Boissons, repas et anti-missiles à bord
Face à la menace croissante des missiles anti-aériens portables, les Etats-Unis et l’Europe veulent implanter des technologies anti-missiles dans les avions de ligne.

Missile à six heures !
En mars 2007, un Illyouchine décollant de Mogadiscio fut détruit par un missile sol-air portable - « MANPADS » dans le jargon militaire - l’appareil rapatriait des ingénieurs russes et bélarusses venus réparer un avion similaire déjà endommagé par une arme du même type. En 2006, de sérieuses menaces d’attentats au MANPADS auraient visé les aéroports d’Amsterdam-Schipol et de Rome-Fiumicino. En novembre 2003, un A-300 cargo de DHL fut touché au-dessus de Bagdad, le pilote réussit à se poser malgré un réacteur droit en flammes. Un matin de novembre 2002, un B-757 d’Arkia transportant 261 vacanciers en partance de Mombassa pour Tel-Aviv échappa à deux missiles tirés à l’épaule en bout de piste par deux miliciens de quelque faction terroriste est-africaine. En 1994, le Falcon 50 des présidents du Rwanda et du Burundi atterrissant à Kigali fut abattu par deux petits missiles autoguidés, l’assassinat des deux dirigeants préluda le génocide rwandais. Sur les vingt dernières années, plus de 500 passagers ont été tués dans les pays du sud par des DCA personnelles. Qu’en sera-t-il si des voyageurs américains ou européens, médiatiquement plus cotés, subissent le même sort ?
Pendant la guerre froide, l’OTAN et le Pacte de Varsovie inondèrent leurs alliés du Moyen-Orient, d’Asie centrale et méridionale, d’Amérique latine et d’Afrique de man-portable air defense systems, les best-sellers étant l’américain FIM-92 Stinger et le russe SA-7 Strela ; le premier fut l’arme préférée des moudjahidins afghans contre les hélicos de l’Armée Rouge, le second a la faveur des milices talibanes et irakiennes contre les hélicos de l’US Army. Ces petits missiles à autoguidage infrarouge doivent être tirés vers l’arrière d’un avion ou d’un hélicoptère au décollage ou à l’atterrissage - à cause de la chaleur dégagée par les tuyères d’échappement - pour mieux faire mouche, leur portée maximale est de 4500 mètres pour un plafond de 2000 mètres.
Légers, ergonomiques et simples d’utilisation, plus d’un million de ces joujoux léthaux se revendent pour environ 5000 dollars l’unité. Des copies chinoises, bulgares, hongroises, égytiennes, nord-coréennes et pakistanaises du Strela sont également disponibles pour 2000 dollars. Les séries chinoise Anza (MK I, II, III) et russe Igla (SA-14, SA-18) sont également très appréciées pour leur remarquable rapport qualité-prix. De nombreux groupes rebelles, paramilitaires ou terroristes de par le monde se sont constitué un arsenal diversifié grâce à de récurrents destockages massifs. Sur un marché noir aussi prolifique qu’explosif, vendeurs et acheteurs s’accordent au moins sur un point : « tout doit disparaître ».
Chandelles, piqués et loopings
Dans le marketing de l’armement en général, et de la DCA miniature en particulier, tout se passe bien tant que le client ne retourne pas son arme contre son fournisseur. Malheureusement, les actualités du XXIe siècle nous apprennent chaque jour que la roue de l’infortune est en perpétuel mouvement...
Confrontés à cette enième prolifération qu’ils ont initiée, les états membres du G8 signèrent en 2005 un accord visant à interdire la vente de MANPADS et de leurs composants à certaines nations et à des entités non étatiques. Concomitamment, ils adoptèrent un plan d’action incluant un travail permanent et coordonné de renseignement et de veille technologique dédié aux MANPADS, des études approfondies de parades technologiques pour l’aviation commerciale et l’implantation de verrouillages électroniques, de cryptages logiciels et peut-être de micro-transpondeurs GPS dans les futures versions de ces armes. Les hackers en armement s’en frottent déjà les mains...
Depuis cinq ans, Oncle Sam mène des actions bilatérales avec plusieurs pays foisonnant de MANPADS au sein du Non-Proliferation, Anti-Terrorism, Demining and Related Program et le Small Arms and Light Weapons Destruction Program. Les Etats signataires ont exigé l’anonymat mais deviner au bas mot desquels il s’agit n’est pas très compliqué. Jusqu’ici, ces accords ont permis de détruire une dizaine de milliers de MANPADS, pour le reste, une consultation des calendes grecques s’impose.
