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Accueil du site > Tribune Libre > Le spleen d’un immigrant du numérique

Le spleen d’un immigrant du numérique

J’appartiens à cette génération inquiète des « immigrants du numérique », celle de la transition. Une génération fin de règne, une génération fin de race, qui a aujourd’hui la quarantaine...

Notre héritage est dévalué et nous n’avons rien à transmettre. Il nous faut tout réapprendre... J’envie l’insouciance de ces « natifs » du monde qui arrivent, sans complexes ni censures, enthousiastes et sans préventions. Alors que nous sommes voués à l’inquiétude, sommés de faire en nous sans cesse le tri entre ce qui sert encore et ce qui ne vaut plus rien...

Pour un "immigrant du numérique" comme je le suis, qui a connu "le monde d’avant", sans ordinateurs, sans portable et sans internet, et s’initie peu à peu à celui qui arrive, tout a déjà changé en quelques années, tout est à réapprendre.

Le moment éphémère de la transition

Cette obligation de remise en cause me vient à un âge (la quarantaine) où j’ai déjà "pris des plis". Certains se révèlent être de mauvais plis et je dois les repasser. D’autres sont un capital d’expérience, qui peut être très utile en certaines circonstances. Le problème est que je ne sais pas d’avance lesquels... Je marche à tâtons sur des sables mouvants, contraint à l’auto-analyse et à l’introspection permanentes, sommé de faire sans cesse le tri au sein de moi-même.

Certains sont très mal à l’aise de ce nouvel état d’incertitude. Ils peinent à se mettre à jour et parfois même y résistent. Cette incertitude n’est pas rassurante, elle produit de l’inquiétude. Et c’est assez naturel.

Les "natifs" du numérique ne connaissent pas ces difficultés et ils n’ont guère de motif d’éprouver la même inquiétude. J’envie leur insouciance face à la nouveauté et j’ai le sentiment que ce monde à venir est plus facile à vivre quand on le prend ainsi. Mais moi, je ne peux pas. Je suis condamné à l’inquiétude...

Une génération qui n’a rien à transmettre

Je resterai donc un immigrant du numérique... J’appartiens définitivement à ce moment éphémère et provisoire de la génération de la transition. Je sais ce que l’on perd et j’ignore encore ce que l’on gagne...

J’appartiens à cette génération qui n’aura guère de choses à transmettre. Ce que nous avons reçu est largement périmé. Notre héritage est dévalué. Et notre propre "acquis" n’est guère utile à la génération suivante, qui n’a aucune transition à gérer, puisqu’elle est née de plain-pied dans le monde qui arrive.

Génération fin de règne, génération fin de race...

Le pire n’est jamais sûr

Elle doit nous regarder mi-étonnée, mi-amusée, la génération native du numérique, en nous voyant nous débattre dans des difficultés étranges, qui lui échappent...

Nous pestons contre l’envahissement du marketing, la dictature de l’instant, l’effacement de la frontière entre le privé et le public, l’exploitation des données personnelles à des fins commerciales, les dangers de Big Brother... Nous protestons contre la volatilité, l’instabilité, le règne du buzz, du futile et de l’éphémère... Nous craignons pour notre liberté, notre intégrité, notre identité même... Quand les "natifs du numérique" baignent dans ce monde avec aisance et insouciance comme des poissons dans l’eau.

Ils sont connectés de partout, en permanence et en tous sens. Ils jonglent avec dextérité de matériel en logiciel, toujours un oeil sur un écran, toujours en veille... Alors que nous sommes patauds et maladroits, jamais assez attentifs, jamais assez disponibles... et souvent fatigués de cette tension permanente qu’impose en nous cette transition.

Ils se ruent avec enthousiasme sur les blogs et les réseaux sociaux, et s’y livrent sans censure ni complexes, quand nous avançons prudemment, en nous dévoilant au compte-goutte et avec réticence... Ils ne s’embarrassent pas de nos pudeurs de vieilles filles, et ils s’en sortent, pour le moment, bien mieux que nous !

C’est que nos préventions ne s’appuient finalement que sur des menaces virtuelles et le pire que nous redoutons n’est toujours pas arrivé. Le pire de Big Brother nous est annoncé par Orwell depuis 1948... 1984 est passé depuis longtemps, et ça ne va pas si mal... finalement...

