Quatre destins possibles pour l’Europe
Les géopoliticiens, démographes, économistes et autres diplomates de think tank ou de cabinets se prêtent parfois à ce jeu très subtil des anticipations sur l’avenir des grandes nations. Un moment on nous prédit la belle ascension de l’Europe, pour ensuite constater l’hégémonie de l’hyperpuissance américaine, l’Europe étant alors promise au déclin mais les événements récents promettent aussi aux Etats-Unis l’enfer du monde multipolaire alors que la dette américaine rétrogradée est vécue comme un psychodrame national, surtout entre Washington et New-York. Quant à l’Europe, elle est gangrenée par cet énorme kyste financier que constitue la dette. Notons en passant que la dette cumulée des nations européennes n’atteint pas le sommet de la dette américaine. Pourtant, les pessimistes parlent d’un effondrement de l’euro. Preuve que les problèmes économiques peuvent être aggravés par les tensions politiques. Aux Etats-Unis, chaque citoyen est solidaire de la patrie et si la dette engendre une crise politique, celle-ci se déroule au Congrès, opposant des Démocrates, élus de l’Amérique, aux Républicains, autres élus de l’Amérique. En Europe, un Allemand ne sera pas forcément solidaire d’un Italien ou d’un Grec et les tensions politiques sur la dette n’opposent pas des formations mais des nations. A se demander si l’Europe politique n’est pas un problème, au lieu d’être une solution. Ce qui conduit à jauger le devenir de l’Europe en réfléchissant à l’effondrement d’un autre empire, lui aussi fait de nations artificiellement réunies autour d’une idéologie, le soviétisme, sorte de communisme assaisonné aux sauces locales et élaboré en Russie.
Provocante question : l’Europe de 2011 ressemble-t-elle à l’Union soviétique à la fin des années 1980 ? Attention aux coïncidences faciles. On pourrait aussi associer l’Amérique et signaler l’enlisement en Afghanistan comme le signe d’un effondrement à venir, en faisant allusion à l’échec de l’Armée rouge qui annonçait l’effondrement de l’Union soviétique entre 1989 et 1992 (avec les premières pièces tombant en Europe de l’Est). Les similitudes géopolitiques sont trompeuses. Si on devait analyser la situation, on mettrait l’économie au centre des ressorts fondamentaux animant l’Europe. Et là, la comparaison serait plus pertinente puisque l’empire soviétique s’est effondré à cause de son économie inefficace, de son retard technologique sur les pays de l’OCDE et bien entendu, du marasme social qui en découlait avec ses frustrations autant matérielles que culturelles. Si déclin de l’Europe il y a, ce sera pour l’essentiel sur des bases économiques. Lesquelles ne sont jamais seules car des éléments affectifs, psychiques, des énervements, colères, pertes de croyance dans la politique et l’avenir, se conjuguent pour alimenter la pente déclinante.
Osons un concept, celui de techo-tectonique relativiste. L’empire soviétique n’a pas résisté au développement technologique et économique du bloc occidental, auquel on ajoutera le Japon, pays le plus dynamique dans les années 1980. C’est donc relativement que le déclin soviétique s’est produit. Un coureur peut bien tenir le rythme, si un autre court bien plus vite, l’autre sera distancé. L’image doit être recadrée en utilisant les échelles de mesure pertinentes pour les nations. La croissance est un chiffre important, qui ne suffit pas à mesurer la distance que prend une nation ou un empire. Le rayonnement peut être culturel et souvent militaire. Mais en cette seconde décennie du 21ème siècle, l’économie semble dominer les préoccupations des observateurs et si l’Europe se fait distancer, c’est sur le volet technologique par les Etats-Unis et le volet économique par les NPI, Chine mais aussi Brésil, Inde… L’Europe a de beaux restes comme on dit mais sans doute, devra-t-elle réviser ses ambitions et se prémunir d’un déclin dû au marasme économique et au déchaînement des puissances matérielles. On peut imaginer trois destins pour l’Europe
I Le marasme matériel. Les pays européens sont menacés par une crise sociale plus qu’économique. Les capacités industrielles ne vont pas s’effondrer, mais lentement décliner en conservant un niveau conséquent. Ce sont les NPI qui prennent la plus grosse part du gâteau de la croissance. Ce contexte peut alors susciter un marasme social fait de mécontents, anomies, anxiétés, colères, indignations, résignations, inégalités, zones abandonnées. Des révoltes probables avec des poussées violentes, à l’occasion de faits divers, bref, un peu à l’image de ce que vient de vivre Londres. Et d’ici deux ou trois décennie, l’effondrement et le chaos.
II Le contrôle sécuritaire. Dans un contexte de révoltes et insurrections sur fond de pauvreté étendue, un scénario politique autoritariste et policier est possible. C’est ce qu’on pourrait appeler la poutinisation du monde en reprenant une analyse de Julian Assange qui voit cette tendance se dessiner aux Etats-Unis. Alors qu’en Europe, un climat délétère et autoritaire de terreur oligarchique semble se dessiner en Italie mais aussi en France, comme on le constate avec quelques polémiques actuelles sur les affaires du clan Sarko. Pour l’instant, l’Europe est loin de la Russie mais si le marasme et les tensions sociales s’avéraient importantes, une évolution pourrait bien se produire pour engendrer des sociétés dirigées par des oligarchies au service d’une caste aisée, tout en soignant les opérateurs indispensables du système et en contenant la fronde sociale des zones appauvries. Un tel système pourrait bien perdurer quelques décennies. La résistance sociale n’a pratiquement aucune chance si le système devient tyrannique. Les moyens efficaces de la police sauront mater les insurrections, même à grande échelle.
III La gouvernance équilibrée. Une option vertueuse et juste n’est pas à exclure pour peu que la raison et la sagesse inspire les gouvernants qui disposent d’un levier financier suffisant pour mieux répartir les richesses. Encore faut-il que les populations suivent, au lieu de résigner à vivre dans une jungle où l’essentiel est de s’en sortir en louvoyant au mieux avec les règles du jeu social.
VI L’avènement de l’esprit. Cette troisième option met l’accent sur une mutation globale des individus qui, saisis par une prise de conscience et une transformation intérieure, s’arrachent aux pouvoirs du corps et de la haine pour s’affranchir de la cupidité, de l’esclavage consumériste, des dictatures diverses exercées sur l’opinion et les affects, afin d’inventer une Europe plus harmonieuse, inventive, audacieuse, créative.
On peut penser que les scénarios I et IV semblent les moins probables. L’homme paraissant apte à écarter le pire, le chaos, mais semblant incapable de réaliser le meilleur. Restent les options II et III qui en fait, peuvent se combiner et en vérité, reposent sur l’avènement de dirigeants vertueux aux différents postes de commandes, publics, politique et industriels. Ou à l’inverse, de chefs autoritaire, autocrates, oligarchiques. Enfin, rien n’indique une homogénéité. Il se peut bien que, selon la région, le pays, l’époque, une des quatre tendances soit plus appuyée. Et pour finir, une certitude, la qualité de l’avenir ne repose pas sur l’économie de la connaissance mais sur l’intelligence humaine.
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