Le sacro-saint sport
Et autour de nous, quelles sont les associations les plus nombreuses de loisir ? les sportives. Dans les Ministères ? Le sport a le droit à une inscription en toutes lettres au fronton de nos institutions. Cette dimension institutionnelle que nous donnons au sport m’interroge : "Ministère de la jeunesse et des sports" pendant des années, puis "Ministère de la santé et des sports". Carrément. Santé et sport, ce serait donc forcément lié.
Ah bon ? A trente cinq ans, les grands sportifs ont des rotules de vieillard. Les joggers du dimanche, suant corps et eau sur le bitume des trottoirs ou des allées des parcs pour "faire du sport" envoient à chaque foulée une pression monumentale sur leurs vertèbres. Plus ils sont lourds, plus la pression est forte puisqu’elle dépend du poids qui bondit et retombe sur le bitume. Pas terrible si on n’a pas prévu les bonnes chaussures. Et évidemment, plus on se sent "gros", plus on se dit qu’il faudrait "faire du sport".... Sarkozy même, au début de son mandat ne jurait lui aussi que par le jogging et entrainait avec lui ses ministres...
Je ne critique pas le sport en tant que tel, mais la place que me semblent lui donner nos sociétés.
Les grands évènements sportifs sont d’autres bizarreries. Paris 2012, Annecy 2018.... Que de passions déchainées pour être la star mondiale pendant.... 15 jours ! Que de millions aussi ! Pour faire campagne, pour construire...
Déloge-t-on des tourbières, des agriculteurs, des familles pour les équipements ? C’est pour le sport ! Prenons Annecy : si la ville gagne sa candidature, des éleveurs du pays de Reblochon vont perdre leur AOC, car ils n’auront plus assez de prairies pour faire leur propre fourrage. A moins que pour l’occasion, on abaisse les contraintes de l’AOC.... Après tout, c’est les JO merde !!
Avec comme argument ultime "quel modèle pour la jeunesse d’un pays que regarder ses champions !". C’est l’argument qui tue : l’éducation de nos enfants, leur élévation... Que répondre en effet à cela ?
Mais qu’est-ce que le sport ? "Le dépassement de soi, l’esprit d’équipe"... Oui. Mais cela n’est pas spécifique au sport.
Soyons concret : le sport c’est surtout du "toujours plus haut, toujours plus loin, plus vite, toujours plus plus plus...."
C’est le culte de la puissance érigé en idéal ultime. Ce corps qu’il faut dominer pour le soumettre à courir, sauter, frapper, marquer...
"Toujours plus". La place donnée au sport ne serait-elle pas à l’image de tout le reste ? Toujours plus de croissance, toujours plus de consommation, être toujours plus belle, plus fort, toujours plus performant.... C’est un motif récurrent de nos sociétés.
Toutes nos écoles apprennent à nos enfants, nous ont appris à nous-mêmes et à nos parents, à dominer notre corps....
Mais je n’ai pas le sentiment qu’on enseigne autant à l’écouter. Nous apprend-on à sentir nos articulations, nos noeuds lymphatiques, nerveux, nos muscles tendus ou détendus ? Nous apprend-on à discerner nos cycles d’éveil et de repos, qui régulent notre sommeil mais aussi notre productivité et créativité dans la journée ? Nous apprend-on à détendre ce corps, le dénouer, le relâcher... et au fur et à mesure, à le connaître et à mieux le piloter ?
Non.
Ca ne nous choque pas. C’est ancré dans nos structures mentales. Ce rapport au corps comme une nature à soumettre est une constituante de notre société. Et la place que nous donnons au sport ne se fait-elle pas au détriment d’un autre rapport à notre corps ?
Un copain me racontait l’autre jour que sa femme avait proposé dans l’école de leurs enfants de mettre en place une activité yoga. Yeux ronds de l’équipe de l’école. Ils ne croient pas au succès mais tentent l’essai quand même. Il a fallu ouvrir deux cours tant le nombre d’inscrits était grand.
Sport versus Yoga.... Domination du corps versus contrôle ? Culte de la performance versus culte de l’équilibre ?
Dans le sport, nous voulons soumettre notre corps et le dominer. Pour accéder au désir du mètre, de la seconde ou du but gagné (ou, et cela touche plus de monde...du kilo perdu ! ). Qu’importent les rotules, les disques vertébraux écrasés, les chutes de tension et j’en passe....
En fait, n’avons-nous pas dans nos sociétés, le même rapport à notre corps que celui que nous avons avec la Nature ? Une ressource à plier, soumettre, asservir pour accéder à nos désirs.
Et pour cause, notre corps, c’est la nature. C’est le morceau de nature que nous avons de plus proche. Et qui fonctionne selon les mêmes lois.
L’histoire du yoga de mon copain est elle aussi assez révélatrice me semble-t-il : nos sociétés sont en train de changer de paradigme. De la même façon qu’une frange minime encore, mais de plus en plus importante, réclame la valeur de l’équilibre par rapport à celle de la domination, dans cette école, une frange non négligeable des élèves préférait faire du yoga que du sport, à la grande surprise des responsables, toujours pris dans le paradigme du sport comme seul rapport physique au corps.
Et pour continuer la réflexion sur le sport : Foot, la puissance d’une peste émotionnelle, de Marc PERELMAN, parue ce jour dans Libé.
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