Sexe, la révolution française
Le 6 mai, Liberté Egalité Sexualité retrace les différents combats (notamment celui des femmes) engagés par les Français pour conquérir leur droit à une sexualité majeure. Le 13 mai, Chacun cherche son sexe aborde la place que le sexe occupe dans notre vie. Le 20 mai enfin, Sexe.com traite des changements entraînés par l’usage d’Internet. Avec le web, ce sont toutes les frontières géographiques, morales et générationnelles qui s’estompent.
Une quarantaine de Français de 17 à 82 ans, des deux sexes et d’origines diverses, parlent face à la caméra. Ils n’ont pas peur des mots. Rachel Kahn et le réalisateur Sylvain Bergère ont su les mettre en confiance pour qu’ils dévoilent leur intimité. C’est parfois cru et brut de décoffrage (voir les citations ci-dessus)
Ils font font sens car ils sont contextualisés par des experts comme la gynécologue Joëlle Brunerie-Kauffmann, le romancier et essayiste Pascal Bruckner, le sexologue Gonzague de Laroque Latour, le journaliste et écrivain Didier Lestrade ou encore l’écrivain et psychanalyste Michel Schneider pour ne citer que les plus pertinents.
L’ensemble est rythmé par des documents d’archives audio-visuelles (Coming out, un hilarant sketch des Deschiens, par exemple), de publicités, d’extraits de films (La saison de plaisirs, de Mocky, Erotissimo, de Gérard Pirès ou encore Les Galettes de Pont-Aven, avec l’inénarrable Jean-Pierre Marielle).
Il y a cinquante ans les médecins qui pratiquaient l’avortement étaient radiés de l’ordre. Les femmes souffraient, certaines mouraient en couche. Elles dépendaient de leur maris. Certains couples n’éprouvaient plus de plaisir ensemble par peur d’avoir des enfants. La sexualité était l’affaire des hommes. Sinon elle était cachée voire réprimée. On mesure ici combien la France a évolué, s’est désaliénée de cette superstition religieuse qui pourtant relève la tête, sous d’autres formes, aujourd’hui.
Olivier Bailly : Comment est né ce triptyque ?
Rachel Kahn : D’une réflexion toute simple : depuis soixante ans notre sexualité, notre vie intime ont beaucoup transformé la société. Beaucoup de lois sont venues se mettre en concordance avec notre manière de vivre le couple, comme la loi sur l’avortement. Notre vie intime a bousculé la société et l’a obligée à se redéfinir souvent.
OB : Comment une société peut-elle être façonnée par la sexualité qui est quelque chose d’éminemment intime ?
RK : Je pense que les femmes ont été pour beaucoup dans cette évolution. Avant le modèle unique, patriarcal, hétérosexuel, a prévalu pendant des siècles et des siècles. La femme n’était pas considérée comme un être sexué, c’était une pondeuse. Un jour, grâce à la pilule - c’est ce qui a fondamentalement changé tout ça - elle est devenue un être sexuellement majeur. Elle est venue bousculer les prérogatives de l’homme et a entraîné avec elle la société et les autres minorités.
OB : Dans la première partie Joëlle Brunerie-Kauffmann s’interroge : « est-ce la science, le militantisme des femmes, les lois... les choses se sont entraînées les unes après les autres. »
RK : Sans la pilule et sans la possibilité donnée aux femmes par la contraception de maîtriser leur fécondité on n’en serait pas là. Ce qui leur a permis, maîtrisant leur fécondité, de devenir des acteurs de la vie sociale, de choisir le moment où elles devenaient mères et donc de travailler comme elles l’entendaient, d’être autonomes financièrement. Ce qui a tout changé.
OB : La quarantaine de témoins sont incroyables. Vous êtes resté longtemps avec chacun d’entre eux, vous les avez mis en confiance ?
RK : Nous sommes restés très longtemps avec eux. La forme du documentaire vient aussi du fait qu’on a voulu les mettre dans une espèce de cocon. On savait qu’on allait leur demander de dévoiler des choses qu’on ne dévoile pas. Il ne fallait pas être voyeur. Le fait de les faire venir à nous, dans un studio, de les maquiller, bien sûr de parler avec eux dès qu’on les a retenus (on est resté en contact avec eux jusqu’au tournage), cela a beaucoup joué. Le fait aussi qu’il s’agisse d’un documentaire pour France 2, qu’il y avait un contrat de confiance implicite au départ, ça les a libérés.
OB : Vous venez d’employer le mot voyeur. Quelle différence faites-vous entre votre documentaire et une émission de télé-réalité ?
RK : La différence c’est que c’est très articulé avec un propos sociétal. On voit bien comment chaque avancée, chaque combat est articulé avec une transformation de la société, que ce n’est pas simplement une succession de témoignages, que tout cela est mis en perspective par les experts ou par les témoins eux-mêmes, implicitement, pour montrer comment tout ça a fait bouger notre société. Ce n’est donc pas une succession de témoignages voyeuristes.
OB : La question de la religion traverse ce documentaire. Vous présentez une archive qui date des années 60 dans laquelle un homme marié, de religion catholique, explique que la contraception « pose un problème, mais que jusqu’à présent l’ignorance posait aussi un problème ». En conscience il opte donc pour la contraception. Plus loin, comme en écho, Joelle Brunerie-Kauffmann évoque le communautarisme qui pointe aujourd’hui et souligne combien ça pose un vrai problème. Pourquoi ne pas avoir développé davantage la question de la religion ?
RK : Il y a évidemment une libération sexuelle, c’est une banalité de le dire, mais il y a aussi des communautés entières qui au contraire se referment et régressent (au vu de nos propres critères de libération, d’émancipation, d’épanouissement).
OB : Les femmes semblent s’en sortir mieux que les hommes
RK : Oui, parce qu’elles avaient plus à conquérir. Ce combat-là a d’abord été celui des femmes. Les hommes ont dû se caler plus ou moins. On voit bien qu’il y a quelque chose d’inabouti dans leur nouvelle manière de vivre ces couples émancipés.
OB : Dans la parole elles semblent également plus libres
RK : Regardez autour de vous et vous verrez que les femmes parlent plus facilement... Les femmes, comme dit Joëlle Brunerie-Kauffmann que je trouve absolument magnifique dans ce documentaires, les femmes ont pris la parole. Avant elles ne parlaient pas. On leur a donné la parole, elles s’en servent, c’est très bien !
OB : Vous terminez sur un sujet tabou qui serait en train de tomber, la sexualité des personnes âgées...
RK : C’est la nouvelle minorité sexuelle qui émerge. Et Internet y aide énormément parce qu’il abolit les frontières morales, déjà, mais aussi géographiques. C’est plus facile d’aller chercher quelqu’un sur le Net que dans son village ? sous les yeux de sa famille, de ses petits-enfants, etc. Ils ont 70 ou 80 ans, et ce n’est pas isolé, lorsqu’on menait l’enquête on leur faisait remplir un questionnaire, ils y vont tous. C’est un phénomène d’entraînement : les autres y vont, pourquoi moi je n’irais pas ?
OB : L’amour est un peu le parent pauvre de cette série, au détriment de la sexualité. L’amour, ça ne serait pas ça le sujet tabou aujourd’hui ?
RK : Il y a au moins deux choses que je retire de cette série : le fait qu’Internet transforme complètement notre manière de vivre la rencontre, de vivre l’autre et même d’aimer, parce que les pratiques qu’on n’aurait jamais osé imaginer, même dans nos fantasmes les plus fous, Internet nous autorise à les exposer et à les pratiquer.
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