseur de chaines :http://www.hellocoton.fr/to/yCcv#http://www.pourcel-chefs-blog.com/blog1/2013/06/19/delifrance-fete-ses-30-ans-de-presence-en-asie/

[7 La Bataille des Chefs à l’Institut Paul Bocuse : http://www.institutpaulbocuse.com/fr/ipb/la-bataille-des-chefs-a-linstitut-paul-bocuse

[8] Toques et Politique et l’école de cuisine Alain Ducasse : http://www.lcp.fr/emissions/toques-et-politique

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6 réactions à cet article    


  • jako jako 30 avril 2014 10:34

    Merci, tous les groupes produisant de la « food » dont unilever , mars danone etc utilisent à fond la carte marketing/lobbying. Les magasins low-cost ont maintenant des produits industriels (comme delicieux) avec en photo un chef connu souriant et un pakaging très convaincant et le prix est ajusté précisément (pas trop cher mais pas bon marché non-plus) merci de votre article.


    • foufouille foufouille 30 avril 2014 12:11

      Alors, dans la mesure où nos grands chefs garantissent aux restaurateurs la qualité de ces produits de 5ème catégorie, comme le charcutier du coin lui garanti la qualité de ses jambons, pourquoi en serait-il autrement avec ces produits ?

      - dans ce cas c’est une cantine ou un self, pas un restaurant


      • marmor 30 avril 2014 14:36

        Prenez une petite ville, prenez une zone industrielle avec un cinéma/hangar, tout autour, des enseignes de bouffe industrielle comme Buro, la pataterie, pizza hut, ou le chinois « à volonté, tout compris », ils sont tous plein à 21 heures, pendant que les petits restos du centre ville qui cuisinent sont vides , pour une addition éqivalente. Pourquoi s’emmerder à cuisiner pour des incultes du palais qui ne differencient pas une côte d’agneau d’un morceau de collier, qui ne mangent pas de poisson à cause des arêtes ou preferent des patates bien grasses et réchauffées trois fois à un flan de courgettes maison. Ces gens bouffent de la m... parce qu’ils n’aiment que ça !


        • julius 1ER 1er mai 2014 09:58

          l se pourrait donc qu’il n’y ait pas seulement des affinités économiques mais aussi idéologiques entre nos grands chefs et l’industrie agroalimentaire, puisque ces deux catégories ont besoin, l’une pour des raisons d’extension du marché et l’autre de valorisation, que l’artisanat soit réduit à un minimum

          @l’auteur,
          c’est tout le problème et la dichotomie qui existe entre les grands groupes industriels et les PME, qui sont traitées comme si elles étaient en compétition à l’international alors que cela ne concerne que le 1/4 des entreprises en France..... chercher l’erreur, mais cela est dû au fait que l’on a privilégié les grands groupes pendant des décennies pour des raisons financières.... MacDo rapporte bien plus à l’état que la Boulangerie du coin.... je me souviens de l’inauguration d’un Macdo dans les années 90 par martine Aubry, au nom du travail et de l’emploi créé par cette entreprise ....cette duplicité on la retrouve à tous les étages de la fusée la saga Danone dans le années 90 qui fermait des usines ultra_modernes en France pour en ouvrir de semblables au nom de la compétitivité internationale(sic) en Roumanie ...on continue à nous prendre vraiment pour des cons et en ce 1er Mai où l’on célèbre la Fête du Travail avec 5 millions de chômeurs il serait bon que les gens s’intéressent d’un peu plus près à la chose économique car les zélites sont vraiment les fossoyeurs de l’économie française.......

          • zygzornifle zygzornifle 1er mai 2014 10:55

            Grâce au gouvernement Hollande les resto du cœur mettent les bouchées doubles ....


            • Rincevent Rincevent 1er mai 2014 17:29

              « Le goût est affaire d’éducation ». Eh oui tout est là ! Ça commence par les petits pots pour bébés. Quelque soit l’intitulé, une lecture rapide de la composition donne, largement en tête, la farine de maïs (ça fait des gros bébés). Pour ce qui est de la dinde, du veau ou du poisson, si vous y trouvez 10 % ce sera déjà beaucoup… Plus tard, l’enfant ne sera pas en contact avec les quatre saveurs de base (salé/sucré/acide/amer) et ne fonctionnera qu’avec le binôme salé/sucré (beaucoup de sucré).

              A partir de là, il est formaté pour avaler la tambouille industrielle actuelle, il n’aura jamais rien connu d’autre.

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Romain Redouin

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