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Nobel 2012 de médecine attribué à deux mécaniciens du vivant

 Le prix Nobel 2012 de médecine et physiologie vient d’être décerné aujourd’hui à deux scientifiques dont les travaux relèvent plus de la biotechnologie que de la recherche fondamentale. A travers la reconnaissance des résultats obtenus par le britannique John Gurdon et le japonais Shinya Yanamaka, l’académie de Stockholm couronne l’une des avancées les plus spectaculaires en matière de technoscience et de manipulation du vivant. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les travaux de Gurdon récompensés par le Nobel datent de 1962, l’année de naissance de Yamanaka. Ce fait est assez original, marquant la volonté de reconnaître les prouesses d’un chercheur assez jeune et d’anciens travaux qui ont ouvert la voie, ce qui est le cas de Gurdon qui le premier a su se rendre maître des techniques de clonage en introduisant un noyau de cellule différenciée (somatique) dans un œuf de grenouille. C’est d’ailleurs à cette occasion que pour la première fois, la communauté scientifique, suivant une suggestion émise par Haldane, a utilisé le terme de clonage pour désigner ces méthodes vivant à obtenir artificiellement un animal. Auparavant le clonage était réservé aux végétaux et aux êtres unicellulaires. Les méthodes mises au point par Gurdon ont ainsi ouvert la voie à des millions d’études consistant à manipuler des génomes et des cellules souches. Et c’est l’un de ces bricoleurs du vivant que le Nobel récompense pour des travaux assez innovants il y a cinquante ans, alors que sortait le premier single des Beatles.

 Yamanaka a trente ans de moins que son co-lauréat du Nobel. Il a été couronné pour avoir réussi à produire des cellules souches à partir de cellules différenciées, d’abord sur la souris en 2006, puis sur l’homme en 2007. Les méthodes employées sont très sophistiquées. On ne se situe plus dans la biotechnologie de grand papa, celle pratiquée au temps de Gurdon, Haldane ou Monod, alors que la double hélice venait d’être découverte et qu’on mettait des semaines à séquencer un gène. Les méthodes employées par Yamanaka reposent sur deux choses. D’abord identifier précisément les gènes qui sont actifs dans les cellules souches embryonnaires. Ces séquences sont alors désignées comme gènes de la pluripotence. Ce qui signifie qu’ils maintiennent la cellule dans un état non différencié si bien que selon le contexte, elles aboutiront après plusieurs mitoses à des dermocytes, des cardiocytes ou même des neurones. Ensuite, il s’agit, en utilisant des vecteurs rétroviraux permettant d’insérer des gènes, de transformer une cellule somatique en cellule souche. C’est très compliqué à réaliser, certainement plus qu’une bombe nucléaire.

 Le candide de service se demandera à quoi ça sert, arguant qu’après tout, des cellules souches, on en trouve dans l’embryon. Il suffit en effet de « se servir ». Oui mais certaines ligues prudes s’offusquent de ces manipulations génétiques sur ce bout de chair qui pourrait donner un petit enfant. On se rappelle en effet de ces interminables débats et autres polémiques de bioéthique qui se sont déroulés au pays de George Bush mais aussi en France où les « obsédés de la vie » n’économisent pas leur énergie pour condamner avortements et autres bricolages embryologiques. Au final, la conclusion semble évidente. Au vu des limitations liées à cette technique d’induction de cellules pluripotentes, avec l’efficacité réduite et les risques de produire des cellules tumorales, on peut convenir que, excepté d’éventuelles avancées fondamentales, ces travaux sont complètement inutiles pour ce qui est de l’intérêt collectif et de la santé publique. Pour étudier et utiliser des cellules souches, rien ne vaut l’authentique cellule souche. Cela étant, d’astucieux marchands sont prêts à foncer sur la technique de Yamanaka en imaginant par exemple qu’un jeune adulte puisse donner quelques cellules de peau vites transformées en cellules souches pour être congelées moyennant paiement puis être utilisées plus tard pour réparer un improbable dégât physiologique quelques décennies plus tard.

 Bref, on se place un peu dans la médecine de Frankenstein et ce Nobel possède un goût de crépuscule, illustrant la fin d’une époque éprise de technoscience et de rêve de toute puissance sur le vivant. Un prix Nobel qui marque ainsi une époque où la biologie et la médecine ne servent plus vraiment l’humanité mais se gargarisent d’exploits techniques. La médecine mécanicienne est couronnée en 2012 et les chouettes de minerve peuvent maintenant s’envoler en contemplant les succès de la médecine occidentale mais aussi les impasses actuelles. Néanmoins, malgré ces réserves sur l’orientation actuelle de la médecine, il faut reconnaître que les travaux pionniers de Gurdon ont largement servi pour étudier et comprendre le vivant et c’est ce qui fait toute l’ambivalence et l’ambiguïté de ce Nobel où nos académiciens semblent s’égarer entre l’aube et le crépuscule.