Les risques posés par ces MANPADS sont donc pris très au sérieux par l’Organisation de l’aviation civile internationale et par les gouvernements américains et européens. En plus des funestes conséquences, un tir réussi contre un avion de ligne occidental ferait des émules et serait littéralement dévastateur pour toutes les activités liées au transport aérien. Il est donc impératif de compliquer la tâche aux terroristes autant que possible.
Aujourd’hui, la recherche anti-MANPADS américaine dispose d’une enveloppe de 210 millions de dollars et celle européenne de 100 millions d’euros. Sans toutefois minimiser une menace bien réelle - beaucoup plus que celle d’explosifs liquides dans un bagage à main, concoctés dans une salle de bains par quelque islamikaze diplômé de chimie - ces investissements doivent aussi être analysés à l’aune de la paranoïa sécuritaire de l’après-11 Septembre, terreau fertile d’une surenchère technosécuritaire loin de déplaire aux industries de l’armement.
Zone de turbulences en milieu très agité
Les contre-mesures infrarouges ou IRCM consistent essentiellement en un brouillage infrarouge (IR jammer) et en une déflagration lumineuse de 800 à 2000 degrés celsius (flare). Traditionnellement, seuls les jets présidentiels et parfois gouvernementaux, les hélicoptères et les avions de combat, les appareils de transport militaire et les avions de ligne israéliens en sont équipés. L’activation des IRCM, souvent accompagnée d’une brutale trajectoire d’évitement mais toujours suivie d’un « ouf » de soulagement, a considérablement évité de lourdes pertes aux forces aériennes en Somalie, dans les Balkans, en Tchétchénie, en Irak et en Afghanistan, aires de jeu pour missiliers impulsifs.
Avec le concours de firmes d’électronique militaire embarquée et de compagnies aériennes, le Departement of Homeland Security et la Federal Aviation Administration planchent activement sur plusieurs solutions.
Dérivation certifiée d’une technologie militaire, la solution Flight Guard combine brouillage infrarouge et leurrage lumineux automatisés quelques secondes après la détection du flash de lancement d’un missile anti-aérien. Ce très classique IRCM n’est certes pas efficace à 100% mais il a fait ses preuves dans les zones de conflit précédemment évoquées et a sauvé le B-757 israélien décollant de Mombassa. Le coût d’installation de cette technologie, la moins onéreuse de toutes, est estimé à environ à 750 000 dollars par avion. Néanmoins, ses ampoules flare nécessitent des changements réguliers, ses systèmes senseurs et brouilleurs requièrent une maintenance particulièrement soutenue.
En coopération avec United Airlines, Alliant TechSystems a élaboré des leurres pyrotechniques à très haute combustion, activables même à basse altitude (100 pieds). La firme a dérivé son ATK AN/AAR-47 intégré dans plus de 1000 avions militaires. Cette solution s’est révélée hautement probante dans les Balkans, en Irak et en Afghanistan. Cependant, elle engendre des contraintes et des budgets similaires à celles du Flight Guard, gros risques incendiaires pour les zones habitées en sus.
Soumises à une féroce compétition et mondialement connues pour leur avarice, les compagnies aériennes américaines sont extrêmement retorses en matière de dispositifs anti-MANPADS. Elles doutent tant de la sûreté que de l’exploitation de ses IRCM dans un contexte civil : en effet, selon la RAND Corporation, la seule implémentation de ces deux solutions sur toute la flotte commerciale US engloutirait au minimum sept années de travail et trois milliards de dollars. Entre-temps, ces IRCM seraient vite dépassées par les upgradings réguliers des MANPADS. D’ores et déjà, les plus récentes versions du Strela et du Anza distinguent parfaitement l’appareil visé de ses contre-mesures même à partir d’angles plus croisés. Ces compagnies ajoutent que, comparativement à la majorité de leurs homologues occidentales ou asiatiques, El Al et Arkia sont quotidiennement confrontées à des risques terroristes et géopolitiques suffisamment élevés pour justifier de colossaux investissements dans une course-poursuite technologique contre les MANPADS.
