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Tout n’est peut-être que comédie

Une lettre de motivation

vidéo ici : 

Écrire une lettre de motivation à quinze ans quand on est fâché avec les mots, l'écriture et qu'on ne sait pas encore ce qu'on veut faire, quelle drôle d'idée d'adulte ! C'est alors la plongée dans les conventions, les grimaces et les faux-semblants, les formules ronflantes qui sont souvent vides de sincérité.

Il faut d'abord accepter la règle de la présentation stricte ; ces alinéas qu'on oublie toujours, ces sauts de lignes entre chaque paragraphe, ces maudites majuscules qu'il faut mettre à tout bout de titre. C'est encore l'obligation de ne commettre aucune erreur, de ne pas utiliser ce bienveillant Blanco qui fait disparaître habituellement toutes les fautes et les ratures.

Que de simagrées pour ouvrir une porte d'entreprise ! Il faut y aller à la louche, c'est une publicité mensongère, un flux d'hypocrisie, la découverte du mensonge officiel :

« Je connais très bien votre entreprise pour y être client. »

« J'apprécie l'ambiance et l'accueil qui règne dans votre magasin. »

« J'ai depuis toujours une passion pour votre métier ! »

« Votre établissement m'a été chaleureusement recommandé par des proches ... »

Comment croire ensuite au monde des adultes ? Comment ne pas y voir une comédie factice, un décor frelaté, un univers en carton pâte et en courbettes mielleuses ? Nous avons bonne mine avec nos conseils, notre expérience qui ne profite jamais aux autres, nos recommandations de sincérité et d'honnêteté. Dès la recherche du premier stage, les masques tombent, il faut mentir à tour de plume.

Et quelle place est alors accordée à ceux qui sont si mal en point avec l'écriture, le soin, le français ou l'orthographe ? Nous devons leur permettre d'écrire une lettre dactylographiée mais sera-t-elle acceptée par toutes les entreprises ? Dur est le retour au monde réel, exigeantes sont les lois du travail, impitoyables seront les réactions face aux ratures, aux fautes, aux graphies illisibles, aux productions sales et déchirées.

Pourtant, c'est le lot de tous les jours dans nos classes. Nous devons avoir une telle marge de tolérance que certaines copies sont bien loin des exigences communes. Nous sommes alors si loin de la réalité que notre école perd sa capacité à leur permettre d'affronter cet univers impitoyable. Mais que faire de ceux qui n'ont après quinze jours de rentrée toujours pas de classeur ni de cahier ? Qu'attendre de celui qui ne peut écrire, qui ne le veut parfois aussi ?

Puis il y a la triste réalité des passe-droits et des discriminations. Un nom qui sonne étrangement en haut de la lettre, une adresse qui déclenche un signal d'alarme, l'incapacité qu'ils ont presque tous de se faire recommander, l'ignorance du monde du travail dans des familles frappées plus que les autres par la crise.

Et surtout la redoutable difficulté à se projeter dans un avenir qui sonne le glas des espoirs glorieux, des rêves de gosses, des métiers attirants. Il leur faut rabattre leurs exigences, accepter cette descente dans la hiérarchie des professions. Ils doivent surtout se déterminer à quinze ans dans un choix des plus restreints :

  • Vente de produits alimentaires

  • Métiers du Bâtiment

  • Service en restauration ou en hôtellerie

  • Magasinage et entreposage

  • Constructeur de routes

  • Métiers du service et de l'entretien

Pourtant tel est le programme, telle est la nécessité de les confronter à ce monde totalement inconnu avec nos mots et nos attentes de professeurs pour décrire une réalité totalement virtuelle pour beaucoup d'entre eux. L'école du concret, belle idée qui n'est pas toujours exaltante. Si par bonheur, nous croisons la motivation de celui ou de celle qui désire aller au plus vite dans la vie active, c'est parfait, nous avons un levier sur lequel agir.

Mais que faire avec les élèves qui n'ont aucune perspective, qui ne savent pas ou qui ne veulent pas déjà entrer dans un monde qu'ils n'ont pas souhaité intégrer si tôt ? C'est le principe de réalité, si commode à revendiquer quand on est dans le bataillon des privilégiés de la vie et de sa loterie si injuste. Alors, ils écrivent une lettre, avec ou sans motivation, avec ou sans conviction, avec ou sans espoir d'obtenir ce qu'on leur demande de trouver : un stage en entreprise au cœur d'une crise qu'ils subiront plus que les autres encore.

Complexement leur.


