Lettre d’un enseignant à M. Peillon
Voici une lettre que j'ai écrite à M. Peillon, restée sans réponse évidemment. Je la crois explicite, mais les gouvernements ne tiennent aucun compte de ceux qui sont sur le terrain, c'est à dire les citoyens soi-disant détenteurs de la souverainté nationale. Nous ne sommes bons qu'à élire une élite avide de pouvoir qui passe son temps à tromper le citoyen, et cela est valable à gauche comme à droite bien sûr !
Monsieur le Ministre,
En tant que citoyen français et enseignant en histoire-géographie en classes de première et terminale et en classe prépa au concours d’entrée à l’IEP, je me permets de vous écrire ce message pour vous faire part de mon ressenti.
Tout d’abord je suis surpris que vous vous déclariez le « ministre des élèves », comme si les professeurs étaient contre leurs élèves. Sans élèves, il n’y aurait pas de professeurs et inversement. Par ailleurs, je suis effondré par la situation qu’un grand nombre d’enseignants rencontrent dans leur vie professionnelle et dont peu de nos ministres successifs se soucient vraiment. L’Education nationale est une Maison en perdition et les réformes successives et incohérentes que nous subissons depuis plus de 35 ans en sont la cause principale : la démagogie des uns et la couardise des autres se disputant la palme.
Je voudrais, en mon nom seul, même si beaucoup de mes collègues partagent mon point de vue, vous présenter mon ressenti et mes requêtes.
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Tout d’abord, je souhaiterais vous rappeler que le corps enseignant est depuis trop longtemps enfermé dans un carcan qui jamais ne lui permet de s’exprimer. Notre avis n’est quasiment jamais sollicité, alors que nous sommes sur le terrain et sûrement les mieux informés. Nous sommes une des rares professions à être assujettis à des inspections, comme si nous étions de dangereux subversifs qu’il fallait surveiller (sûrement pour vérifier que nous appliquons les règles de formatage et transmettons la vérité officielle qui nous sont imposées..).
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Ensuite, je suis atterré par les programmes imposés par le Ministère depuis plusieurs décennies. Ils n’ont de cesse de niveler par le bas, à force de réduire les exigences au strict minimum, et de réduire le bagage cognitif de nos jeunes. Je ne parlerai que de ma matière, qui est devenue une caricature de l’Histoire, dans laquelle le manichéisme et le simplisme se disputent la place. La formation de l’esprit critique et l’apport d’une connaissance intelligente n’est visiblement plus le souci de la classe politique dirigeante. J’irais même jusqu’à me demander s’il n’y a pas une volonté politique de faire des futures générations de simples consommateurs de tout et n’importe quoi, mais surtout consommateurs. Le Gouvernement précédent nous a donné le coup de grâce en confiant à ce cher Monsieur Laurent WIRTH le soin d’élaborer les nouveaux programmes. Ma crainte, et celle de bon nombre de mes collègues, étant que votre ministère ne modifie pas fondamentalement les aberrations produites par les Cabinets Darcos et Chatel. Et pourtant, nous citoyens détenteurs de la Souveraineté nationale, déléguons notre POUVOIR afin d’être représentés dans nos aspirations par des ministres, qui semblent avoir oublié le sens premier du mot « ministre ».
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Le baccalauréat, qui coûte si cher à la communauté, est devenu une mascarade indécente. Avec plus de 90 % de reçus dans les séries générales, il serait plus simple, et plus honnête, de le donner. On nous impose des programmes infaisables et des consignes de correction qui sont une insulte au travail que nous réalisons. En cette rentrée 2013, nous recevons une information nous annonçant un allègement des programmes de terminale L/ES. Mais nous ne savons toujours pas de quels allègements il s'agit, à deux jours du début des cours. En revanche nous savons que cela concerne, entre autres, le début du programme. Soit c'est de l'amateurisme, soit c'est du « foutage de gueule » pur et simple. Et il aura fallu un an à ces « grands spécialistes » pour réaliser l'infaisabilité du programme que tous les enseignants avaient annoncée tout de suite. Quand les gens du terrain auront-ils, enfin, droit au chapitre ? La France n'est pas une démocratie, mais un régime hyper hiérarchique et autoritaire.
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Les Grandes Ecoles et autres Prépas ou les IEP se trouvent donc dans l’obligation de revoir leurs ambitions et leurs épreuves en fonctions de ces programmes de première, et donc de réduire les exigences une fois de plus. La France a déjà perdu plusieurs rangs au niveau de l’OCDE et je me demande jusqu’où nous allons descendre dans le tableau d’honneur des savoirs et savoir-faire de nos élèves. Me dire que j’ai encore 10 années à faire me rendent triste dans ces conditions, ne sachant pas où nous en serons dans dix ans.
