Panorama du monde d’après
Assistons-nous à la destruction de l'économie ?
Les politiques de nos gouvernants ont-elles échoué dans les domaines de l'éducation et de la santé ?
Sommes-nous sous le règne d'une presque anarchie ?
Le libéralisme est-il devenu fou et totalement irrationnel ?
A toutes ces questions je réponds : « Non, bien au contraire ».
En guise d'introduction, et pour illustrer mon propos, je vais vous présenter les conclusions d'un travail que j'ai fait il y a un peu moins de 10 ans. J'étais alors consultant, et mon client était une grande entreprise de service, qui m'a chargé d'étudier ses systèmes informatiques, de formaliser ce que font les logiciels et comment les données circulent d'un système à l'autre, et d'imaginer des scénarios d'évolution. J'ai pu apprécier ce que les employés faisaient dans la boîte, c'est-à-dire en quoi consistait exactement leur travail, puisque tout le personnel ou presque utilise des outils informatiques.
Ces gens, des cadres, petits bourgeois, bons parents, qui arrivent toujours tôt le matin, qui ne s'absentent jamais, qui respectent servilement la hiérarchie, qui, à la machine à café ou à la cantine, racontent leur problème de fissure de leur piscine, vous parlent de la nouvelle véranda de leur pavillon, de leurs moutards « tellement brillants », ou vous commentent le navet diffusé la veille à la télé, ces gens, bien sous tous rapports, bien payés, bon citoyens qui vont voter, qui font la minute de silence pour Charlie...
Eh bien les conclusions étaient sans appel. Moyennant un investissement mineur et sans grand risque, dans quelques technologies informatiques modernes, c'est au moins 90% de l'effectif de cette boîte de 9000 personnes qui ne sert plus à rien. Non seulement les économies de masse salariale seraient énormes, mais la rentabilité de l'activité même augmenterait vertigineusement, la vitesse de traitement, la fiabilité des opérations... Autre constat, le niveau de « technicité » de ces cadres, le niveau de compétence réel nécessaire à l'exercice de leur activité est, par la magie de la division du travail à outrance, ridiculement bas. Pire encore, pour beaucoup, leur « emploi » se résume à détenir quelques informations, à les dissimuler soigneusement sous un fatras de fichiers inextricable, et de ne les servir qu'au compte-goutte lorsqu'on leur demande. Et attendant patiemment la retraite : après une carrière de glande, ils escomptent enfin leur rente...
D'où vient l'argent qui paye leurs salaires ? Il est prélevé sur l'économie réelle par plusieurs canaux, via la réglementation étatique, qui leur fabrique une activité en forçant légalement les producteurs à solliciter leur service, et via la commande publique, donc la subvention directe de l'état, donc de l’impôt et de la dette. La bonne manière de formuler la situation, c'est que d'un point de vue économique -de la vraie économie, celle qui produit quelque chose- tous ces gens occupent des emplois fictifs.
Ils sont de purs parasites sur la chaîne de production de valeur, qui charrient avec eux toute une économie, fictive elle aussi : si ces 8000 personnes ne vont plus travailler, c'est autant d'espace de bureaux libérés, c'est aussi moins de personnel de cantine, de ménage. Moins de véhicules sur la route, donc moins de garagistes, etc. Autant d'emplois qui ne tiennent (tenaient) d'ailleurs qu'a la réticence au télétravail. Tiens tiens ?
Celui qui regretterait que ces emplois disparaissent vit dans le fétichisme bourgeois de « l'emploi », ni dans le travail, ni dans la production. Au mieux, on peut voir ça comme un mode de redistribution, mais ça n'en reste pas moins de l'emploi « roue de hamster », coûteux en énergie et matières premières, un complet gâchis. Laisser les gens chez eux et les payer à ne rien foutre est globalement plus rentable que de leur faire brûler du pétrole pour aller « travailler » inutilement. Si vous considérez que c'est « digne » de passer ces journées à faire tourner la roue du hamster, désintoxiquez-vous de la morale bourgeoise, cette « civilisation » de boutiquiers cupides.
C'est un sentiment assez curieux qu'on ressent, en arrivant devant un grand bâtiment de bureau, en voyant s'affairer des foules de gens, en pensant aux milliers de litres d'essence cramés pour ramener leurs derrières sur un fauteuil de bureau, quand on sait que tout cela relève de la mascarade. Aussi, je ne fus pas surpris lorsque parut, il y a peu, un ouvrage américain nommé « bullshit jobs », étude décrivant la fumisterie généralisée qui règne dans les entreprises. Ma seule surprise fut que le bouquin mit tant de temps à paraître.