Penser en surfant, réfléchir en ligne

Y a-t-il au bout du compte meilleure solution que de prendre sur soi, en continuant son chemin, porteur d’une insondable mélancolie du futur ? Chacun sa chimère...

Réfléchir, évaluer, s’adapter, en restant connecté avec l’avenir... Penser en surfant, réfléchir en ligne... C’est ce que je fais ici, à l’instant... Vous pouvez le faire avec moi...


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11 réactions à cet article    


  • mariemini 13 mars 2008 13:00

    Bonjour,

    Fin de race, moi qui ai 60 ans je le ressens en effet mais pas à cause des NTIC que j’ai immédiatement adoptées comme "faites pour moi" , bien plutôt à cause de la disparition des hiérarchies culturelles, de l’uniformisation de la communication, du choix l’immédiateté préférée à l’analyse et à l’étude, de la superficialisé qui en résulte.

    Je fais partie de la génération qui, pour sa partie instruite, apprenait 3 pièces de théâtre classique par année de scolarité depuis la 6e, pour qui les références culturelles étaient celles de la tradition avec toute la révérence qui lui était alors due, même si elle était hélas rétrécie à la tradition française. Quand je parle à mes enfants, nous ne partageons plus cette tradition. J’ai fait l’effort, volontiers d’ailleurs, de m’immerger dans leur univers, ils ne connaissent pas le mien.

    Sic transit....

    Nous passerons tous, peu importe, mais espérons que l’humanité préservera des formes de culture exigeantes

     

     


    • mariemini 13 mars 2008 13:00

      Bonjour,

      Fin de race, moi qui ai 60 ans je le ressens en effet mais pas à cause des NTIC que j’ai immédiatement adoptées comme "faites pour moi" , bien plutôt à cause de la disparition des hiérarchies culturelles, de l’uniformisation de la communication, du choix l’immédiateté préférée à l’analyse et à l’étude, de la superficialisé qui en résulte.

      Je fais partie de la génération qui, pour sa partie instruite, apprenait 3 pièces de théâtre classique par année de scolarité depuis la 6e, pour qui les références culturelles étaient celles de la tradition avec toute la révérence qui lui était alors due, même si elle était hélas rétrécie à la tradition française. Quand je parle à mes enfants, nous ne partageons plus cette tradition. J’ai fait l’effort, volontiers d’ailleurs, de m’immerger dans leur univers, ils ne connaissent pas le mien.

      Sic transit....

      Nous passerons tous, peu importe, mais espérons que l’humanité préservera des formes de culture exigeantes

       

       


      • breizhnana 13 mars 2008 13:11

         A vous lire, vous quadra, je me demande si bizarrement les quinquas ne se sont pas mieux adaptés que vous à ce monde nouveau là, certains se recyclant carrément dans les techniques nouvelles, passant avec témérité de l’écriture papier au clavier qui s’avérait finalement ludique et prometteur d’autres mondes...

        Pourtant, votre génération détient la clef de ces deux mondes : celui que vous décrivez, les jeunôts nés dans le virtuel et le zapping éthéré de la vie, et celui des 50, de ce qu’on appelle le baby-boom, qui a connu bien mieux que vous encore cet entre deux mondes, nourri aux souvenirs de guerre, aux 30 glorieuses et ses années fastes de pleine croissance où tout était possible, qui ont connu mai 68 qui, quoi qu’en ait dit certain, a changé la face d’un certain monde en libérant une autre forme de liberté que celle des drapeaux. 

        Vous détenez la lourde clef, le lourd patrimoine de la transmission de ce que vous avez connu, vous, avec ses valeurs bien réelles indispensables pour garder des repères dans une société qui ne sait plus où les trouver. Vous êtes les héritiers de la chaleur humaine. Au delà des claviers, des écrans et des portables dont en effet on se passait très bien avant (alors que maintenant on a l’impression de ne plus pouvoir se passer de rien) à vous de savoir la transmettre, cette chaleur humaine qui risque de manquer un jour prochain.... C’est peut-être votre meilleure force et votre plus grand atout. 


        • jerome 13 mars 2008 16:33

          @ l ’ auteur : oui mais : gloria mundi !! ! Nous autres vieux (!) sommes toujours là ! Et bien

          vivants et parfois bien informés ! Alors courage et Gloire à Nous !!!


