La caverne de Schrödinger : le « réel quantique » n’est pas voilé ; il est « dé-formé »

La mécanique quantique occupe une place éminente parmi les disciplines scientifiques mais elle reste pour l’essentiel une énigme. Elle est redoutablement efficace pour prédire les résultats expérimentaux mais comme l’a suggéré Feynman, avec le style facétieux qu’on lui connaissait, personne ne comprend la mécanique quantique et celui qui prétend savoir de quoi il s’agit n’a rien compris à la physique quantique. Le meilleur exemple de précision reste sans doute le calcul de fréquences d’émission lors des transitions énergétiques de l’hydrogène. Une précision qui va bien au-delà du milliardième et qui découle des calculs précis effectués à partir de l’électrodynamique quantique. Feynman aime citer la mesure du moment magnétique de l’électron anormal, lui aussi mesuré avec la précision d’une distance New York Los Angeles à l’épaisseur d’un cheveu près, 2.00231… valeur due aux corrections de la QED et dans la réalité, s’explique par les effets du vide quantique. Les équations de Schrödinger et de Dirac ne suffisaient pas. J’ai longtemps pensé que la mécanique quantique pouvait être interprétée comme une représentation cryptée des réalités matérielles mais depuis peu, un doute a envahi mon esprit. Ce dont on ne doute pas, ce sont les processus microphysiques et les paramètres observables. Ensuite, toute cette artillerie mathématique avec les états quantiques, les opérateurs, les fonctions d’onde et autres espaces infinis de Hilbert et de Fock. Mais la réalité semble nous échapper alors que je n’adhère pas à la thèse de Bernard d’Espagnat sur un réel qui serait voilé et donc une mécanique quantique qui ne livrerait qu’un aspect parcellaire de l’univers matériel. Ce qui nous ramène à Kant et la chose-en-soi inconnaissable mais dont on peut s’approcher avec les observations quantiques. Une autre analyse que je tiens pour importante a permis d’extraire à partir du formalisme quantique une méthode de conceptualisation du réel (M. Mugur-Schächter, L’infra-mécanique quantique, Dianoïa, 2008). Sous réserve d’une étude approfondie, on peut y déceler une démarche épistémologique parallèle à l’investigation phénoménologique. Avec une différence de taille, la conscience est mise hors jeu au profit d’une toile mathématique dont on extrait un dispositif épistémologique. Ce qui fait de la mécanique quantique une interface cognitive entre un réel matériel avec ses processus élémentaires extraits de l’expérimentation et l’activité formalisante du scientifique.
Maintenant, intéressons-nous à ce que nous dit, ou alors nous cache la physique quantique. De quoi est fait le réel ? Quelles sont ces particules, les unes fermions, les autres bosons, les unes avec un spin demi-entier, les autres, un spin entier ? Que sont les champs quantifiés ? Et les états quantiques ? Une de mes interprétations a pu déceler une « ontologie de l’atome » où forme et énergies sont liées et où la forme est surdéterminée. D’autres investigations m’ont conduit à envisager un réel dédoublé, comme le fit Roger Penrose en scindant le monde quantique en deux domaines, celui des fonctions d’onde et celui des observations. De mon côté, je dédoublais le réel en un champ d’expression et un domaine sous-jacent, le champ du Procès, qui est cause de l’expression. Tout en prêtant à la mécanique quantique une hégémonie épistémologique la plaçant comme dispositif ontologique capable de nous dévoiler quelques énigmes sur le vivant. Des explications allant évidemment au-delà des conceptions molécularistes et génétistes. Je suis convaincu que des explications non conventionnelles sont envisageables mais comme je l’ai suggéré précédemment, un étrange doute m’a envahi et cette mécanique quantique semble m’échapper et nous égarer. Je me demande même si au lieu de parler de réel voilé il ne faudrait pas envisager comme hypothèse celle d’un réel faussé, falsifié. Ou pour le dire avec un sens un peu différent, une irréalité observée. Cette troublante expression signifie en fait que ce n’est pas le réel que la physique quantique observe mais une sorte de réalité fabriquée par l’expérimentateur avec ses appareils de mesure et surtout, les artifices technologiques utilisés dans les accélérateurs de particules. Cette irréalité ne serait-elle pas alors le signe d’un monde matériel déformé par l’expérience ? Un peu comme une toile élastique sur laquelle on tire et qui se manifeste comme des bouts de ficelle aux contours bien définis. Mais lorsque le réel n’est pas observé, ces bouts de ficelle sont tissés selon un mode propre qui n’a pas forcément de rapport avec les ficelles extraites de la toile, autrement dit les processus microphysiques.
