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Accueil du site > Actualités > Société > Les médias et la frigidité intellectuelle contemporaine ?

Les médias et la frigidité intellectuelle contemporaine ?

Parmi les supposés maux contemporains, nous pourrions suggérer l’idée d’une frigidité intellectuelle afin de signaler une tendance lente mais soutenue ayant conduit vers un déclin de la pensée. Ce phénomène, amorcé dans les seventies, était déjà avéré puis constaté au milieu des années 1980. Alain Finkielkraut publiait alors La défaite de la pensée et Gilles Lipovetski L’ère du vide. En cause, les médias et une société prise dans la frénésie de l’instant, le consumérisme culturel et l’appétit pour des productions intellectuelles ne demandant pas un effort soutenu pour être comprises. Le mode de transmission de la pensée fut altéré par l’intervention des médias. Le journaliste a concurrencé le professeur dans le champ des prescriptions culturelles. Beaucoup d’intellectuels se sont coulés dans le moule du médiatiquement présentable. Avec la complicité des éditeurs, ils en ont tiré un profit substantiel, éloignant la société des questionnements profonds et philosophiques pour l’alimenter en productions intellectuelles aseptisées, conformes au goût moyen, ajustées au niveau lettré moyen. Gainsbourg avait confié lors d’une fameuse entrevue que la chanson se laisse composer de manière évidente, telle un art mineur comparé à la musique classique qui ne se laisse pas entendre aussi facilement qu’une mélodie. De même, il existe des pensées majeures nécessitant un effort de réflexion et de compréhension, alors que d’autres écrits sont à l’image des mélodies chantées, de simples écrits, certes un peu savants, mais qui se laissent lire aussi facilement qu’une chanson peut flatter l’oreille moyenne. Les productions intellectuelles vantées par les médias flattent le cerveau moyen, demandant à peine plus d’effort que pour entendre le dernier Biolay.

L’effort intellectuel finit par produire une jouissance intellectuelle, que connaissaient Spinoza ou Nietzsche. Le désir de connaître est mu par la libido sciendi avait énoncé saint Augustin. Voilà pourquoi cette notion étrange de frigidité intellectuelle est employée pour signifier le déclin de la jouissance intellectuelle, du gai savoir. Le plaisir de se cultiver et de savoir le fond des choses s’estompe au profit des évidences superficielles. La frigidité sexuelle pourrait s’expliquer par un manque de connaissance du corps. Auquel cas, la frigidité intellectuelle caractérise l’impuissance cognitive, l’absence de désir et de jouissance éprouvés dans l’acte de comprendre un texte savant. La France, partie des intellectuelles s’il en est, est devenue impuissante et ce ne sont pas les amphétamines, cocaïnes et autres viagra pour neurones qui changeront la situation. C’est tendance et c’est l’esprit d’une époque, sans doute fatiguée, qui se complait dans la facilité, se crispe sur l’efficacité, s’endort sur l’immaturité. 25 ans de délitement, de complaisance, d’opportunisme médiatique, de quête d’audimat et de chiffre, ont engendré cette société frigide de l’esprit, timorée, coincée de l’idée. Aucun éros cérébral dans les amphis et les plateaux de débat. Les étudiants aussi sont castrés du cerveau, digérant sans y prendre goût des nourritures spirituelles qui finissent par ne plus être préparées avec soin par les penseurs dont on cherchera qui mérite encore des étoiles. Notre président préfère classer la gastronomie au patrimoine de l’Unesco, plutôt que la pensée française qui lui déclenche semble-t-il quelque gastrite dans un cerveau au ventre étriqué.

Régulièrement, quelques francs-tireurs dénoncent cette mal civilisation. En 1996, Jean-Marie Domenach évoquait une littérature de l’ennui que plus tard, un Pierre Jourde déclarera sans estomac. Puis ce fut un pamphlet contre les piètres penseurs. Tout récemment, Yves Charles Zarka y va de son constat terrible d’une scène de débat désertée par la pensée, confirmant quelques analyses contemporaines sur ces intellectuels préférant jouer des coups médiatiques en jouant des réseaux plutôt que travailler une pensée dans le temps et mettre leur notoriété au service des lumières citoyennes. Les médias ne reflètent pas la hiérarchie réelle des œuvres mais prescrivent des produits sont la fréquence de promotion vaut pour critique et évaluation. Un livre est bon parce qu’il passe souvent dans les médias, lesquels participent à la production des systèmes de reconnaissance, jouant subtilement, comme le dit Zarka, d’un mécanisme de substitution où les médiarques offrent au public les faiseurs de culture qui se substituent aux anciens maîtres de la pensée. Ce processus est déploré, il est déplorable mais on ne sait par quel stratagème, rien ne peut l’arrêter. C’est ainsi que court l’esprit du temps.