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Les salaires des enseignants français sont encore dans le bas du tableau. Si nous comparons nos salaires à compétences et ancienneté égales, nous nous situons, selon une étude de l’OCDE, dans les derniers. Le Canada et nous sommes dans un rapport de 1 à 2. La plupart de nos voisins européens nous dépassent allègrement. N’est-ce pas une aberration ? Et vous vous étonnez que les jeunes générations n’embrassent pas la profession ? Si l’enseignement est une vocation, il n’est pas un sacerdoce. Mais de ce sujet il n’est jamais question. Pourquoi les autres Etats auraient-ils les moyens de rémunérer leurs enseignants à la mesure de leur travail et pas l’Etat français ? Et l’argument selon lequel nous ne travaillons que 18 heures par semaine est irrecevable. Il serait temps de prendre en considération le travail effectué chez soi, y compris les week-ends, et faire savoir aux Français que l’enseignant n’est rémunéré que sur 9 mois par an, ce qui signifie que contrairement à ce que beaucoup de nos concitoyens croient, nous n’avons pas quatre mois de congés payés. Pourquoi cette précision n’est-elle jamais apportée par nos ministres via les médias ? La pédagogie et l’information sont aussi dans vos attributions, et en vertu de l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, préambule de notre Constitution, tout agent public doit rendre des comptes de son travail aux citoyens.
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Et pour couronner le tout, vous venez d’engager le processus devant conduire à la suppression pure et simple du redoublement. Permettez-moi de vous dire que ce ne sont pas des mesures aussi démagogiques que néfastes qui régleront les problèmes. Certes vous ferez des économies de bouts de chandelles à force de pratiquer une politique à court terme. Mais tous les spécialistes qui vous entourent ne connaissent rien de la réalité. Ceux qui la connaissent, parce que sur le front, jamais vous ne les interrogez.
Pourquoi cette décision est-elle mauvaise ? Tout d’abord, il faut arrêter de comparer la France à l’Allemagne ou à la Finlande. Notre Histoire n’a rien de commun avec celle de ces pays, et la réalité sociétale est aussi très différente. Le copié collé n’a jamais rien donné de bon. Ensuite, le redoublement est déjà, depuis vingt ans, devenu l’ennemi public n°1. De commissions d’appel en commissions de conciliations et en passages à la discrétion des parents, une grande majorité des élèves passent en classe supérieure, quel que soit le niveau acquis. Ceux qui, jusque là, redoublaient devraient être un signal d’alarme, car pour redoubler aujourd’hui il faut soit que les parents le décident pour des raisons d’orientation, soit que le niveau de l’élève soit catastrophique. Il est logique que le redoublement d’un élève qui n’a vraiment pas les acquis suffisants pour passer en classe supérieure, n’ait que peu de chances d’aboutir à un résultat positif. Mais cet argument est fallacieux. Il faudrait que ceux qui nous dirigent aient le courage de prendre le problème à la source, à savoir le primaire : il est anormal que tant d’élèves entrant en 6ème, n’aient pas intégré les apprentissages élémentaires, notamment au niveau grammatical et orthographique. Enfin, vous ne semblez pas du tout mesurer les changements de notre société depuis 40 ans. Les parents ont démissionné et les repères de notre jeunesse sont très flous. Voilà que l’Etat à son tour, par le biais de l’école, démissionne. Les derniers repères volent en éclats. Au nom de l’égalité et de la démocratie, vous avez sciemment nivelé par le bas, réduisant considérablement les exigences en créant une indigence cognitive inadmissible. Le baccalauréat, examen sacro-saint de notre école républicaine, est devenu une mascarade qui nous afflige tous : il n’est que de voir l’édition 2013 pour s’en convaincre. Sujets et surtout, consignes de correction scandaleuses. Mais qui s’en soucie ? Pas nos autorités visiblement, moins les générations futures en sauront, plus on pourra les manipuler. Et nous enseignants, devons faire valoir les vertus d’une République qui n’en a plus depuis longtemps, et siéger en conseils de classe dont l’avis n’est guère que consultatif, et encore. Si l’Etat ne prend pas ses responsabilités, je vous promets une catastrophe sociale sous peu. Vous ne la verrez peut-être pas en tant que Ministre de l’Education nationale, mais elle est en marche. A force d’être coupé du peuple souverain et de ne pas solliciter les bonnes personnes, vous conduisez la France droit dans le mur. Il faudrait qu’enfin, le bon sens dirigeât ce pays.
Je pourrais allonger la liste, mais je m’arrêterai là. J’espère que vous prendrez en compte ma lettre au titre de l’article 15 de la DDHC évoqué plus haut, et que vous vous distinguerez de vos prédécesseurs par un partenariat plus assidu avec le corps professoral (celui qui est sur le terrain) qui en a assez d’être traité comme la cinquième roue de la charrue.
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