          • Yohan Yohan 13 mars 2008 22:10

            J’aime bien cet article, sincère, émouvant. Peut-être, comme dans d’autres domaines, celui d’une génération coincée entre deux autres. La nouvelle qui prend les choses comme elles viennent sans trop se faire d’illusions et celle qui sait très bien exploiter et transformer pour elle même tout ce qui passe à portée de main.


          • Marc Bruxman 13 mars 2008 22:47

            Visiblement ce n’est pas une question d’age. Il y a des vieux qui sont à l’aise avec les nouvelles techno et des jeunes qui ne le sont pas.

            Le fait de ne pas maitriser semble clairement être le facteur principal. Il y a quelques mois je prenais la ligne 14 du métro (automatisée) et deux touristes étaient dans la rame :

            • Oh t’as vu y’a pas de chauffeur !
            • Ouais si ca continue je me demande bien à quoi on va servir.

            Plus que le fait d’avoir l’impression de ne rien avoir à transmettre c’est souvent l’impression de ne pas pouvoir agir réelement sur le monde qui fait peur aux gens. Souvent cette peur n’est pas réelle. Les conducteurs de métro étaient déja depuis longtemps des pousse boutons, l’automatisation ne change pas grand chose mais elle marque les esprits. Les gens utilisent des trucs mais n’ont aucune foutre idée de comment cela marche. A cet égard, j’ai parfois l’impression en tant que professionnel de jouer le role de sorcier des temps modernes.

            Lorsque vous parlez de la génération "qui n’a rien à transmettre" il faut aussi bien le voir dans l’autre sens. Parfois c’était relou à l’école de se voir infliger des cours pour apprendre "des trucs qui ne servent à rien". Prenez l’exemple des cours de physique au lycée. Une TI-92 correctement programmée répond à la plupart des problèmes. Je parle ici bien de programmation de la calculatrice et non du simple fait de rentrer les pompes. Pourtant le gros du programme consiste à apprendre à résoudre ces problémes à la main sans erreur. Lorsque les enseignants ont été confrontés au fait que la caltos fesait le boulot, la réponse n’a pas été de mettre les programmes à jour mais d’interdire purement et simplement celle-ci. (Heureusement que TI a sorti la TI-89 parce que la 92 elle était trop chiante à planquer en exam). Par contre, aucun adulte ne m’a appris à programmer la dite calculatrice ce que j’ai du apprendre à faire tout seul.

            J’ai parfois essayé d’en parler à mes profs. Et bien jusqu’à Bac + 2 révolu ce n’était pas possible. (Après en école d’ingé ils étaient bcp plus ouverts). Ils insistaient tous sur le fait que l’ancien savoir était absolument essentiel et blah et blah. Et bien je ne m’en suis jamais servi.

            Dommage, il y a des tas de chose que j’aurais aimé voir dans le supérieur et que je n’ai pas eu le temps de voir. Et pourtant mes cours des deux premiéres années ne m’ont servi à rien. N’aurait t’on pas pu commencer le programme plus tot et en profiter pour apprendre plus de choses ?

            Ce qui nous améne au point suivant :

            "la disparition des hiérarchies culturelles, de l’uniformisation de la communication, du choix l’immédiateté préférée à l’analyse et à l’étude, de la superficialisé qui en résulte."

            Cette disparition est justement due à l’inadaptation croissante des contenus enseignés à nos modes de vie.

            Et parlons justement des piéces de théatre. Maintenant, je suis le premier à aimer ca. Mais au théatre ! Se faire gaver à LIRE une piéce de théatre c’est un peu comme lire un script de cinéma. Si on est pas professionnel c’est super chiant. Le seul cas ou l’on devrait être amené à faire lire une piéce de théatre à des jeunes c’est si ils doivent la jouer sur une scéne. D’ailleurs il vaudrait mieux leur demander de faire un spectacle une fois dans leur scolarité plutot que de lire 15 piéces. Avec un bon prof qui leur montre toutes les possibilités d’interprétation possibles à partir d’un même texte ils apprendraient certainement plus sur ce qui fait la beauté de cet art. Et surtout, ne me parlez pas de théatre à la télévision !

