Un Etat policé ou policier ?
On ne sait plus où donner de la plaisanterie. Joey Starr, qui n’a jamais voté de sa vie, nous est donné en exemple comme éveilleur civique. Avec sa délicatesse habituelle, il se propose de donner sa voix " au moins enculé des enculés " . On a les consciences qu’on peut.
On ne sait plus où donner de l’esprit ces derniers temps, tant il est sollicité par une actualité particulièrement inventive. Une nouvelle importante et qui va sans doute permettre d’améliorer la condition pénitentiaire a été annoncée par le garde des Sceaux. Le contrôle sur les prisons va être confié à l’organe externe et incontestable que représente la Médiature de la République. Celle-ci pourra utilement s’appuyer sur les principaux griefs formulés par les détenus et recueillis grâce à l’OIP. Pour le reste, que de démagogie ! On oublie les délits ou les crimes et on plaint, on plaint, on plaint les détenus... On leur demande si la prison leur a servi à quelque chose, et ils répondent non de manière totalement surprenante ! Les victimes, connais pas. Aujourd’hui, c’est le tour du coeur sélectif. Et demain, un besoin de répression ?
Mais le plus préoccupant depuis deux semaines, c’est la situation dans certaines cités et les affrontements entre les policiers et des bandes de jeunes gens. Plus grave, ici ou là, ont été organisés de véritables traquenards qui n’avaient pour but que de porter atteinte à l’intégrité physique des fonctionnaires de police. On voulait leur peau. Ces violences d’inégale gravité ont été commises, notamment à Epinay-sur-Seine, aux Mureaux et à Corbeil-Essonne.
Au moins, personne n’en a nié l’importance et on peut dire que la qualité des contributions et des propositions a permis au débat citoyen de ne pas être médiocre même si, pour les politiques, il y avait urgence, avec le risque de l’improvisation, à répondre au défi qui était lancé à tout ce qui était de nature à garantir ou à restaurer la paix publique. On sait bien, par ailleurs, que cette guérilla vise aussi, dans l’expression de son désordre, toutes les incarnations de l’Etat, même les plus traditionnellement respectées jusqu’à maintenant. Ainsi, les pompiers. Une remarquable enquête de Luc Bronner, dans Le Monde, a éclairé la profondeur de l’antagonisme entre jeunes et police et mis en évidence " le cercle infernal " de cette impossible cohabitation. Comme s’il n’y avait plus d’issue envisageable. Les syndicats policiers ont participé à cette effervescence et leur avis, me semble-t-il, a été pris en considération.
Nous avons toutes les cartes en main. Pourtant, quoi de plus difficile que d’imaginer une solution miracle qui viendrait apaiser les tensions, créer une atmosphère irénique et, surtout, instaurer un climat de confiance et d’estime entre les forces de l’ordre et la société ? Parce qu’on comprend vite que la problématique trouve sa traduction la plus paroxystique dans certaines cités mais qu’elle est aussi inscrite dans les relations au quotidien, partout, du citoyen avec la police et dans leur regard réciproque de méfiance , voire de rejet. C’est à gros traits, et sans me dissimuler le sommaire de cette psychanalyse sociale, que je vais tenter d’analyser les raisons de ce dialogue médiocre ou, pire, de cette insidieuse hostilité.
La police se sait, se sent mal aimée non seulement par une part de la société que son idéologie et ses réflexes conduisent à " bouffer du flic " mais par des institutions qui doivent peu ou prou, pourtant, travailler avec elle. Je pense en particulier à la justice qui est animée, dans beaucoup de ses attitudes, par une sorte de condescendance à peine polie, un refus de solidarité qui ne peuvent que blesser un corps qui, sans cesse, fait le " sale boulot". Cette certitude de n’être jamais louée quand le meilleur, grâce à elle, advient et d’être méprisée et sanctionnée quand le pire survient ne constitue pas le meilleur climat pour une pratique policière à la fois humaine et efficace, décontractée et vigoureuse. Incomprise, blâmée presque à tout coup, la police s’est mise naturellement en position de repli et de retrait. Consciente de ses devoirs, devant se battre pour la plénitude de ses droits, guettée par les puristes et les moralistes en chambre, elle éprouve du mal à nouer un rapport tranquille et pacifié avec le citoyen. On a l’impression, parfois, au fil de diverses expériences qui montrent des gardiens de la paix en action, qu’elle se tient prête à anticiper le rapport de force, quel que soit le contexte. Sans percevoir autrui, ses concitoyens, pour des ennemis, le policier les appréhende avec une négativité qui n’est que la conséquence de son propre malaise d’être ce qu’il est dans une société qui réclame de plus en plus de sécurité mais respecte de moins en moins ses policiers.
En face, le citoyen, qui s’obstine à prendre la loi pour une menace au lieu de la désirer comme une garantie, n’est inspiré par aucune considération de principe pour ceux qui sont chargés d’assurer l’ordre et d’identifier les auteurs d’infractions. Sauf, évidemment, lorsqu’il est lui-même victime et qu’alors il vitupère les incapables qui ne sont jamais là !
