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Les avocats face à la lutte contre le blanchiment et le terrorisme : la France devra revoir sa copie

En ménageant le secret professionnel de l'avocat, l'ordonnance du 30 janvier 2009 vide le dispositif anti-blanchiment de sa substance et n'est pas conforme aux normes du GAFI.

La Chine a pour sa part déclaré la guerre aux "actes malhonnêtes" sur Internet. Les autorités chinoises veulent interdire les "huit honneurs et les huit hontes", contrecarrer "le courant d'idées mesquines et vulgaires" et entreprendre une « action en faveur de réseaux verts et ensoleillés". De leur côté, les évêques du Cameroun ont rendu publique une déclaration, adressée à leur pays, dans laquelle ils appellent à mettre fin à la corruption et aux détournements de fonds. Pour cela, ils n'hésitent pas à inciter le peuple à prier et font appel à Dieu, au Christ et à Marie, Reine des Apôtres et patronne du Cameroun.

Ainsi, chacun à sa manière tente d’apporter une réponse à l’omniprésence des crimes de nature économique qui coûte à l’économie libérale des milliards de dollars chaque année. Même s’il est difficile de chiffrer les montants en jeu, produit d’activités criminelles par essence occultes et dont la moitié résulte du trafic de drogues, le Programme des Nations Unies pour le développement chiffre à 1’200 milliards de dollars par an, le produit criminel brut mondial (soit 15 % du commerce mondial ou encore 10% du PIB des Etats-Unis). Les effets de cette criminalité dépassent de loin l’aspect financier : violence, intimidation et corruption deviennent monnaie courante. Elles ébranlent la confiance du public en nos institutions politiques, éclaboussées par de nombreux scandales. Les Etats eux-mêmes, parmi ceux qui se veulent les plus démocratiques, acceptent la corruption internationale comme un fait acquis. L’économie, quant à elle, s’éloigne des principes démocratiques et exerce un rôle toujours plus important dans les décisions politiques.

Au nom de la transparence et de la lutte contre la délinquance économique, l’obligation déjà faite aux banques de déclarer leurs soupçons sur l’origine des fonds de leurs clients avait été étendue aux avocats, sans que ceux-ci puissent en informer leurs clients, lors de la transposition en France de la Directive Européenne 2001/97/CE modifiant la directive 91/308/C.E.E. relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux.

Vives réactions des milieux concernés.

Selon le Conseil national des barreaux, « l’obligation de délation à la charge des avocats » s’avérait « en rupture totale avec les droits du citoyen dans son droit de se confier à un avocat sans crainte d’être dénoncé, l’exigence du secret professionnel, l’indépendance et le devoir de conscience de l’avocat ». Elle était en contradiction non seulement avec la Charte des droits fondamentaux mais encore avec la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes.

Dans leur ensemble, les avocats se sont indignés : « la transparence n’est pas une fin en soi…le secret professionnel entre l'avocat et son client est sacré…il est d’ordre public, absolu, général, illimité dans le temps, nul ne pouvant vous en délier même dans son intérêt ... en tant que contre-pouvoir, il représente l'espace qui protège du regard inquisiteur de la société… il n'y a plus de défense possible si celui à qui l’on se confie vous trahit, livre vos secrets à votre adversaire ou à l'accusation… l’on ne peut être assimilé à une simple institution financière, sauf à devenir un être schizophrène, à la fois délateur et confident de son client…n’existe-t-il pas désormais un secret professionnel à deux vitesses, l’un pour l’argent, l’autre pour les hommes ».

Comme on le sait, le blanchiment d’argent constitue le symbole par excellence de la criminalité économique et financière. Pour les groupes criminels, le défi consiste à pouvoir effacer toutes traces de provenance illégale des fonds obtenus afin de les recycler et de les réinvestir dans d’autres activités (licites et illicites). Pour les autorités judiciaires, il est déterminant de pouvoir entraver les criminels aux diverses étapes du processus de blanchiment, afin de tenter de geler leurs ressources financières.

Avec la concurrence internationale effrénée que se livrent les places financières d’une part et les attentats terroristes qui se sont succédés depuis le 11 septembre 2001 d’autre part, les enjeux ont évolué : il s’agit aujourd’hui pour les marchés financiers de se protéger également contre les risques de financement d’activités terroristes par des fonds d’origine légale (« processus de noircissement »). Une nouvelle approche basée sur l’appréciation des risques impose aux intermédiaires financiers d’adopter une image de marque irréprochable, par leur diligence et leur connaissance à la fois discrète et sérieuse de leurs clients.

L’avocat d’hier n’est plus l’avocat d’aujourd’hui.