            Et pour la hiérarchie c’est difficile. Parce que justement l’art évolue. Et c’est heureux car un musée n’est pas intéréssant. Ce qui est intéressant c’est que l’on continue à créer de nouvelles oeuvres qui correspondent à l’air du temps et à ce que l’on souhaite exprimer. Le Jazz est différent du classique par exemple, mais il exprime un vécu et une culture différente de celle qui a engendré le classique. Et même parmis nos genre musicaux plus triviaux comme le rock, le hip hop et la techno ils expriment tous une certaine facon de vivre le monde moderne. Et cela change vite. Et souvenez vous que si on venait à écouter du rock dans 3 siécles, certainement que l’on écoutera seulement le meilleur comme un bon Pink Floyd et que l’on aura oublié toutes les sombres merdes qui auront été produites entre temps. Mais si l’on était trop exigeant, on aurait bridé la créativité et on aurait justement pas pu s’extasier devant "Shine On You Crazy Diamond".

             


            • Guillaume Narvic Guillaume Narvic 13 mars 2008 22:51

               J’ai lu vos commentaires, et ils me touchent, tous.


              • Guillaume Narvic Guillaume Narvic 13 mars 2008 23:26

                Mais il faut peut-être que je précise que je ne suis pas spécialement mal à l’aise ou maladroit, en réalité, avec ces technologies nouvelles. C’est plutôt même le contraire. J’ai un ordinateur personnel depuis plus de quinze ans, je suis connecté à internet depuis que c’était possible à l’endroit où je me trouvais, il y a presque dix ans maintenant (presque le début d’internet en France), auparavant j’étais un adepte fervent de la télématique... J’ai pratiqué les BBS et les NewsGroups, avant qu’on invente le web... Et je sais aujourd’hui monter de toutes pièces un site complexe en paramétrant à la demande un CMS (logiciel de publication et de gestion de contenus sur internet)... Ce n’est pas tout à fait de ça que je voulais parler...

                Deux anecdotes me feront peut-être mieux comprendre...

                A deux jours d’intervalle :

                1/ Mon frère et moi parvenons à convaincre notre mère de s’équiper d’un téléphone portable. Elle avait plus de 70 ans mais elle est ouverte, curieuse, et elle était motivée. Mais il lui a été très difficile d’intégrer que sur un mobile, il fallait composer le numéro, et en plus appuyer sur la touche verte. Alors que ce n’est pas nécessaire avec le téléphone filaire, qu’elle connaît bien depuis longtemps. Il a fallu bien des essais et des oublis, pour qu’elle parvienne à s’en souvenir. Mais de toute façon, le téléphone est dans son sac à main et il reste éteint. On ne peut pas la joindre avec. Elle le garde "juste au cas ou"... même si on ne comprend pas bien à quel "au cas ou" elle pense exactement...

                2/ Je débarque chez une amie de mon âge, le jour où je réceptionne mon nouveau téléphone portable, avec tout plein de nouvelles fonctionnalités dedans... Son effronté gamin de 11 ans me chipe mon téléphone et joue avec dans son coin pendant cinq minutes. Il a découvert en 5 mn sur ce téléphone bien plus de fonctionnalités que j’en avais moi-même comprises après une bonne heure de lecture attentive du mode d’emploi... mais lui n’avait aucun mode d’emploi sous la main.

                Voilà ce que je voulais dire, en parlant d’une sorte de génération "entre deux", de génération de la transition, le cul entre deux chaises, entre celle de ma mère et celle du fils de ma copine... J’ai juste l’impression que c’est la plus mauvaise place...


              • chmoll chmoll 14 mars 2008 12:10

                z’avez pas fini d’faire peur aux vieux ??????

                 


                • foufouille foufouille 14 mars 2008 12:19

                  j’ai 37 a

                  je suis pas nes avec un ordi, mais je suis curieux

                  les gens sont pas tous identique. mes freres 1 peu plus jeunes font toujours appel a moi pour reparer l’ordi planter. mais j’aimes pas les portables.

                  ca depend de la culture et surtout de la stimulation intellectuelle. pas de l’age. pour l’ecole, rares sont les profs qui sortent des sentiers battus. quel interet a une vieille piece de theatre sans explication ? l’ecole n’est pas la pour ouvrir l’esprit mais pour formater les cerveaux jusqu’au lycee

                  liberte egalite fraternite. j’ai jamais vu


                  • domlyon 15 mars 2008 10:11

                    L’homme du XXème a réalisé le rêve qu’il entretenait depuis la construction de la bibliothèque d’Alexandrie, la collecte, le référencement, la mise à disposition, la commercialisation du.... "Tout-Savoir"... a l’époque il appartenait a un empereur et son peuple... mais aujourd’hui... a qui appartient-il ? J’ai très peur que ce ne soit pire que ce que le decrivait Orwell...

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