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20 réactions à cet article    


  • C'est Nabum C’est Nabum 25 septembre 2012 13:03

    Cogno


    Je crains que vous ayez raison et que la conjoncture impose de simplifier au maximum ces menteries inutiles qui sont surtout faites pour l’élite.

    Qu’on ne demande pas de telles grimaces pour les emplois de simples exécutants, ce serai un beau progrès

  • Pat Agon 25 septembre 2012 10:01

    « Mais que faire avec les élèves qui n’ont aucune perspective, qui ne savent pas ou qui ne veulent pas déjà entrer dans un monde qu’ils n’ont pas souhaité intégrer si tôt ? »

    On pourrait imaginer, du côté des Cyclades, une sorte de Club Méd’ gratuit, géré par des bénévoles, financé par des mécènes, en attendant qu’ils veuillent bien souhaiter s’intégrer dans le monde en question.


    • C'est Nabum C’est Nabum 25 septembre 2012 13:05

      Pat Agon


      Dans votre réponse se dégage un mépris sans borne pour ces gamins Votre situation vous autorise certainement cette attitude, je le déplore et espère qu’un jour vous serez confronté directement à ce problème pour comprendre enfin que rien n’est aussi simple. 
      Je vous plains sincèrement

    • Pat Agon 25 septembre 2012 15:36

      « Dans votre réponse se dégage un mépris sans borne... »

      C’est une réponse pleine d’espoir, tout au contraire. Comme vous le dites vous-mêmes, ces élèves se trouvent prématurément en situation d’entrée et d’intégration dans le monde dont vous parlez. Par conséquent, leur procurer un séjour, agréable et ludique, où ils pourraient, plutôt que de glander à journée faite, attendre que monte en eux le souhait irrépressible annoncé, va tout à fait dans le bon sens.

      « Je vous plains sincèrement. »

      A force de plaindre trop de monde, vous risquez de vous disperser. Vous devriez vous limiter à des gens qui ont besoin de votre compassion. Moi, elle me fait vous imaginer avec un col clergyman et ça me donne envie de rigoler.


    • C'est Nabum C’est Nabum 25 septembre 2012 13:06

      cogno3


      Le commentaire précédent méritait plus d’agressivité que d’ironie à mon sens ...
      Vous êtes bien gentil

    • Pat Agon 25 septembre 2012 15:39

      « Heureusement, la télé est la pour y veiller. »

      Et puis le Qatar désormais. Les chèques des sheikhs vont tomber comme à Gravelotte.


    • C'est Nabum C’est Nabum 26 septembre 2012 12:31

      Pat Agon


      Le Qatar s’impose avec son pognon tout est prétexe est abaissement ...

    • easy easy 25 septembre 2012 14:29

      (Tout, absolument tout ce que l’homme traite, n’est que comédie)

      Concernant plus précisément le CV, certes.

      Mais dans une société idéaliste, le produit consommé doit être idéal.
      On fantasme à ce point d’idéalisme à toutes les étapes du produit qu’on idéalise les conditions d’extraction du métal dont est constitué notre gourmette, qu’on idéalise les conditions d’élevage et de mise à mort des poulets dont on mange les nuggets, qu’on idéalise les personnels du restaurant du Palais Royal.

      Il y a bien entendu contradiction entre le fait que chacun se sait bien imparfait et le fait qu’il tienne à ce que tous les employés de l’athanor qui lui livre les trésors dont il se gave soient parfaits.
      Cette contradiction n’est pas bien gérée.
      Elle est vaguement gérée de la manière suivante
      Tant que je suis à la recherche d’emploi, je proteste contre l’idéalisme.Dès que je suis employé, je suis plutôt idéal puisque reconnu comme tel par une entreprise qui n’a recruté que des gens merveilleux. Je tiens à cette étiquette et je vais donc me montrer exigeant en n’acceptant pas que des pouilleux soient acceptés à mes côtés. 

      Je ne pense pas qu’il y ait une solution (je crois que la comédie est indispensable, mais c’est un autre sujet) 


      Je peux seulement constater que l’idéalisme déjà très, très élevé sous Louis XIV, a débouché sur une version plus populiste grâce à l’industrialisation et la démocratisation-scolarisation de tous. 
      C’est désormais madame Michu qui est exigeante parce qu’elle le vaut bien.