S'agit-il d'un cas isolé, est-ce l'activité particulière de cette entreprise qui amène cette situation ? La réponse est non. Dans toutes les entreprises et administrations que j'ai fréquenté - et on en voit beaucoup quand on est consultant - toujours le même constat. Une grosse partie des emplois qu'on considérait comme « qualifiés », ceux de la classe moyenne voir moyenne supérieure, ne sont pas « menacés », ils sont déjà morts, obsolètes.
D'où le contre-sens de voir dans le « grand reset » une destruction de l'économie. C'est au contraire une rationalisation.
Il faut apprécier à sa juste valeur la « révolution numérique » à laquelle nous assistons. L'augmentation des capacités de calcul et de stockage, la baisse des coûts, l'omniprésence des réseaux et des capteurs, vont avoir un effet différent des précédentes « révolutions techniques ». Ça n'est plus le travail de force, ou le travail à la chaîne qui est menacé. Ce ne sont pas les prolétaires qui sont dans le collimateur, mais bien la classe moyenne. Et cela concerne non seulement la bureaucratie, mais aussi l'enseignement, les métiers de techniciens... Non pas, dans ce dernier cas, que l'humain disparaisse, mais il n'a plus besoin d'être qualifié, sa tablette pouvant superviser les opérations, détenir toute la compétence, et donner des ordres à la « mécanique humaine »... Et cela fonctionne aussi bien pour changer une pièce de voiture que pour faire la cuisine...
C'est donc une redistribution des contingents des classes sociales qui caractérise le « monde d'après ». Resteront bien sûr des classes moyennes, des spécialistes, des chercheurs, des gens nécessaires à l'entretien et l'extension de la technostructure, à l'exercice de la violence ou de la persuasion pour dissuader les masses nouvellement prolétarisées de s'en prendre aux dominants, seuls bénéficiaires de la structure sociale qu'ils fabriquent.
Et c'est pourquoi je disais, avec malice, que concernant l'école et la santé nos gouvernements sont excellents. Dès lors que vous comprenez que la démocratie est une fiction, que vous ne comptez pour rien et n'avez de pouvoir sur rien.
L'école : un des nanars favoris des « bigots de la république » et de sa transcendance de pacotille, idiots utiles des exploiteurs, très ignorants en Histoire, certains que de brandir des mots comme « valeurs de la république » ou « école républicaine » tient lieu de réflexion. Ceux-ci sont convaincus que c'est dans des élans d'humanisme, bien franc-mac comme il faut, que le brave Jules Ferry a instauré l'école républicaine en France. La réalité est bien différente. S'il est indéniable que le niveau d'éducation a été relevé par cette école, le but n'en a jamais été l'émancipation des élèves : il s'agissait d'accompagner la complexification de la technostructure. Complexification des machines, des processus industriels, de l'administration, des armements et de leur tactique d'emploi... Le prolétariat devait donc être capable de remplir les rapports au contremaître, lire les instructions de la machine, calculer la hausse du canon etc.
Toutes ces qualifications, désormais inutiles, lorsque le smartphone et la tablette peuvent se substituer au cerveau. Donc à quoi bon aller à école ? À quoi bon une école gratuite, quand les classes supérieures auront toujours les moyens de payer à leur progéniture l'éducation qui permettra de les maintenir dans leur niveau social ? Il n'y a pas d'échec d'une politique d'éducation : l'école pour tous ne sert plus aux exploiteurs, elle va à la poubelle.
La santé, même combat. Les gardiens de musée des luttes sociales larmoient sur la Sécurité sociale. Elle était nécessaire au sortir de la guerre, la bourgeoisie ayant besoin de main-d'oeuvre, et la population étant affaiblie par les privations de la guerre. Le temps de formation d'un cadre « qualifié » était long, la chose était coûteuse. Il s'agissait de ne pas perdre cet investissement humain en cas de maladie : financer un système de santé était rentable. Maintenant que le cadre « qualifié » est rendu inutile par la technologie, qu'il crève. Les exploiteurs auront toujours les moyens, eux, de se faire soigner. Les tâches qu'il effectuait dans le « monde d'avant » le sont désormais par un ordinateur, éventuellement équipé d'une prothèse humaine. Si cette dernière venait à mourir, simple échange standard. Ils sont des milliards, prêts à traverser la Méditerranée à la nage, pour servir de pièce de rechange...
Pourquoi le « grand reset » aujourd'hui, sous couvert de pandémie ? La technostructure, entièrement sous contrôle des exploiteurs, atteint un tel niveau d'emprise sur les corps et les esprits des masses, que les précautions nécessaires jadis deviennent superflues. « Vous n'avez pas le choix », « there is no alternative ». L'âge du « crédit social », de la surveillance omnisciente et permanente, de la marchandisation de l'humain n'est plus devant nous. Nous y sommes, nous, le bétail des exploiteurs.
35 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON