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Quand on n’est riche que d’idées...

Comment survivre en régime de fraude et de prédation plus qu'avancées ? Une centaine d’intellectuels et créatifs, précaires ou non, proposent une manière de « manuel de survie » à tous ceux qui rêveraient de réconcilier justice sociale et sauvegarde de la planète dans un contexte de pénuries croissantes. Un livre à utiliser comme boîte à outils voire trousse de premier secours pour revitaliser la notion de « démocratie » - et prendre soin de l’inestimable...

 

Pour « changer la vie », il faudrait déjà être riche... ne serait-ce que d’idées, pour commencer à prendre en mains les changements que l’on voudrait voir advenir quand l’horizon est barré comme une grande falaise noire...

La Fondation Copernic rassemble, en un anti-manuel pour le moins « atypique » mais bien conçu, le travail et les énergies d’une centaine d’auteurs et autres chercheurs de sens. Sous-titrée « pour des savoirs résistants », cette somme de synthèses (en économie, sociologie et en « science politique »...) précise son intention de faire fonction de « salon des refusés » comme de « kit intellectuel de survie » afin d’exposer les « connaissances balayées par les bien-pensants » - ces partisans du « grand bond en arrière » qui s’emploient à imposer à tous les autres les lieux communs qui les fondent et assurent leur position comme leur domination - en somme, notre essorage...

Non, la planète n’est pas qu’une réserve à exploiter sans limites dans une fuite en avant financière et technologique. Non, la « valeur travail » ne donne pas seule le « droit de vivre » - surtout lorsqu’elle rend malade et tue, à l’heure où un quart des grandes entreprises françaises liquident leur « bureau » et vendent leurs locaux pour louer des flex-offices (Hélène d’Arnicelli, cadre administratif)...

Oui, l’accroissement et l’accélération de la masse monétaire appauvrit tous les « individus productifs » au seul profit de « quelques uns » - et le transfert de richesses permanent nourrit la crise permanente... L’Etat sert qui ? Le « capitalisme » peut-il être « écologique » ?

Si la doxa « libérale » actuelle y est remise en cause, ce livre-atelier ne se complaît pas dans la contestation mais propose, au-delà d’un état des lieux des idées disponibles et d’un partage des connaissances, de précieux leviers d’action. Qu’il s’agisse de monnaie, de fiscalité (en particulier « écologique »...), de « dette publique », de « travail », du business de la santé, du fake du « trou de la Sécu » ou des « emplois vacants » voire... des « gilets jaunes », cet atelier des possibles permet de se forger des convictions. Il révèle l’aspect « subversif » des sciences sociales permettant de démonter un spongiforme corpus d’idées reçues : non, l’ordre des choses n’est pas donné une fois pour toutes, les hiérarchies ne sont pas « naturelles » ou de « droit divin » et peuvent être renversées (des chefs, pourquoi faire ?), les humains ne sont pas des « variables d’ajustement » ou de la « chair à profits », le « marché » ne sait pas « gérer » l’humain ou la nature et il faudra bien rompre avec un productivisme frénétique, etc. Cette étrange insensibilité aux « signes de vie »...

Philippe Légé (économiste, université de Picardie) rappelle que « la finance masque temporairement les déséquilibres liées à la montée des inégalités  » mais « crée nécessairement des droits en excès sur la richesse future  », rendant « l’économie plus instable et les crises plus fréquentes » - surtout lorsqu’elle s’attache à démanteler la protection sociale mise en place à la Libération.

Esther Jeffers (économiste, université de Picardie) et Dominique Plihon (économiste université de Paris-XII) s’attachent à expliquer la monnaie qui crée des « relations sociales et d’appartenance à une société fondée sur des valeurs communes ». Mais voilà : « l’euro, lancé pour compléter le marché unique européen, sans véritable projet social, n’est pas une monnaie à part entière ». Mieux – ou pire : « C’est aussi pour cette raison que la Banque centrale européenne (BCE) n’est pas soumise au contrôle démocratique des élus et poursuit des objectifs qui ne correspondent pas à l’intérêt général  »...

De fait, trois conditions sont requises pour que la monnaie redevienne une « institution au service de la société » : « la confiance, la garantie souveraine vis-à-vis du système de paiement et une relation étroite avec le système productif pour qu’elle soit favorable au pouvoir d’achat présent ou futur  »...

Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinson (sociologues, CNRS) s’attachent à une oligarchie prédatrice qui se sert de l’Etat : « La forme instituée de l’Etat, constitué en sage représentant des intérêts de tous les citoyens, permet de masquer l’antagonisme des rapports entre les classes sociales qui le traverse de part en part. A la Libération, le Conseil national de la Résistance (CNR) avait pu imposer, après la collaboration de nombreux patrons avec le pouvoir de Vichy, un Etat-providence qui fait la part belle aux services publics et à la défense de l’intérêt général. Mais, avec la financiarisation et la mondialisation du système capitaliste, le dépeçage de l’Etat par les membres de l’oligarchie est devenu systématique. La fraude fiscale des plus riches représente 100 milliards d’euros, qui manquent chaque année dans les recettes fiscales de Bercy (selon le rapport publié en septembre 2018 par la Fédération Solidaires Finances). Ce chiffre est à mettre en regard du déficit de l’Etat, estimé à 80 milliards d’euros pour 2018.  »

Qui se souvient de l’instauration d’un « droit à l’erreur » permettant aux plus aisés de bénéficier d’une « politique d’accompagnement, en toute amitié » ?

Pourquoi si peu de révoltes ? se demandent Julie Le Mazier (politiste, CESSP, Paris-I) et Igor Martinache (sociologue, Paris-Diderot) : « Bien des gens auraient plus intérêt à se révolter qu’à préserver l’ordre social, économique et politique existant. Pourtant, la domination se perpétue sous l’effet de multiples contraintes, et de mécanismes par lesquels elle se rend légitime. (...) Protester, ça s’apprend. Mais contrairement à beaucoup d’autres activités, cela s’apprend vite, en faisant.  » Mais sera-t-on jamais assez révolté contre la destruction d’une planète vitrifiée en déchetterie ni confinable ni recyclable ?

L’Union européenne fait-elle le bonheur ? interrogent Noëlle Burgi (politiste, université Paris-I) et Pierre Khalfa (économiste). Construite depuis 1986 autour de l’Acte unique sur la « concurrence entre systèmes sociaux et fiscaux  », elle a fait le choix de s’appuyer sur les divergences entre Etats afin de « promouvoir une politique de dumping social et fiscal ».

Ainsi, « dangereusement insensible à la vraie vie comme aux signes pointant ses dysfonctionnements alarmants, elle sait et nous savons qu’elle doit se réformer en profondeur pour le bien de tous, d’abord pour les populations, ensuite pour sa propre survie »...

 

Justice sociale et écologique

 

Marie-Anne Dujarien (sociologue, université de Paris) livre un rappel « utile » à propos de ce qui « travaille » un corps social mis à mal : « Le travail est une étrange clé de voûte de notre société car cette catégorie de pensée mêle trois significations : l’action, la production et l’emploi. Or ces trois dimensions, toutes vitales, sont en contradiction dans le capitalisme. Aussi, parler de « travail » sans déplier le mot permet de cacher les tensions à l’oeuvre entre ces trois dimensions ; il est alors plus difficile de penser les transformations profondes et urgentes du travail qu’il nous faut envisager pour faire face aux actuels enjeux de sens, d’écologie et de solidarité.  »

Tout comme justice sociale et écologique sont indissociables, transition énergétique et alimentaire doivent aller de pair, compte tenu des « effets délétères du système productiviste agricole sur l’environnement, les bénéfices énormes des industries agroalimentaires au détriment des autres acteurs de la chaîne alimentaire » (Dominique Paturel, INRA, Willy Pelletier (sociologue, université de Picardie) et Arnaud Muyssen (médecin, addictologue, CHR de Lille).

Bref, un autre « modèle économique » s’impose d'urgence - comme la cirhose du foie, la dévastation n'est plus réversible... Tout au bout de la chaîne alimentaire et de la « révolution numérique », quelle est cette « ressource surabondante » prise dans les filets de « la globalisation » dont l’exploitation est assurée de... ne jamais cesser ?

La réponse se consumait dans la surchauffe des « marchés » et nous regardions ailleurs...

 

Fondation Copernic (sous la direction de), Manuel indocile des sciences sociales – pour des savoirs résistants, La Découverte, 1056 p., 25€


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11 réactions à cet article    


  • bouffon(s) du roi bouffon(s) du roi 21 novembre 2019 13:41

    Qu’Augustin Cochin avait vu juste ^^


    • Samy Levrai samy Levrai 21 novembre 2019 13:48

      Il n’est pas possible de changer l’UE, cela fait 60 ans qu’elle existe et elle ne va que dans la même direction malgré les crises depuis sa création...

      Tout ce qui est bien en France vient de la France et l’UE ne peut etre changée que par unanimité, ça n’est jamais arrivé et cela n’arrivera jamais.