Il occupe actuellement des fonctions très diverses et côtoie des réalités économiques variées. L’économie de marché s’est globalisée, se transformant peu à peu en une économie de trafics mondialisée. Cette économie souterraine n’a désormais plus de frontières : on le voit avec le marché de la drogue, la traite d’êtres humains et la fraude fiscale en particulier.

L’exercice de la profession d’avocat doit par aillleurs s’adapter à l’évolution d’un monde transformé par les nouvelles technologies. Sa vocation territoriale locale d’origine s’en trouve profondément transformée par l’émergence d’activités nouvelles qui le dirigent forcément vers l’international (constitution de fondations, trusts, sociétés off-shore). Le droit des affaires s’est converti en une sorte de « lex mercatoria » universelle imposée par la mondialisation, à géométrie anglo-saxonne variable, qui imprègne d’ores et déjà les grands cabinets européens. Leurs associés côtoient désormais chaque jour les agents de l’économie et sont susceptibles d’être un jour ou l’autre sollicités par les représentants de l’économie criminelle auxquels ils apportent une sécurité supplémentaire : notamment celle du secret professionnel. L’avocat leur procure une image respectable, rassurante pour les établissements financiers et les organismes de lutte contre le blanchiment.

Dans un tel contexte, l’avocat qui sait ou soupçonne que la structure juridique qu’il a mise en place est liée à une opération de blanchiment de capitaux ne peut purement et simplement s’abstenir de procéder, sans déclarer ses soupçons (ainsi que le recommandent certains) à défaut de ralentir, voire d’entraver définitivement, la mission confiée à nos autorités. En effet, l’avocat ne dispose pas de l’ensemble des informations lui permettant de conclure, seul, à la réalisation ou non de l’infraction. C’est la raison pour laquelle le doute doit l’inciter à déclarer ses soupçons. Seul l’apport de données complémentaires, en possession des autorités chargées de la lutte anti-blanchiment (via de nombreuses banques de données), permettra, cas échéant, d’établir l’infraction. L’avocat apparaît ainsi dans ce contexte comme un partenaire obligé de ce combat. Ce n’est pas en tant qu’auxiliaire de « police » (comme le redoutent certains) qu’il agira mais comme auxiliaire de « justice », rôle conforme à sa déontologie et à l’éthique de sa profession. Il ne saurait dès lors invoquer, pour s’exonérer de cette obligation, un secret professionnel, certes légitime, mais exclusivement destiné à couvrir son activité juridictionnelle, étrangère à ces circonstances, et institué, faut-il le rappeler, pour le bénéfice du public, c’est-à-dire dans l’intérêt général d’une société démocratique.

Le plus ancien secret est médical, défini par Hippocrate, interdisant aux médecins de divulguer ce qu’ils ont appris auprès de leurs malades. Avec le prêtre chrétien, autorisé à entendre et pardonner les confidences des fidèles, est né le secret de la confession. Plus tard, la justice s’étant vu reconnaître un caractère religieux, le défenseur est astreint au même secret que celui des prêtres. Certes, « le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient pas assurées d’un secret inviolable « (Emile Garçon, commentaire de l’article 378 du Code pénal).

Le secret médical connaît déjà des exceptions, toutes justifiées.

Au fil du temps, le législateur a été amené en particulier à limiter la portée du secret médical en créant des obligations de dénonciation de maladies susceptibles de causer des épidémies meurtrières (peste, choléra, fièvre jaune, lèpre, mais également scarlatine, rougeole etc.).

Le crime organisé (et même « désorganisé » selon les spécialistes) ne représente-t-il pas une menace tout aussi meurtrière pour l’économie de marché et les générations futures ? Quelle que soit la force des secrets évoqués, ils ne sont pas pour autant intouchables et doivent s’incliner devant des évènements majeurs. Tel est le cas aujourd’hui du secret professionnel de l’avocat, à l’instar, hier, du secret bancaire. Dans une directive de 1991, le législateur européen a considéré que la lutte contre le blanchiment de capitaux ne pouvait être efficacement menée sans la coopération des établissements financiers et leurs autorités de surveillance, qu’il fallait donc, dans ce cas, lever le secret bancaire, instituer un système obligatoire de déclaration des opérations suspectes, sans alerter les clients concernés.

Force est de reconnaître qu’en intégrant dans la législation communautaire, les avancées issues de la révision des quarante recommandations du Groupe d'Action Financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI), la directive tant décriée représentait, dans l'ensemble, un progrès dans la mesure où elle renforçait les obligations de vigilance auxquelles sont soumises les professions juridiques. Elle devait donc à juste titre être transposée dans l’ensemble des droits nationaux, seule l’harmonisation du doit européen étant garante d’efficacité.

Ce qui a été fait en France, par décret no 2006-736 du 26 juin 2006 relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux, pris en application de la loi n° 2004-130 du 10 février 2004 et transposant la deuxième directive précitée.