Autre constat qui rejoint le précédent, celui de Marylène Pathou-Mathis, DR CRNS et spécialiste de l’homme de Neandertal, peu avare de critiques sur l’enseignement lors d’une entrevue accordée à Rue89. Cette fois, les médias ne sont pas accusés en première ligne alors qu’est dénoncé le système éducatif qui façonne des cerveaux mous : « je suis pessimiste sur l'avenir de l'homme, en particulier de son bien-être. Je pense que cette technologie, cette nouvelle modernité, dans laquelle certains veulent y voir le bonheur de demain et qui a, à n'en pas douter ses côtés positifs – voir le rôle joué par Internet ou les réseaux sociaux dans les récents bouleversements politiques et pro-démocratiques – va de pair, d'un point de vue sociétal et économique avec un retour, comme au XIXe et au début XXe siècle, à la lutte des classes, une lutte, à mon avis perdue d'avance pour celle des prolétaires. Tout est fait pour que plus personne ne réfléchisse, ne s'interroge sur la véracité de ce qui est véhiculé par les médias. Ça fait quinze ans que je corrige des copies. Ce sont de jeunes adultes avec un fort bagage intellectuel et culturel. Vous n'imaginez pas la qualité »

Verdict contrasté entre un improbable salut par les technologies et au final, un combat perdu à cause de la mauvaise instruction, des choix éducatifs contestables, des matières imposées comme tranches d’un sandwich qui se veut universel mais reste au niveau d’un morceau de bacon servi en guise de justification d’un système universitaire inapte à former des esprits curieux et libres et le tout, aggravé par le dégueuli médiatique qui par la nausée intellectuelle causée, à l’insu des citoyens, empêche de réfléchir. Le dégoût est l’ennemi de l’éros gnostique. Comment virer de bord ? Sans doute, espérer un sursaut de la pensée et l’avènement de nouveaux lieux de production et d’échange des savoirs, des universités sans condition comme l’avait imaginé Derrida, des Collèges de Région calqués sur le Collège de France. Il est peut-être temps d’user du WC universel et de tirer la chasse sur ces déchets culturels qui se propagent sur les médias. D’inventer la fête des professeurs et des étudiants qui dansent sur le sable en captant les signes universels d’une divine connaissance, d’un savoir qui se partage avec joie et jouissance, la magie des mots, la langue qui sait se poser sur ce clitoris neuronal prêt à réagir aux jeux de la connaissance, afin d’en finir avec cette impuissance culturelle dont se servent les profiteurs d’ignorance. Les médias sont des lupanars où viennent se prostituer les putes de la culture. Les fils de joie de la science ne procurent aux cerveaux qu’une éjaculation précoce éteignant la soif de connaissance et la libido universelle des questionnements. Il faut en finir avec les médias castrateurs.


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4 réactions à cet article    


  • Kalki Kalki 15 février 2011 10:24

    Pour les chiens consensuel installé bien au chaud comme de la vermine du système

    Pas de salut

    Bien entendu qu’ils sont incapable de se renouveller : ils ne défendent que leur monde : et c’est pour ca qu’ils ont perdu : ce sont comme toujours des suiveurs, des chiens

    Dire qu’il n’y a que ces laches qui sont instruit est une erreur ; il n’y a jamais beaucoup de génie dans les sociétés : et un petit peu plus de gens courrageux ( par hasard par statistique )

    Le savoir comme la science est une construction, les découvertes sont le fruit du hasard d’entrelat, d’essai et d’ouverture

    Le spectacle français doit se renouveller, il peut continuer a créer son genre « bonne vieille france » et surtout chercher a se renouveller dans la « fantasy », nul besoin de faire de la science fiction : et je dirais les gens ont envie de fuire la science, leur monde est composé de cette science : et le spectacle est fait pour les éloigner de leur monde

    ( c’est vrai la bonne vieille france , a la JPP de tf1 est aussi une construction, artisanale mais ce n’est pas ce que cherche la nouvelle génération )

    la fantasy, le rêve, les odyssés, les tragédies oniriques dans d’autres mondesavec d’autres personnages attachant est surement prometteur :la composant technologique est limité ou sublimé en fait dans la fantasy

    Stargate plait moins que Farscape, ou Avatar

    C’’est pas compliqué maintenant il faut des investisseurs avec des bonnes visions


    • geo63 15 février 2011 10:35

      Bonjour,
      Je propose comme action très concrète à la suite de cette analyse lucide des « médias castrateurs », la suppression du journal de 20H sur les chaînes publiques. Pujadas et compagnie, c’est à vomir. Une infantilisation difficile à supporter.


      • enréfléchissant 20 février 2011 14:00

        C’est le capitalisme dans lequel les médias sont embourbés qui dicte une pensée sans fond et des réflexions limitées, tout simplement car le capitalisme ne peut marcher que par mégarde et ignorance des exploités, n’y cherchez pas plus compliqué


        • zelectron zelectron 20 février 2011 18:15

          @enreflechissant
          Vous connaissez certainement le bon mot polonais de l’époque de Solidarność
          - qu’est que le capitalisme ? : c’est l’exploitation de l’homme par l’homme
          - et le communisme ? : c’est tout le contraire
          sachez relativiser et croyez bien que les gens de pouvoir se moquent du parti qu’ils dirigent du moment qu’ils atteignent leur but, nonobstant des gens comme vous.
          @Bernard : excellent comme si souvent.

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