Les chercheurs français cherchent-ils ?
La recherche française va mal, nous dit-on. Un récent rapport ministériel prétend mettre le doigt sur les causes de ce possible dysfonctionnement. Nos responsables politiques s’en saisissent, et proposent de nouvelles « politiques », généralement à coups de promesses budgétaires, pour sortir nos scientifiques de leur misère productive. Mais concrètement, dans la journée, la semaine, l’année d’un chercheur, quels sont les facteurs qui réduisent clairement son efficacité ?
En guise de préambule, j’avoue écrire cet article sans grand travail de documentation : je l’écris dans le sens du journalisme citoyen, qui témoigne de son environnement, et peut potentiellement faire partager à d’autres ses observations et conclusions. C’est souvent comme cela que je lis AgoraVox, et si cela reste loin d’un niveau journalistique professionnel, c’est aussi moins frileux, et peut-être certains lecteurs y trouveront-ils néanmoins matière à réflexion. Si ce texte contient des idées, je les assume.
Ambiance, ambiance : la recherche française va mal. Chiffres à l’appui, le récent « Rapport d’enquête sur la valorisation de la recherche en France » espère démontrer que notre recherche est dans le rouge, et que si nous ne faisons rien, nous courons à la catastrophe. Notons que c’est tendance, de dire que tout va mal. Les chiffres utilisés pour étayer cette assertion sont entre autres basés sur des critères bibliométriques, et puis sur des quantités de brevets, ces chiffres étant les indicateurs de la qualité de notre recherche.
Pour évaluer le travail d’un chercheur, le premier outil est bibliométrique : combien le chercheur publie-t-il d’articles scientifiques par an ? De surcroît, on peut aussi noter la qualité des revues dans lesquelles il publie. Cette qualité est établie à partir du ratio de nombre de citations sur le nombre d’articles publié par la revue. Autant vous dire de suite qu’il existe bien des façons de faire varier l’indice de citation d’une revue. Que met-on dans une publication ? On y décrit en général une expérience ou bien un travail de réflexion, on y détaille les résultats et on discute de leur pertinence et de leurs perspectives. Un chercheur dont l’expérience dure quelques jours parfois (en biochimie, en génétique, en biologie cellulaire par exemple) peut potentiellement publier fréquemment. Un chercheur dont l’expérience dure vingt ans (en physique parfois, en écologie, en médecine aussi) aura moins souvent l’occasion de publier. Si nous décidons d’orienter notre recherche vers les bio et nanotechnologies, il est évident que nous améliorerons notre productivité de chercheurs. Ces filières permettent un grand nombre d’études relativement courtes et facilement publiables car très standardisées. Les brevets sont plus fréquents, car il est clair que ces recherches sont connectées à une demande économique majeure. Si nous souhaitons mieux comprendre notre univers et notre environnement, en revanche, les processus d’études sont beaucoup plus longs, et ainsi le nombre de publications et de brevets chutera, ainsi que l’effet de levier économique de la recherche. Bien entendu, vous aurez compris de vous-même qu’un pays qui engage 80 % de son effort de recherche dans la première voie aura donc dans le document ministériel des indices très différents d’un pays qui préfère orienter sa recherche dans la seconde voie. Il est donc clair que des comparaisons telles que celles réalisées dans le rapport sur la recherche sont affreusement discutables : elles sont fortement influencées par la politique, l’histoire, la géographie et la culture d’un pays.
« Quelle erreur ! », pourrions-nous nous exclamer. Ce n’en est pas une, car le message de ce rapport est clair : faites de la recherche qui rapporte de l’argent et qui augmente la croissance économique. Les effets collatéraux de la croissance ou la compréhension de phénomènes non directement liés à l’économie ne constituent donc pas des sujets de recherche assez rentables. Derrière un soi-disant problème d’efficacité de la recherche publique se cache potentiellement une idéologie qui ne dit pas son nom. D’où ma question : pourquoi ne pas avancer à visage découvert ? Nos concitoyens sont certainement capables d’entendre ces propositions et de choisir ce qu’ils veulent pour l’avenir de leur pays et de leurs enfants, ces décisions-là sont politiques, elles ne doivent pas se faire cachées derrière les épouvantails du « tout-va-mal ». Laissons ces méthodes-là d’autres.