Ces considérations préliminaires et très lacunaires pour l’initié quantique ouvrent la porte vers une hypothèse que chacun pourra évaluer et même juger. Le monde quantique observé est un monde dé-formé, extrait comme une expression d’un monde in-formé. Dé-formé signifie exprimé et si l’on veut, en relation avec la question de l’entropie mais ne compliquons pas. Pourquoi alors cette hypothèse ? Juste une extrapolation spéculative qui réunit un bon nombre de pensées sur la nature et qui au bout du compte, se conçoit aisément. Il suffit de dédoubler la réalité en un monde de la cohérence quantique et un monde, observable, de la décohérence. Les formalismes et les expérimentations fournissent maintenant les bases pour effectuer cette conjecture spéculative. Le monde cohérent est celui de la surdétermination de la forme, il est in-formé et sans doute ordonné par des règles strictes spécifiant une sorte d’harmonie mais qui peut être troublée par le chaos du monde exprimé celui de la décohérence, car les deux mondes interfèrent (à prévoir aussi un éventuel « chaos subquantique »). Le monde observable dé-formé s’inscrit dans la trame mathématique du monde structuré par la théorie quantique. Une étrange correspondance se dessine avec les notions de « nature naturante » et de « nature naturée » qu’on trouve dans les écrits alchimiques de la Renaissance. Cette coïncidence n’est pas fortuite. Il y a bien un lien entre ces deux domaines de la connaissance et une correspondance assez éclairante. Le monde in-formé qui exerce une efficience et se donne en se dé-formant aux observateurs quantiques mais ce n’est qu’un détail car le principe de la forme naturante trouve sa justification dans la compréhension du vivant. Ira-t-on jusqu’à concevoir une nature calculante et une nature calculée. Et pour aller encore plus loin, que penser de la déformation de l’espace-temps par les masses dans la cosmologie relativistes. Ces conjectures devraient se régler dans une possible super théorie de l’entropie.
Je savais qu’en rencontrant le mur quantique, il ne faudrait pas le casser pour aller plus loin mais simplement le contempler, et c’est ainsi qu’il disparut pour ouvrir l’horizon vers la compréhension de l’univers. Quelques détails certes, mais au moins, sommes-nous passés de l’autre côté de la caverne sensible et phénoménale. En jouant sur une spéculation fondée sur le formalisme quantique. Cette thèse d’un monde observable dé-formé n’est pas sans évoquer une vieille conception, de Platon à Plotin, sur le monde sensible interprété comme monde « dégradé » et opposé au monde des intelligibles. Mais n’allons pas introduire de malentendu, l’idée d’un monde observable dé-formé prend un sens précis dans le contexte de « l’interprétation quantique » du monde phénoménal. Un peu de poésie. Le champ observable, c’est un peu le voile de la matière, le « masque » du monde, à la fois d’une beauté aveuglante et d’une inquiétude mystérieuse ; mais derrière le masque, d’autres réalités, encore plus étonnantes et plus belles, se dessinent et peut-être l’âme du monde derrière le masque quantique…
Le masque est donc tombé, ce qui renvoie à la caverne de Platon, non pas expérimentée par la conscience mais décelée dans la mécanique quantique. Je serais tenté de la nommer caverne de Schrödinger. Pour bien expliciter cette thèse, il faut considérer le monde des observables en lui reconnaissant un ensemble de règles très contraignantes faisant que la dé-formation du réel reste formalisable tout en ajoutant un second monde, celui de l’in-formation, qui a un lien avec la cohérence des états et sans doute avec une formalisation pouvant inclure la chromodynamique quantique. L’interaction forte joue un rôle qui pour l’instant n’est pas établi. C’est celle qui est la plus contrainte formellement. Les contraintes du monde observable sont sans doute dépendantes du champ électromagnétique et électrodynamique quantique. (Entre les deux, il faut « caser » l’interaction faible, celle qui est la moins contrainte et sans doute le ressort de l’entropie physique et de l’invention autant que du chaos mais je tiens aux parenthèses car là, c’est de la spéculation de haute voltige). L’enjeu de la physique à venir sera de concevoir cet univers de l’in-formation, avec ses cohérences, intrications et « calculs quantiques ». En me répétant, c’est une question d’entropie mais reformulée de manière radicale.
La science entre dans un domaine inconnu. Mais les scientifiques peinent à se libérer du connu et des idées convenues. C’est ce que suggère Vlakto Vedral dans son livre Decoding reality, non sans quelque ironie, citant un bon mot de Maslow sur les gars qui, ne disposant que d’un marteau, finissent par voir tous les problèmes comme des clous. J’irais plus loin dans cette allégorie en suggérant qu’en n’utilisant que des chandelles, on éclaire le monde avec la pénombre, alors que si l’on use de fusées chargées de poudres, on réalise un feu d’artifice. C’est cela finalement le sort de la caverne de Schrödinger, sortir du monde dé-formé pour entrer dans l’univers des feux d’artifices de l’in-formation calculante qui ne serait autre que le monde de la Création de Jean Scot et le « mystère de l’univers ». Ce n’est pas Vedral qui me contredirait sur ce point (j’ai reçu son livre et vous en parlerai prochainement).
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