La fuite des cerveaux : choix égoïste ou réaliste des diplômés ?
En ces temps de résultats du bac, la question de l’avenir des jeunes Français se pose. Continuer en école, à l’université ou entrer sur le marché de l’emploi ? Les universités et campus français vont subir une réforme amenant à la mort des petits campus et à la surpopulation des gros campus. Cela sera-t-il suffisant pour conserver nos jeunes diplômés ? De rendre la France plus attractive aux yeux des « cerveaux étrangers ? Pas sûr !

Prenons un exemple, un jeune docteur ès Sciences de la Vie (biologiste) se retrouve dans le grand bain et doit choisir que faire de son diplôme. Tous les organismes de recherche (Inserm, CNRS, INRA...) lui conseillent d’aller se forger une expérience à l’étranger, puis de revenir en France pour candidater à des postes de fonctionnaire (chargé de recherches, maître de conférences...). Même son de cloche du côté des compagnies privées. Notre bac+8 se fait donc une raison, il doit partir à l’étranger. D’un point de vue financier il sera souvent gagnant puisqu’un post-doctorant (dénomination d’un docteur sans poste fixe) gagne en moyenne 1 760 € net en France contre 2 323 € en Europe du Nord et 3 166 € au Japon (chiffres de 2005, attention, les couvertures sociales ne sont pas les mêmes). Une majorité des jeunes docteurs s’expatrie donc aux Etats-Unis, au Canada et certains restent en Europe. Ces jeunes diplômés restent post-doctorants 1 à 9 ans (moyenne de 3 ans), dans différents pays puis s’ils le souhaitent, ils peuvent rentrer en France. Il lui reste à trouver un emploi de chercheur en France. Pour ce faire, il doit commencer un nouveau post-doctorat en France afin de pouvoir postuler en candidat "local" et avoir le soutien d’un laboratoire sur place et souvent d’un chef d’équipe politiquement influant. Si notre docteur est chanceux, il sera fonctionnaire six ans après avoir obtenu sa thèse, comme 50 % de ses collègues jeunes docteurs, mais que deviennent les autres ?
Deux principaux problèmes se dressent sur la route d’un étudiant en thèse (omettons le problème du financement qui est un mal récurrent), l’obligation de s’expatrier et le manque de postes disponibles à son retour en France.
Le premier est lié à l’infrastructure même des laboratoires de recherche français. Etant très peu internationaux (dans le personnel), n’envoyant que très rarement les étudiants en collaboration à l’étranger, le cursus dépourvu de seconde voire de troisième langues. Tous ces facteurs empêchent le futur docteur de se créer son propre réseau ouvert sur l’international, il doit donc partir à l’étranger pour le faire, et avoir le courage de revenir en France dans un laboratoire qui sera à nouveau peu ouvert sur l’international.
Le second est une conséquence du manque de prévoyance des politiques de recherche depuis des décennies. Pourquoi donner la possibilité à de nombreux étudiants de faire une thèse si ce n’est pas pour les employer après ? Il y a un manque de corrélation évident entre la capacité de formation et la capacité d’employer, et ce phénomène ne touche pas que les étudiants en thèse, le cas inverse existe en médecine : pas assez de médecins formés à cause d’un concours de première année trop restrictif et la France manque de praticiens. Le nombre de postes proposés étant très limité, les post-doctorants ayant déjà fait l’effort de s’adapter à un nouveau pays peuvent baisser les bras et faire leur carrière à l’étranger. Ne perdons pas non plus de vue le coût exorbitant pour la formation de l’étudiant du bac à bac+8.
Existe-t-il des solutions ? Bien entendu, mais aucune n’est miraculeuse. L’objectif d’un financement de la recherche à hauteur de 3 % du PIB était une promesse de J. Chirac, nous sommes encore assez loin de ce chiffre qui rendrait notre système de recherche attractif pour nos jeunes docteurs, comme pour les étrangers. Ensuite, le fonctionnariat est une plaie qui sclérose le système de recherche, ce système permet à des chercheurs sans motivation ni résultat de rester employés par l’Etat toute leur vie ; mais attention, il y a aussi cette sécurité de l’emploi qui permet de travailler dans la sérénité et d’être concentré sur son objectif de recherche. La solution est sans doute intermédiaire. Les promesses sous forme de « plans » sont le reflet d’une grande méconnaissance du sujet par nos politiciens. Le « plan cancer de J. Chirac, ou le « plan Alzheimer » de N. Sarkozy donnent de l’argent à un domaine spécifique de la recherche. Mais il n’y aura pas un doublement des effectifs des personnes travaillant sur le domaine, juste plus d’argent pour ceux qui travaillent déjà sur le sujet. Si la possibilité était donnée d’employer les gens quatre ou six ans renouvelables, l’efficacité de ces « plans » serait démultipliée. Enfin, l’ouverture du système français sur l’internationalité, avec des recommandations dans chaque centre de recherche d’avoir des post-doctorants ou chercheurs étrangers ; faciliter les échanges et collaborations, au moins intra-européens ; et bien sûr, insister dès les premières années dans le cursus scientifique sur les langues étrangères et ne plus avoir ce complexe face à l’anglais, qui est la langue de l’échange scientifique international. Il ne serait pas non plus totalement déplacé de demander au nouveau diplômé une sorte de retour sur investissement, travailler quelques années aux services de l’Etat, encore faudrait-il que l’Etat puisse lui proposer un emploi.
Pour le moment les nouveaux bacheliers fêtent leurs résultats, espérons que la France trouve le chemin pour offrir aux futurs docteurs la possibilité d’exercer dans leur pays, s’ils le souhaitent, le métier pour lequel ils ont été formés (et bien formés, les diplômés français sont très appréciés à l’étranger).
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