Gennaro Auletta aux portes du nouveau paradigme de la biologie cognitive
Un ouvrage scientifique capital mais confidentiel a été publié aux presses d’Oxford par Gennaro Auletta, professeur de philosophie des sciences à l’université pontificale de Rome. Un livre salué par quelques spécialistes en neurosciences, dont Marc Jeannerod. La démarche employée par Auletta est transversale, parcourant de nombreux champs disciplinaires. Physique quantique, informatique, thermodynamique, neurobiologie, génétique, biologie, théorie des systèmes. Rien n’est laissé de côté dans ce pavé roboratif dépassant les 800 pages et doté d’une double indexation ainsi que d’une bibliographie recensant presque 3000 références scientifiques. Cet ouvrage exprime l’érudition de son auteur autant qu’une intention philosophique très claire. Même si ce livre devrait figurer dans la bibliothèque de chaque laboratoire oeuvrant entre biologie et sciences cognitive, on n’est pas face à un manuel scolaire de haut niveau mais à une sorte de somme savante permettant de relier des champs disciplinaires épars tout en esquissant ce qui pourrait devenir un nouveau paradigme. Celui de la biologie cognitive. Cet ouvrage occupe une place particulière dans le domaine de la philosophie des sciences. On pourrait le comparer à la Somme théologique de saint Thomas, un ouvrage qui en son temps rassembla les spéculations théologiques sur le « Dieu des chrétiens » tout en prenant appui sur les savoirs de la raison contenus dans les traités aristotéliciens et néoplatoniciens. L’ouvrage conçu par Auletta se veut aussi rassembleur mais dans le registre de la biologie, des sciences systémiques, cognitives, des sciences cognitives et de la mécanique quantique. Avec également quelques options épistémologiques fortes qu’on découvre au fil de l’ouvrage (G. Auletta, cognitive biology, OUP, 2011).
On ne verra donc chez Auletta aucun syncrétisme et comme chez Thomas d’Aquin, on saisira une intention architectonique, autrement dit la volonté d’organiser les connaissances en un système, avec quelques principes déterminants permettant de concevoir un axe central. En ligne de mire, deux questions cruciales ; qu’est-ce que la vie et comment expliquer les processus cognitifs naturels dans le cadre d’une esquisse de « philosophie naturelle de l’information » ? Ce questionnement suppose qu’on puisse élaborer cette philosophie en serrant au plus près les développements contemporains de la physique et de la biologie. Et c’est ce voyage dans les théories et les expériences scientifiques que propose Auletta dont le point de départ est la mécanique quantique. Décision épistémologique facile à comprendre puisque le fil conducteur de cette étude sur la biologie cognitive est l’information et que dans le monde physique se dessinent les quelques conjectures fondamentales pour ne pas dire ontologique sur le comment et le pourquoi des informations dans la nature et plus précisément, dans cette nature vivante dont les espèces montrent qu’elles gèrent parfaitement les informations internes et environnantes.
Dans la préface de son essai, Auletta mentionne ses principales influences ce qui permet de situer sa démarche et de connaître la voie qu’il suit. Peirce est mentionné, avec le pragmatisme, la sémiotique et en ligne de mire, l’élucidation et de dévoilement de la cognition que déploient les systèmes vivants pour agir dans leur milieu et le cas échéant, s’adapter tout en évoluant. Auletta évoque ensuite des travaux inscrits dans le champ de l’evo-devo comme ceux publiés par Scott Gilbert. Se dessine alors une porte ouverte permettant de tracer des interconnections élargies entre la cognition et la biologie, avec la prise en compte d’une subtilité épistémologique imaginée par Francisco Ayala et sa distinction entre téléonomie et téléologie. Auxquelles s’ajoute le principe d’une causalité hiérarchisée (top down) permettant l’organisation des systèmes complexes (je précise que principe gouverne aussi les hypothèses de Paul Davies sur l’origine de la vie). La troisième influence déterminante exposée par Auletta est tirée des travaux menés par Karl Friston qui, revisitant des vieilles idées de Helmholtz, explique l’origine et la stabilité structurelle des systèmes naturel dont la fonction est de gérer l’information et la perception dans un environnement pouvant être une source de perturbations non seulement physiques mais aussi cognitives. L’auteur confie avoir vécu une sorte de révélation en étudiant ces travaux inspirés de la théorie de l’information combinée à la physique statistique et aux probabilités bayésiennes, le tout ordonné autour du concept d’énergie libre ; qu’on ne doit pas assimiler à son homologue en thermodynamique. L’énergie libre employée par Friston étant une notion assez complexe et formellement travaillée où l’information prime sur l’énergie.
Si je voulais résumer l’idée qui gouverne cet essai, je paraphraserais Aristote pour qui la nature ne fait rien en vain. Nous pourrions dire alors que la nature ne connaît rien en vain. Ce qui constitue une transposition du pragmatisme au règne animal. Et pour connaître, une condition nécessaire, être ouvert et acquérir des informations. Le système le plus basique vérifiant ces conditions n’est autre que le dispositif quantique comme nous l’explique Auletta dans les deux premiers chapitres. La propriété de cet univers quantique est qu’il n’est pas complètement accessible si on extrait l’information et que de plus, compte tenu de ses propriétés ontologiques, il est à l’origine de la « nouveauté ». Mais comme nous en avertit Auletta, l’information est une notion délicate à manipuler et source de beaucoup d’interprétations erronées, notamment pour toute une épistémologie gravitant autour de la thermodynamique de Boltzmann et de la théorie de Shannon. Il faut se méfier des écrans de fumées. Mais ne pas renoncer à creuser et interroger le réel. Page 58, une idée se dessine, celle d’une sorte de sémantique particulaire avec des électrons, protons et neutrons doués d’un code présidant à la formation des éléments atomique. Néanmoins, la nature vivante reste difficile à décoder et c’est toute cette énigme de l’information et surtout de son traitement et son organisation dont il sera question dans la suite de cette longue étude où il faut garder à l’esprit que l’information est une notion dont le sens dépend du contexte où elle intervient et qui se dessine sur divers plans du réel.
L’ouvrage est composé de trois grosses parties portant sur le sort de l’information dans la nature, surtout les systèmes biologiques et en particulier les systèmes dévoués à la perception de l’environnement et au traitement des informations, autrement dit les différents systèmes nerveux. Premièrement, il faut comprendre et formaliser comment les systèmes vivants acquièrent des information ; puis deuxièmement comment ils gèrent ces informations, les utilisent et s’en servent à des fins de développement, d’existence dans le milieu et d’évolution ; enfin troisièmement comment les représentations apparaissent chez les animaux supérieurs et plus spécialement, le sens et les concepts s’il s’agit de l’homme. 700 pages à étudier pour connaître la biologie cognitive dans ses moindres détails, avec des hypothèses et des débats entre options théoriques proposées par les scientifiques oeuvrant dans le champ des neurosciences, des sciences cognitives et de l’épistémologie.
D’autres détails à suivre si le sujet vous intéresse…
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