On pourrait me taxer de paranoïa, à bien des égards. Il est pourtant un autre fait troublant dans l’évolution des structures de la recherche : les financements. On peut discuter pour savoir s’ils sont suffisants ou non, là n’est pas mon problème. Ce qu’ils ont d’ennuyeux, ces financements, c’est que leur durée dans le temps se raccourcit, et que leur mode de distribution et de sollicitation devient de plus en plus complexe. Leur gestion déborde largement les instances chargées de ces problèmes pour venir encombrer les bureaux des directeurs de laboratoires, puis les bureaux de chaque chercheur. On se pose souvent la question de savoir ce que cherche un chercheur. Je vous amène une partie de la réponse : il prend une partie croissante de son temps à chercher de l’argent pour effectuer sa recherche. A tel point que certains chercheurs se transforment en chasseurs et gestionnaires de budget. Un chercheur de nos jours doit savoir faire de la comptabilité, calculer la TVA et la TVA rémanente, il doit savoir soumettre des dossiers en plusieurs langues et dizaines de pages plusieurs fois par an (pour espérer être retenu une fois), il doit pouvoir fournir les justificatifs de chacun des éléments de son activité, il doit pouvoir justifier le nombre de jours précis qu’il a passés sur telle ou telle étude, il doit communiquer avec différentes instances et structures, il doit parfois savoir lui-même gérer les achats et la facturation de matériel et consommables. Pour ce faire, il a soit son tableur, soit des usines à gaz mises en place par nos chères administrations, d’une complexité souvent maladive, et qui apportent jusqu’au bureau du chercheur une quantité de travail administratif, auparavant assumée par... l’administration. Cela, c’est seulement une part du problème. La seconde part, c’est que ces financements sont de plus en plus courts (annuels), et qu’il faut aussi y ajouter les tracasseries de nos amis de l’administration et de la comptabilité : dates d’ouverture des budgets, dates des appels d’offres, temps croissants d’examen des réponses aux appels d’offres. Finalement, le chercheur répond à un appel d’offre en février, après avoir préparé le dossier pendant un bon mois, concernant des recherches effectuées la même année, il a la réponse en juin, les crédits sont ouverts en juillet, voire en septembre, et il doit justifier son travail avant novembre, car après, les comptes sont fermés. J’exagère à peine, et vous comprenez donc que le chercheur est bien embêté pour engager ses dépenses, et donc lancer son étude, car il ne sait pas s’il aura l’argent, quand il sait s’il est financé, il ne sait pas quand l’argent tombera, et quand il sait quand, il ne lui reste guère de temps pour travailler. Je ne parle même pas de la gestion de contrat de type CDD, thèse et autres. Bien entendu, il n’a pas de marge : on ne permet pas à un labo de faire vraiment du déficit, et surtout pas des excédents.
Maintenant, vous percevez pourquoi il est plus intéressant de faire des expériences de quinze jours ou des modèles théoriques qui n’ont aucune validation ou liaison avec la réalité, plutôt que de se lancer dans des études à long terme, qui ont toutes les chances de capoter par manque de moyen ou de financement. Avec des crédits distribués par à-coups, on est sûr d’orienter doucement la recherche dans un certain sens.
Sur son bureau, le chercheur empile de moins en moins de lectures scientifiques, mais on trouve désormais des piles de papier décrivant toutes les modalités pour répondre à quinze appels d’offres, en général complémentaires (vous n’avez qu’une partie du financement, il vous faut faire financer les autres parties par d’autres financements), le guide d’utilisation de la version 3.016 du logiciel de gestion du personnel, les formalités de comptabilité pour les commandes de matériel, etc. Mais alors, mais alors, réfléchissons un peu : il passe de moins en moins de temps à chercher, notre chercheur ? Ou plutôt, il passe de plus en plus de temps à chercher de l’argent. Mais cet argent, qui le distribue ? En grande partie les institutions publiques, les mêmes qui lui donnent son salaire. Mais alors, ces institutions, elles le payent pour faire des découvertes ou pour passer son temps à quémander de l’argent auprès de ces mêmes institutions ? Et dans ces diverses institutions, combien faut-il de personnes pour gérer toutes ces structures (subventions, marchés, ressources humaines) ?
Finissons par ce que d’aucuns considèrent comme la lie de la recherche en France : l’université. Cette université que l’on décrit comme mourante, improductive, qui forme mal nos futurs travailleurs. Ajoutez à tout ce que je viens de vous décrire les charges hors recherche de l’enseignant chercheur. A savoir un mi-temps au minimum d’enseignement, sans quasiment appui technique, des structures de recherche inexistantes, une absence de hiérarchie clairement établie... Je tenterai un autre article pour vous décrire ce qu’il s’y passe, comment on essaie d’y travailler, et comment les décisions politiques ont lentement sabordé un des piliers de la connaissance française. Retenez seulement que pour nombre d’universitaires, je crois qu’il faut une motivation hors du commun pour se dire le matin en se levant : « Je vais faire de la recherche ».
Il est merveilleux que la France compte encore des thésards et des post-docs souhaitant intégrer la recherche, quand ils savent ce qui les attend. Je suppose qu’une révision complète de la façon d’attribuer des moyens aux chercheurs, un allègement de leurs charges administratives, un audit des administrations censées appuyer la recherche, et une mise à plat des objectifs et du rôle de l’université (à savoir produire et partager de la connaissance, et non pas servir de tampon à la courbe du chômage ou former des ingénieurs en quantité invraisemblable, opinion personnelle), je suppose que tout cela est trop exiger en période électorale. Tout ceci ne demande pas plus de moyens, et n’en demande pas moins. Cela demande de la réflexion de la part de nos politiques. Cela demande d’exprimer clairement ce que veut la France pour son avenir, à savoir une recherche clairement orientée vers le seul objectif économique, ou une recherche qui se soucie des questions de conditions de vie des gens, une recherche partiellement indépendante qui fait que notre niveau de connaissance ne stagne pas indéfiniment. Mon opinion est qu’il faut que la recherche s’intéresse à tout, réponde en partie à la demande sociale et économique, mais aussi conserve sa part de liberté. Mais au lieu de discuter d’opinions, on agit par des moyens détournés, et on dérobe ainsi le contrôle que les politiques et les citoyens devraient exercer sur leur recherche. C’est un peu dommage. Le chercheur, lui, se résoudra à moins courir après les découvertes, et à chasser encore un peu plus l’argent que son patron, l’Etat en général, veut bien lui distribuer en pompon dans le grand manège des appels d’offres et des subventions.
Je termine en souhaitant ce débat au niveau politique, et en souhaitant aussi que les citoyens réalisent l’importance de ces décisions pour leur avenir à long terme. Le "Rapport sur la valorisation de la recherche en France" contient certains éléments positifs, mais il me semble qu’il passe (involontairement) à côté des plus gros points noirs. Au milieu de tout cela, le chercheur aussi a sûrement à se remettre en question, et beaucoup le font déjà.
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