Le verre de l’amitié
L'envers du décor.
Mérite-t-il vraiment son nom, ce verre d'alcool que l'on sert à ses visiteurs. S'il ouvre le bal d'une rencontre, d'une soirée, d'une réception publique ou, d'un vernissage, il scelle le lien indéfectible entre convivialité et alcool comme si l'empathie se mesurait en degrés et que la sympathie réclamait quelques glaçons pour réfréner les ardeurs.
Ce verre d'ailleurs mène grand train au point de se dresser fièrement sur son piédestal pour accueillir les reines de la fête, les bulles qui montent au cerveau et entraînent l'appétence fatale. Leur robe du reste se pare de différentes couleurs pour apporter un parfum d’exotisme à ce curieux maléfice. La soirée sera arrosée …
D'autres suivront alors, cherchant toujours à trouver le flacon qui sied au contenant qui contrairement au proverbe, à besoin de son écrin particulier pour promettre l'ivresse des sens et bientôt de son consommateur. Ce verre de l'amitié se transforme bien vite en ribambelle de godets, tous plus ouvragés les uns que les autres.
Il est vrai que les degrés augmentent au fur et à mesure de la soirée, sans doute pour suivre l'évolution des décibels et de la température interne de chacun des buveurs. Le verre se met en quatre et souvent en bien plus, pour au final, parvenir au bouquet final. Un bouquet qui du reste se présente le plus souvent en gerbes.
Ce verre de l'amitié est un fort mauvais diable, un de ceux qui ne se tire pas par l'aqueux à moins de lui glisser une liqueur jaune à coup de dosettes anisées. Il pousse à la consommation, bien aidé en cela par de désastreux complices salés à l'extrême pour vous mettre en condition. Chips, cacahuètes et autres amuse-gueules sont en fait des pousse au crime, des ruines gosiers de fort mauvais alois.
Le louchissement du pastis est plus que louche. Il provoque le seul ruissellement qui vaille, celui qui conduit à la perte de ceux qui cèdent à la tentation. De flutes en ballons, de coupes en godets cristallins, seul l'esprit du buveur s'embrume au point de perdre l'esprit du vin et de son libre arbitre. Spirale infernale que cette amitié à la bonne franquette.
L'alternative à ce fameux verre si inamical est des plus douteuse. Les sodas et les jus de fruit tombent dans le sucre à pieds joints sans que leur saveur puisse fournir une alternative crédible aux gourmets et autres taste-vin. Les boissons gazeuses sont insipides. L'eau manque bien souvent pour les abstèmes qui malgré tout veulent se mêler aux buveurs.
Boire et bien se conduire n'est donc pas chose aisée. Le risque est grand de tomber dans bien des travers, le travers du verre en somme quand on se pique la ruche ou bien qu'on fait abus de calories. Le plus grand péril est alors sur la route, l'inconduite demeurant la règle commune chez bien des buveurs.
Nos pratiques festives demandent une refonte de grande ampleur. La bière à ce titre a pris le pas sur les autres boissons tout en se laissant aller à une surenchère alcoolique qui ne la place pas au dessus des démêlés. De la bière à la bière il n'y a désormais qu'un pas à franchir comme jadis de la coupe à la couronne.
Quand le verre est plein, autant le garder ainsi le plus longtemps possible. C'est bien la plus sage manière de ne pas tomber dans l'excès. Quant à moi, mon appétence coupable me pousse à craindre le pire. Une fois encore, je vais trinquer tout en jurant, comme nombre de mes semblables, la main sur le foie, que je ne suis pas alcoolique.
À contre-verre.
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