      Plus exactement la classe smicard, Lidl, ne l’est pas pas trop. 
      Mais dès 2xSMIC, ça devient intransigeant
      Se montrer intransigeant sur la qualité définit en retour sa classe, son autorité 
       

      Heureusement, chacun se retrouvant devant le fait du CV bidonné, chacun sait au fond de lui la comédie. Mais pour tenir hors de l’eau, il faut jouer le jeu et chacun le joue.
      Ce n’est que quand on est extirpé d’une voiture en feu qu’on ne pense pas à demander à son sauveteur s’il connaît Deleuze. 

       


      • C'est Nabum C’est Nabum 25 septembre 2012 14:45

        easy


        Effectivement et votre formule finale est un pur joyau, j’avoue en être jaloux !

        Merci pour cet écalirage nécessaire quat je me contente de survoler les problèmes.

        J’ai trouvé mon complément idéal !

      • loco 25 septembre 2012 17:52

        Bonjour,
         Le cv, la lettre de motivation pour des emplois si méprisés qu’ils ne méritent que CDD, sont simplement une variante moderne des fourches caudines.
         L’employeur, mais l’expression « l’entreprise » serait plus juste, puisque la chiourme est confiée à certains des salariés (on dit fort justement « collaborateurs »), demande, non des qualités, qui ne peuvent être appréciées qu’au travail, mais seulement une soumission entière, celle qui convient à un employé interchangeable (jetable).
         La télé (organe révolutionnaire s’il en fut) a publié un reportage sur un recrutement assez rigolo finalement : on y voyait six cadres supérieurs consacrer deux jours (imaginez le coût entre salaires de ces nababs et loyer de l’étage de bureaux) au recrutement de 2 !!! (sur 12 candidats) vendeurs d’assurances à la sauvette (pardon, à domicile), au smic. Seule justification crédible du dispositif : sa jouissive cruauté... Salauds !

         


        • C'est Nabum C’est Nabum 25 septembre 2012 18:14

          Loco


          Mise à part le terme final, parfaitement mérité mais qui ne s’écrit pas ici, je signe des deux mains.

          C’est gens sont des monstres au service d’un système qui n’en finit pas de broyer les humains avec la complicité d’autres humains qui se pensent plus malins !

          Des S... comme vous dites si bien !

        • herbe herbe 25 septembre 2012 19:44

          Et il y a qui viendront vous dire que les charges sociales sont trop élevées en France...

          Alors que le plus grave c’est bien ce que décrit loco.

          Oui quelle comédie ! (merci auteur...)

        • C'est Nabum C’est Nabum 25 septembre 2012 22:15

          herbe


          Ne plus jamais croire les professionnels de la politique.

          Dehors à tout jamais, changeons les règles du jeu !

        • loco 25 septembre 2012 18:19

          cordialement


          • C'est Nabum C’est Nabum 25 septembre 2012 18:24

            Loco


            Respectueusement vôtre

            • Jean-Luc Lourmière Jean-Luc Lourmière 25 septembre 2012 20:32

              Dans le monde du travail, la capacité à se soumettre aux exigences du système importe plus que les capacités intellectuelles ou les acquis culturels. Il faut être assez intelligent pour faire le travail demandé, mais pas au point de comprendre et de faire comprendre à ses collègues l’immense duperie du monde du travail.

              Émailler ses écrits de fautes d’orthographe n’est pas un obstacle rédhibitoire à la réussite (il est aisé de trouver quelqu’un pour corriger une lettre de motivation). Ceux qui savent vendre et se vendre sauront séduire un recruteur lors d’un entretien d’embauche, surtout s’ils ont « l’esprit corporate » (pouah !).

              Pour ma part, je ne comprends pas pourquoi l’on fait faire des stages à des jeunes gens de 15 ans. Ils découvriront bien assez tôt le principe de réalité. Des manipulateurs sans vergogne occupent les plus hautes fonctions et un homme de probité passe souvent pour un médiocre. Comment expliquer cela à de jeunes gens ? Certains le savent déjà.


              • C'est Nabum C’est Nabum 25 septembre 2012 22:18

                Jean-Luc Lourmière


                Ces jeunes n’ont pas le choix, ils ne veulent plus d’une école qui ne veut plus d’eux non plus !

                Ce sont des élèves en marge du système, l’expression de tous nos échecs. Un drame dont je reparlerai bientôt

              • L'enfoiré L’enfoiré 25 septembre 2012 21:07

                Ah, les convenances, les conventions, la morale et toutes ces choses apprises pour faire partie du correctement correct et qui n’empêche rien par après lors du choix de candidats.
                Tellement de choses font partie de la sélection.

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