La conséquence de ce lien perverti, c’est que la police semble se défier de la communauté dont elle fait partie, et que celle-ci ne fait rien pour l’aider à se réintégrer. Loin de se fondre l’une dans l’autre, elles se séparent sans regret et font démocratie à part, comme elles peuvent. Entre elles, il manque l’essentiel, le pont, la passerelle entre une police d’enquête et d’interpellation et des citoyens ou déçus ou intimidés. Il manque ce que Joaquim Masanet a justement qualifié de "police de voisinage ", cette police de la quotidienneté et de la familiarité dont le rôle serait d’apprivoiser et de faire connaître, de planter, sur le terrain social, les graines d’un meilleur vivre-ensemble. Au fond, ce qu’il convient d’attendre des fonctionnaires de police, c’est qu’entre l’ordinaire neutre et leur courage fréquent et admirable face à l’exceptionnel, ils apprennent et cultivent l’urbanité républicaine. Cette dernière mise en oeuvre sur une large échelle sera seule de nature à toucher les profondeurs de la communauté des citoyens et à modifier son esprit.
On a déjà constaté que pour les cités difficiles, cette approche fait l’objet d’un consensus. Les syndicats souhaitent qu’on arrête les contrôles routiers et qu’on mette " le paquet " sur les opérations de sécurité dans lesquelles les CRS pourraient représenter un apport substantiel. Nicolas Sarkozy a lui-même indiqué qu’il avait donné pour instruction de rendre plus discrète la présence de la police dans les quartiers " chauds". Non pas qu’il faille leur permettre de redevenir des zones de non-droit, mais pour éviter qu’en leur sein, des interventions répétitives et sans portée véritable ne lassent la majorité honorable et ne troublent plus la minorité malfaisante, beaucoup plus gênée par le démantèlement de ses trafics et l’émergence même timide d’un Etat de droit.
Cette urbanité républicaine, elle sera le complément nécessaire de la force et de la rigueur permises par la loi. L’arsenal pénal est là, à la disposition des policiers et des magistrats. Tous les débordements, toutes les violences peuvent être sanctionnés aujourd’hui. Aussi suis-je réservé, même si je perçois bien la finalité de ces discours, sur la demande politique d’aggravation des peines lorsque les policiers sont victimes. Nous avons déjà tant de mal à faire appliquer la loi existante avec sévérité. Ce type de proposition relève plus du symbolique - on jette demain à l’opinion publique pour la rassurer - que de l’efficient. L’efficient, ce serait de comprendre qu’on ne fait pas ce qu’on veut avec les magistrats, que les jurés actuels n’éprouvent pas forcément de la bienveillance à l’égard de la police, que des présidents de cours d’assises, syndiqués ou non, sont, c’est le moins qu’on puisse dire, peu favorables, dans les débats, aux fonctionnaires de police, que le barreau minimise et que les réquisitions du ministère public, aussi pertinentes qu’elles soient sur ce plan en correctionnelle ou aux assises, ne sont pas obligatoirement suivies. Entre la pureté et l’extrémité de la loi pénale et la décision rendue, il y a tout simplement la justice, formidable et vertigineux aléa. Plutôt que d’offrir demain dont nous ne savons rien, tentons de nous battre sur aujourd’hui.
Le garde des Sceaux et le ministre de l’Intérieur ont proposé, l’un, la création d’une nouvelle qualification criminelle qui réprimerait de quinze années de réclusion les violences commises avec arme et en bande organisée, l’autre, le renvoi systématique aux assises des agresseurs de policiers, de gendarmes ou de pompiers. Sur ce second point, des qualifications criminelles existent déjà et il faut sans doute interpréter cette proposition comme une volonté de criminaliser ce qui jusqu’à maintenant était délictuel. Nous aurons sans doute des éclaircissements à ce sujet.
Le projet du garde des Sceaux me semble, en l’état, très intéressant, dans la mesure où il veut répondre à une difficulté centrale de la pratique policière dans les cités mises sur le devant de la scène délictuelle et criminelle. Les violences sont collectives mais la preuve doit rester strictement individuelle. Autrement dit, en l’état de nos textes, si quelqu’un accomplit un acte contre les policiers, il peut être poursuivi ; en revanche, le groupe qui l’entoure, le protège, qui fait nombre, qui presse et menace, ne peut pas être collectivement incriminé. La disposition souhaitée par Pascal Clément nous sortirait d’une administration de la preuve totalement inadaptée et exclurait tout débat sur la volonté homicide puisqu’il suffirait d’établir la réalité des violences. Encore convient-il que nos responsables politiques intégrent, de manière lucide dans leurs résolutions, l’infinie liberté des juridictions en face des accusations même les plus étayées !
Ce n’est pas l’alourdissement des peines, en le supposant possible, qui instaurera ou restaurera le lien de confiance, le rapport de solidarité et d’estime entre les citoyens et leur police. C’est, au contraire et à la longue, cette relation inventée ou reconquise qui rendra insupportable toute mansuétude judiciaire.
Ce n’est pas l’Etat policier qui entraînera l’adhésion de tous mais l’Etat policé qui permettra d’espérer. Ce n’est pas avec une joie mauvaise et sadique - pour quel succès politique ? - qu’ il faut attendre la commémoration des émeutes d’il y a un an, mais avec la certitude que la démocratie, qui est humanité et rigueur, police et justice, va gagner.
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