Immigration choisie et immigration sauvage dans la Gaule d’avant et d’après J.-C. (suite)
Tel est le témoignage qui nous prouve que, un
à trois siècles après l’arrivée des Grecs à Marseille, les dirigeants de la Celtique
avaient beaucoup plus le souci d’envoyer leurs excédents de population à
l’extérieur de leur territoire plutôt que d’en recevoir. Ainsi démarrent les
deux plus grandes expéditions "coloniales" de l’histoire européenne,
l’une par la vallée du Danube, l’autre vers l’Italie. Alliées aux Gaulois ou
s’opposant à eux, les cités de notre vieux continent se structurent et
connaissent à leur tour un fort essor démographique. En Italie, une Gaule cisalpine
sera pour César un réservoir humain dans lequel il puisera pour y mobiliser ses
légions. En Germanie, les Suèves vont imposer leur puissance militaire.
Les excédents de population dont parle Tite-Live n’étant pas revenus au pays, la Gaule se replie sur son hexagone tandis que la pression migratoire des anciens pays vaincus ou soumis s’exerce sur ses frontières, les Romains au Sud, les Suèves sur le Rhin.
En 121 avant J.-C., dans la basse vallée du Rhône, Bituit, roi des Arvernes, tente d’arrêter l’expansion coloniale d’une Marseille tombée dans l’orbite romaine. La défaite gauloise face aux légions de Fabius est suivie d’un traité qui livre pratiquement aux Romains toute une région du Sud de la Gaule : la Narbonnaise. Des colonies romaines s’installent dans des villes autrefois sous l’influence de Gergovie. Et l’Arverne Critognatos s’écrie dans les Commentaires de César : « Regardez la Gaule toute proche que les Romains ont réduite à l’état de province. Ils lui ont imposé d’autres lois, d’autres institutions et ils l’ont enfoncée dans une servitude dont on ne verra jamais la fin (DBG VII, 77). »
Dans les années 70 avant J.-C., ou peut-être avant, les Arvernes, qui se sont alliés aux Séquanes contre les Eduens, passent un contrat avec le chef germain Arioviste. 15 000 mercenaires suèves entrent en Gaule (DBG I, 31). Vaincue sur ses deux fronts, l’armée éduenne, décimée, ne peut plus s’opposer aux ambitions d’Arioviste. 120 000 Germains franchissent le Rhin et occupent la plaine d’Alsace. Ces hommes rustres et barbares furent séduits par la fertilité des champs, par la culture et les richesses des Gaulois, et il en vint de plus en plus nombreux (DBG I, 31). Les Séquanes, qui les avaient pourtant appelés, sont chassés de leurs oppidum. Les Suèves, les Harudes, les Marcomans s’y installent.
Dans les années 60 avant J.-C., l’éduen Divitiac, druide suprême de la Gaule, est à Rome, en exil. Il plaide sa cause devant le Sénat romain (Panégyriques, Lat.8, par.3). On l’écoute, sans plus. N’ayant pu obtenir le soutien militaire qu’il pouvait espérer, Divitiac ne peut, logiquement, que se tourner vers un autre peuple disposant d’une armée, les Helvètes. Pour sceller la nouvelle alliance, son frère Dumnorix épouse la fille du chef helvète, Orgétorix.
En 58 avant J.-C., le peuple helvète quitte son territoire et émigre en direction du pays éduen. Suivant la thèse que j’ai développée dans mes ouvrages ainsi que sur mon site Internet, j’ai proposé d’interpréter cette gigantesque migration autrement que César ne le dit. Il s’agit là, selon moi, de la plus grande immigration "choisie" relatée en détail dans un texte qu’il faut toutefois lire entre les lignes. Il s’agit d’une immigration choisie, "sollicitée" par les hauts responsables du pays éduen, dans le but évident, d’une part, de retrouver la suprématie qu’ils avaient perdue, d’autre part de rassembler les forces éduennes, séquanes et helvètes dans une même coalition pour battre Arioviste et rejeter les Germains derrière le Rhin.
Ironie de l’Histoire, alors que ce n’était pas prévu, César intervient en Gaule. Après avoir battu les Helvètes qui entraient pacifiquement dans le pays éduen, il se retourne contre Arioviste et lui fait refranchir le Rhin.
De tous ces candidats à l’immigration en Gaule, seuls les Boïens seront autorisés à rester en raison de leur grande valeur militaire. César les installera sur l’oppidum mythique de Gorgobina (DBG VII, 9) et en fera sa sentinelle pour surveiller le pays éduen, au centre de la Gaule.
Première interrogation : César est un écrivain précis. En s’appuyant sur des tablettes qui recensaient les effectifs prévus pour émigrer, il nous donne le chiffre total de 368 000 âmes (263 000 Helvètes Tulinges Latobices Rauraques Boïens) dont 92 000 combattants (DBG I, 29). Après le départ des Helvètes de la Suisse actuelle, le territoire se serait-il vidé de tous ses habitants ? Evidemment non. Si on veut comprendre, dans la logique, le texte de César, on est donc amené à distinguer deux types de populations : une population de citoyens et une population de non-citoyens. La première est socialement organisée, structurée, armée. La deuxième, ne l’étant pas, essaie de survivre à l’image des laboureurs et des artisans du Moyen-Age. La première est dominante, susceptible de se déplacer d’un territoire à un autre, la deuxième reste attachée à sa terre, dominée certes mais aussi protégée ; mais comme elle n’a aucune influence sur le déroulement de l’histoire, l’historien l’ignore. Lorsque les Séquanes doivent laisser la place à une tribu harude (DBG I, 31), il s’agit de ce premier type de population. De même, lorsque Divitiac dit que l’arrivée en Gaule des Germains d’Arioviste risque de chasser tous les Gaulois du pays (DBG I, 31).
Deuxième interrogation : mise à part cette immigration choisie ou imposée par une volonté de conquête, peut-on imaginer, par ailleurs, une immigration d’infiltration à la barbe des habitants, avant la guerre des Gaules ? Par clans peut-être, mais individuellement, j’en doute. Dans l’ancienne Celtique, les marchands romains veillent à rester sous la protection des chefs-lieux de cités. Survienne un changement de politique, ils sont massacrés. Dans la partie Nord de la Gaule où les Nerviens maintiennent les anciennes traditions, les marchands romains sont très mal vus, voire interdits de séjour (DBG II, 15) et quelques siècles plus tôt, c’était l’habitude dans le pays de pratiquer le meurtre rituel de l’étranger (Diodore de Sicile, IV, 19, 1-2). Une colonisation, notamment des terres, sans couverture militaire est une vue de l’esprit.
Troisième
interrogation : dans le
conflit qui opposa les Arvernes aux Eduens, n’y aurait-il pas eu deux
conceptions de la religion, un druidisme ancien, hellénique, arverne, essayant
de résister face à un druidisme en évolution, judaïsé, éduen ? A Gergovie, une
religion traditionnelle de druides "groupés
en associations comme Pythagore l’avait prescrit" (Ammien Marcellin,
XV, IX), à Bibracte un nouveau druidisme "qui
avait beaucoup de rapport et de conformité avec la religion des juifs" (témoignage
de Celsius rapporté par Origène, Contre Celsius, P, I, c 16) ?
Dans cette hypothèse, on pourrait raisonnablement penser que l’intervention d’Arioviste en Gaule avait aussi un motif religieux : porter secours au druidisme ancien de Gergovie face à la révolution éduenne d’un druidisme judaïque.
(Extraits en partie de mon huitième ouvrage La Gaule en héritage non publié).
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