Ce décret a été aussitôt remis en cause devant le Conseil d’Etat par plusieurs organes représentatifs de la profession d’avocat.

Dans un arrêt du 10 avril 2008, le Conseil d’Etat a fait partiellement droit au recours en annulant deux dispositions. En premier lieu, a été censurée la disposition prévoyant que TRACFIN (Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits Financiers clandestins) pouvait directement demander à l’avocat de lui communiquer des informations sans mettre en œuvre, comme dans le cas de la déclaration de soupçon, le filtre du bâtonnier (ex-article R. 562-2-2 du code monétaire et financier). En second lieu, a été annulée la disposition du décret précité qui, pour les activités de consultations juridiques des avocats, rappelait les obligations de vigilance prévues par les dispositions législatives du code monétaire et financier (ex-article R. 563-4 CMF) et avait pour conséquence d’omettre de rappeler les exceptions excluant des obligations de vigilance les informations détenues ou reçues dans le cadre d’une consultation juridique (sous réserve des exceptions limitativement prévues par la directive et la loi du 10 février 2004.

L’Ordre des avocats de Paris se félicita aussitôt de ce que le Conseil d’Etat avait annulé les dispositions du décret imposant aux avocats de répondre aux demandes de la cellule TRACFIN et avait censuré toute disposition instituant une relation directe entre les intéressés et TRACFIN, conduisant ainsi au maintien du dispositif de filtre qui exige que toute déclaration de l’avocat soit faite à son bâtonnier. Selon Christian Charrière-Bournazel, Bâtonnier de Paris, il appartenait « maintenant aux Parlementaires, à l’heure où on leur demandait de transposer la troisième directive, de s’y refuser ».

La transposition en droit interne de la 3ème directive européenne 2005/60/CE relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme fut pourtant transposée dans l’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 et les textes réglementaires d’application subséquents, applicables aussi bien aux institutions financières qu’aux professions non financières.

Cette nouvelle ordonnance réformait et complétait les obligations de vigilance à l’égard de la clientèle.

Evaluation du GAFI

Le 25 février 2011, dans son Rapport d’évaluation mutuelle concernant la France, en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LAB/CFT), le GAFI a retenu que le niveau de conformité des professions non financières avec leurs obligations de LAB/CFT n’était « globalement pas satisfaisant. » et qu’à ce titre « les autorités » allaient devoir « déployer des efforts importants ».

Il relevait au passage que « comme d’autres pays, la France avait rencontré des difficultés de mise en œuvre de l’assujetissement des avocats à des obligations de LAB/CFT », leurs représentants ayant d’ailleurs « exprimé leur réticence à adhérer au cadre de la LAB/CFT tel que défini en France ».

Le GAFI retient que « l’article L.561-3-II prévoit un régime dérogatoire au bénéfice des avocats (et des avoués) très extensif en ceci qu’il les exonère non seulement de l’obligation déclarative mais, également, des obligations de vigilance vis-à-vis de la clientèle dans deux hypothèses (procédure juridictionnelle et consultations juridiques) » ; en « dispensant les avocats des obligations de vigilance (et déclaratives) dans le cadre de consultations juridiques (quand bien même elles porteraient sur une opération entrant dans le champ d’application de l’un des items d’activités énumérés à l’article L.561-3-I), l’ordonnance vide le dispositif de sa substance et n’est pas conforme aux normes du GAFI ; cette exonération n’a été introduite qu’à l’égard des avocats et avoués, les autres professions juridiques et judiciaires (dont les notaires) n’étant dispensés que de l’obligation déclarative lorsqu’ils donnent des consultations juridiques. De plus, la seule limite que pose l’ordonnance est superfétatoire (elle vise l’avocat qui fournit une consultation à des fins de blanchiment ou de financement de terrorisme et qui, par définition, tomberait sous le coup de la complicité de blanchiment ou de financement de terrorisme). (cf nos 1878 à 1881)

Et de conclure que « les autorités françaises devraient revoir le contenu des obligations de LAB/CFT applicables aux avocats (Nos 1893 et 1929).

L’opposition constante des avocats à se soumettre au régime préventif européen en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme a-t-elle encore un sens ?

Dans un souci d’efficacité et face à l’autorité incontestée d’une instance internationale spécialisée comme le GAFI, ne convient-il pas pour les avocats de saisir l’occasion qui leur est aujourd’hui à nouveau offerte, en tant qu’auxiliaires de justice, de concevoir leur secret professionnel dans un sens plus conforme à leur déontologie, à l’éthique ainsi qu’à l’intérêt général d’une société démocratique ?

Laurent Kasper-Ansermet

Ancien procureur et juge à la Cour de justice de Genève.


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