      • Francis, agnotologue JL 22 novembre 2019 08:35

        @samy Levrai
         
         on a compris, les troupes d’Asselineau ne laissent passer aucune critique du néolibéralisme si elle n’est pas anti-UE, autrement dit pro-Asselineau, autrement dit diviseur de la gauche.


      • Francis, agnotologue JL 22 novembre 2019 09:00

        @cettegrenouilleci
         

         le programme de l’UPR :
         
        « il faut que tout change pour que rien ne change : c’est le credo du néolibéralisme ; il faut quitter l’UE pour rester dans le néolibéralisme »
         
        https://blog.mondediplo.net/2018-04-08-Tisser-les-luttes
        « Le néolibéralisme est le poison qui dévaste tous les secteurs du travail. C’est la soumission généralisée de toute activité humaine à la rationalité managériale sous contrainte de concurrence généralisée. C’est-à-dire la déshumanisation de tout. Le spectacle du forçage n’est jamais si frappant que lorsqu’il se donne dans le secteur public, converti au knout à des logiques qui lui étaient radicalement étrangères. Pierre Bourdieux n’exagérait pas quand il parlait d’enjeux civilisationnels en 1995 (1). Lorsque la manière, l’état d’esprit, la forme des relations, en quoi consiste le service public est remplacé par la subordination aux seules logiques du nombre, c’est bien en effet d’une destruction civilisationnelle qu’il s’agit. »

         
         Que l’on soit dans l’UE ou pas
         : https://lvsl.fr/romaric-godin-les-elites-neoliberales-ne-veulent-plus-transiger-avec-le-corps-social/


      • Francis, agnotologue JL 22 novembre 2019 10:21

        @cettegrenouilleci
         
         citez moi un seul commentaire ou article UPR qui tape directement sur le néolibéralisme sans incriminer l’UE, et je tiendrai compte de votre point de vue.


      • Francis, agnotologue JL 22 novembre 2019 14:37

        @Lambert
         
        ’’nationalisation de tous les servies publics’’ ?

         C’est quoi, votre définition d’un « service public » ?
         
         Ps. Avec l’UPR, « Demain on sort de l’UE et on rase gratis »
         


      • Francis, agnotologue JL 22 novembre 2019 14:40

        ’’M. Asselineau a critiqué plusieurs fois l’ultralibéralisme

        ’’
         
         Bah ! Même Macron a critiqué plusieurs fois l’ultralibéralisme. Le pb, c’est qu’ils ne sont pas crédible : Asselineau parce que son programme n’est pas élaboré pour être appliqué mais pour séduire ; Macron parce que c’est le roi de l’enfumage.


      • Lambert 22 novembre 2019 15:35

        Un service public est une activité exercée directement par l’autorité publique (Etat, collectivité territoriale ou locale) ou sous son contrôle, dans le but de satisfaire un besoin d’intérêt général. Par extension, le service public désigne aussi l’organisme qui a en charge la réalisation de ce service.

        Et ils ne rasent pas gratis !


      • Francis, agnotologue JL 22 novembre 2019 18:08

        @Lambert
        @cettegrenouilleci

         
         si l’organisme en charge de la réalisation du SP ne rase pas gratis, demandez donc à l’UPR que est l’intérêt de mette en avant les nationalisations. On ne peut utiliser le même argument à charge et à décharge. Mais je sais bien que l’idéologie comme la croyance, s’affranchit aisément du principe de non contradiction.
         
        ’’ ... JL ... incapable de raisonner autrement qu’à travers le prisme de sa posture Anti-UPR,’’
         
        Je ne ferais pas cet honneur à un parti qui n’en est pas une selon les dires mêmes de ses militants. C’est vous qui voyez toutes les conséquences du néolibéralisme qu’au travers de votre anti-européanisme, qu’il soit de façade ou viscéral ne m’importe guère. Et je vous ignorerais si n’étiez pas l’un des plus acharnés diviseurs du peuple de gauche.


      • Francis, agnotologue JL 21 novembre 2019 14:10

        « la finance masque temporairement les déséquilibres liées à la montée des inégalités  » mais « crée nécessairement des droits en excès sur la richesse future  », rendant « l’économie plus instable et les crises plus fréquentes » - 

         

        « L’investissement produit l’avenir dont la spéculation ferme au contraire les possibilités » Bernard Stiegler


        • lephénix lephénix 21 novembre 2019 19:26

          @JL
          bien vu mais le « présentisme » exclut toute perspective d’investissement et toute idée d’avenir comme il proscrit passé, racines, repères et épargne  pour passer l’espèce au laminoir de la dépossession... no future ! et la fdj payée deux fois au moins par le populo...

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