Lors d’essais dans le Nouveau-Mexique, Northrop Grumman a intégré sa solution DIRCM (Direct Infrared Countermeasures) dans un B-747 de Northwest Airlines et dans un MD-11 cargo de Federal Express. BAE Systems a également expérimenté son DIRCM au Nevada avec trois B-767 d’American Airlines. Dans les deux cas, il s’agit d’un hémisphère rotatif fixé sur le ventre de l’avion de ligne qui, après avoir détecté la chaleur du missile pourchasseur, émet un laser multi-fréquences aveuglant son système de guidage. Le DIRCM de Northrop Grumman est une dérivation à usage civil de sa technologie militaire AN/AAQ-24 NEMESIS disponible sur Air Force One et sur 22 types d’appareils comme les avions de transport militaire C-17 Globemaster et C-130 Hercules. Le DIRCM de BAE Systems est le fruit d’une reconversion de son TADIRCM (Tactical Aircraft Directable Infrared Countermeasures), un système éprouvé contre des missiles sol-air et air-air à guidage infrarouge car adopté par l’US Navy, la Royal Air Force et la Royal Navy depuis fort longtemps.
Dans le cas présent, les compagnies aériennes yankees - décidément bien peu patriotiques au goût du Homeland Security - se soucient de la traînée aérodynamique et de la consommation énergétique supplémentaires générées par ce dispositif, et ce, sans compter les frais de maintenance, de réactualisation et de formation du personnel sur seulement 10 ans. Lourdement affectées qu’elles sont par la hausse du prix des carburants et par les restrictions environnementales, elles craignent les répercussions du DIRCM sur le prix du billet. Estimations basses de la RAND Corporation : 11 milliards de dollars pour la seule implémentation sur toute la flotte commerciale US, 40 milliards pour la maintenance sur 10 ans d’une technologie dont la longévité hors entretien avoisine les 300 heures... Les coûts d’adaptation des infrastructures logistiques civiles à de telles opérations n’ont pas été calculés. Au fait, que faire des vols long-courriers internationaux embarquant ces technologies sensibles vers de lointains pays tiers qui ne se priveront certainement pas d’y jeter un oeil ? Devra-t-on exiger des compagnies étrangères, charters et low-cost - également très prisées par le voyageur occidental - d’emboîter le pas ?
En outre, le DIRCM n’a que très peu d’utilité contre un missile comme l’Igla qui explose à proximité de sa cible sans nécessairement l’atteindre. Cette arme redoutable a permis aux rebelles tchétchènes d’abattre six hélicoptères de l’Armée Rouge (un Mi-26, deux Mi-24 et trois Mi-8) en 2002, aux miliciens irakiens de réduire en pièces un hélicoptère américain Chinook en 2003, aux paramilitaires serbes de détruire un F-16 américain en 1999, aux forces irakiennes de faire mouche contre un hélicoptère UH-60 Blackhawk de l’US Army, un F-16 Falcon de l’US Air Force et cinq Harrier de la Royal Air Force en 1991 ; tous des appareils dotés de contre-mesures infrarouges et/ou laser... Le tout nouveau Super-Igla serait encore plus diabolique, il vaut mieux ne pas imaginer le cauchemar final qu’il infligerait à un jet commercial. Last but not least : de Mombassa à Kaboul via Bagdad, les milices de la constellation Al-Qaïda ont pour habitude de doubler voire tripler les tireurs.
La dernière solution envisagée est l’installation de systèmes de brouillage infrarouge et laser autour des aéroports. C’est au tour des directions aéroportuaires de gueuler, à juste titre. Celles-ci craignent la pollution et le parasitage électromagnétiques conséquents, d’éventuels effets désastreux sur les avioniques, les communications, la téléphonie mobile, les pacemakers des voyageurs, la santé de leurs personnels et les nuisances pour les zones résidentielles voisines.
Dissimulé dans son pick-up à toit ouvrant, armé de son Igla d’une portée de 6000 mètres pour un plafond de 3000 mètres, le méchant missilier n’a nul besoin de se rapprocher de la piste pour shooter un avion au décollage ou à l’atterrissage... Faudra-t-il aussi instaurer d’ultra-régulières patrouilles policières et un périmètre de sécurité de 10 km autour de la zone aéroportuaire ?
Il appartiendra au Congrès de trancher sur la question des solutions anti-MANPADS testées par le Homeland Security et la FAA. Nul doute qu’il faudra compter avec un abyssal déficit budgétaire, des compagnies aériennes reluctantes et des voyageurs de plus en plus radins... En espérant que le ciel ne devienne pas le plus chaud endroit de la terre.
En savoir plus :
The
threat from portable missiles
American Airlines to test anti-missile system
DHS testing three anti-missile systems for commercial planes
Revue DSI (Défense & Sécurité International), No 33 - Janvier 2008. Entretien avec Jacques le Guillou, sous-directeur de la sûreté et de la défense à la direction générale de l’Aviation civile.
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