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3 réactions à cet article    


  • JMTLG 8 octobre 2012 16:31

    Je ne dispose (et de loin) pas des connaissances suffisantes pour juger de la légitimité ou non d’un Nobel, mais cependant je pense que vous avez vous-même mis en avant le point le plus important quant à l’intérêt des travaux mentionnés :

    "on peut convenir que, excepté d’éventuelles avancées fondamentales, ces travaux sont complètement inutiles pour ce qui est de l’intérêt collectif et de la santé publique.« 

    En effet, à l’heure d’aujourd’hui ces recherches ne semblent pas trouver d’applications concrètes, mais elles ouvrent justement des portes à de très très nombreuses autres recherches qui elles entrainerons peut-être du concrêt.

    Quant Newton a établis les lois de la mécanique des corps, à ce moment-ci il n’y a eut pour ainsi dire aucune application concrète de ces mêmes lois. Or cette »découverte" a permis plusieurs années (siècles) après des avancées majeures dans un nombre de domaine impressionant, a ouvert la voie à Einstein, à la physique moderne, et j’en passe. Tout comme la physique quantique aujourd’hui n’a pour ainsi dire aucune utilité, elle est en passe (quelque décennies) de peut-être changer radicalement bien des choses.

    Bien sur il y a beaucoup de peut-être, bien sur il y aura peut-être une récupération commerciale et/ou douteuse, mais je pense de condamner une découverte scientifique (quelle qu’elle soit) est je pense peu avisé, mais une prouesse telle que celle-ci me semble moi, vulgaire béotien, détenir un potentiel indéniable.

    Potentiel qui changera le monde, même un peu, dans 5, 10, 200 ans ? Ou pas du tout ? Je ne le sais pas, à mon grand regret, mais ça reste une possibilité.

    Après, Nobel ou non, pour ma part ça m’indifère totalement, ces prix sont à mes yeux dénués de toute valeur depuis bien des années.


    • travelworld travelworld 8 octobre 2012 17:09

      Einstein a eu son Nobel non pas pour sa théorie de la relativiyé mais pour ses travaux sur l’énergie photovoltaïque (pour faire court). La science ce n’est pas du court terme !
      Nouvelle expédiée sur BFM TV, par contre le foot......


      • jean-charles 11 octobre 2012 13:54

        Cher Monsieur Degué,

         

        Je crois que vous n’avez pas vraiment appréhendé la portée des travaux entre autre développés par l’équipe de S Yamanaka.

        Au delà de l’exploit technique et méthodologique que vous reconnaissez bien volontiers, le développement de cellules non différenciées à partir de fibroblastes, puis amenées à se redifférencier en d’autres types cellulaires, a nécessité l’acquisition de nombreuses données en recherches fondamentales et la compréhension des mécanismes sous-jacent à ces dé-différentiation/re-différentiation.

        Quant aux implications, elles sont particulièrement importantes au niveau fondamentale et risquent de changer grandement notre approche de la recherche bio-médicale et à plus long terme notre façon d’être soigné (car nous parlons bien là du principe encore un peu flou mais visionnaire de la médecine personnalisée).

        Au niveau fondamental, nous allons pouvoir disséquer puis reconstruire par approche systémique, les étapes qui font que chacune de nos cellules présente tant de caractéristiques différentes alors qu’à la base, elles ont presque tout en commun. C’est un domaine qui va s’avérer être passionnant.

        Au niveau de la recherche bio-médicale, l’accès en culture cellulaire à des cellules neuronales ou autres (jusqu’ici inaccessible) de patients souffrant de pathologie va nous permettre là-aussi d’observer de façon plus réelle, moins biaisée (par rapport à un modèle de souris par exemple ou à l’utilisation de lignées humaines cancéreuses), la réalité du développement pathologique. Cela a déjà commencé pour l’étude de maladies monogéniques, le modèle étant plus « simple » dans ce cas mais ces approches vont être très rapidement étendues à des pathologies multifactorielles complexes. Là aussi, ces cellules souches vont s’avérer être des outils particulièrement puissants.

        Au niveau pharmacologique, ces outils vont là-aussi permettre le criblage de molécules d’intérêt sur des cellules provenant directement de personnes ayant développées la pathologie ciblée par ces molécules. Les conséquences sur la pertinence des molécules finalement sélectionnés sur ce type de modèles, sont assez évidentes en terme d’efficacité et de temps de développement.

        A plus long terme, ces cellules pourront être utilisées pour se réparer soi-même. Ce n’est pas de la science-fiction mais de l’anticipation. Nous en sommes juste au début mais peu à peu nous maîtriserons de mieux en mieux ces outils et seront capables de gérer les risques. Lorsque le coût bénéfice/risque sera acceptable, il est probable que des traitements seront développés en particulier pour les maladies dégénératives. En effet, il n’y aura dans ce cas, aucun risque de rejet puisque les cellules proviendront de soi.

        Et pour finir sur une considération éthique, en effet, le fait de ne plus avoir à travailler sur des cellules embryonnaires permettra d’éviter un débat compliqué où tout point de vue peut être finalement raisonnablement accepté ou en tout cas entendu.


        cordialement


        jean-charles

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