L’OMC, le bras armé de la main invisible ?
la crise financière occupe sinon tous les esprits, au moins tous les grands médias. Mais, pendant la crise, les affaires continuent et la main invisible du marché, tel un démiurge selon ses adorateurs, poursuit son œuvre. Cet article n’a pas pour but d’expliquer ce qu’est l’OMC à des lecteurs qui pour la plupart en savent plus que lui, mais d’en dire deux ou trois choses afin de mettre en lumière un lien pas assez dénoncé entre une idéologie qui implique à court sinon long terme tous les êtres humains présents et à venir, et les instruments de sa mise en application à l’échelle planétaire parmi lesquels, l’OMC figure en première place.
"Les deux hommes les plus puissants de l’OMC, Pascal Lamy et Robert Zoellick, ont ceci en commun qu’ils aspirent tous deux à "un monde où la main invisible du marché résoudrait tous les problèmes de la pauvreté et de la richesse, de la santé et de la maladie, de la survie et de la faim" (JZ187). (1)
La main invisible, un démiurge ? "Les crimes économiques, dans le domaine du commerce et des finances notamment, ont des incidences de plus en plus alarmantes sur la jouissance des droits humains, comme le démontrent de nombreuses études menées au sein de la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme."" (2)
Etat des lieux
L’OMC a succédé au GATT le 1er avril 1994 à Marrakech. Si le GATT était une simple union douanière, en revanche l’OMC est une organisation interétatique dont le siège est à Genève, et qui regroupe 149 Etats membres au 11 décembre 2005. Malgré un budget très modeste, cherchez l’erreur - 82 millions d’euros pour 2002 (JZ182) - ses pouvoirs de coercition sont étendus.
Au sommet de l’OMC, il y a le Conseil général qui est l’assemblée des ambassadeurs accrédités des Etats membres, lesquels ambassadeurs chapeautent également les conseils sectoriels (brevets, agriculture…), sortes de cellules ouvrières de l’organisation. Quelques dizaines d’Etats n’ont pas les moyens d’entretenir une mission permanente diplomatique à Genève. Pour eux, la Suisse a mis en place l’Agence de coopération et d’information pour le commerce international (ACICI), une agence qui établit des notes de synthèses, un appui logistique et un système d’alerte sophistiqué chargé d’informer chacun des Etats prolétaires de l’évolution des dossiers qui les concernent malgré leur absence (!).
La sixième Conférence ministérielle de l’OMC a eu lieu à Hong Kong, Chine, du 13 au 18 décembre 2005. D’une façon générale, la Conférence ministérielle est l’organe suprême de prise de décisions de l’OMC ; elle se réunit au moins une fois tous les deux ans et détermine l’orientation politique de l’OMC.
Les travaux de l’OMC s’inscrivent dans des Cycles de négociations commerciales multilatérales qui s’étalent sur plusieurs années (cycle de Doha, Millenium round, Uruguay round…). Un mécanisme compliqué de conventions et d’accords multiples adoptés par consensus fait de l’OMC, selon Renato Ruggiero son premier directeur, un perpetual process of negociation. Lorsqu’un nouveau round de négociations se prépare, des comités ad’hoc procèdent à un reality check, sorte d’état des lieux du domaine concerné qui fixe un ordre du jour pour la Conférence mondiale du commerce
C’est ici que le bât blesse. En effet, les pays qui ont une économie fragile et une industrie naissante auraient intérêt à maintenir des barrières douanières pour protéger leurs entrepreneurs, artisans et marchés nationaux. Mais les Etats-Unis, le Japon et l’UE contrôlent plus de 80 % du commerce mondial. Résister à leurs volontés serait suicidaire (3).
L’ORD : l’Organe de règlement des différends est l’instance juridictionnelle et répressive de l’OMC qui gère les conflits relatifs aux décisions de l’OMC contestées par l’un ou l’autre des Etats impliqués. L’Organe d’appel de l’ORD intervient en dernière instance de la procédure. Les membres de l’organe d’appel sont des universitaires internationaux de renom. Ceux-ci ne refont pas le travail du panel d’experts, diplomates, spécialistes du commerce ou du droit commercial qui ont pris la décision contestée, mais se prononcent seulement sur le droit, jamais sur les faits. Bien entendu, pour faire marcher tout ça, une nuée de cabinets privés d’avocats conseil est nécessaire qui s’est installée à Genève. Les pays pauvres n’ont pas les moyens de se payer leurs services et ont recours à une assistance judiciaire (JZ192).
On ne pourrait arrêter là ce court aperçu sans dire un mot sur l’accord entre l’OMC et l’OMPI, l’institution mondiale sans laquelle l’OMC n’aurait aucun pouvoir. l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce ou Accord sur l’ADPIC a été conclu entre l’OMC et l’OMPI à la fin du cycle d’Uruguay en 1994. Il a pour but d’intégrer les droits de propriété intellectuelle (droits d’auteur, marques de fabrique ou de commerce, brevets, etc.) dans les compétences de l’OMC.
"Cet accord a déjà fait l’objet de plusieurs controverses, au rang desquelles on peut citer l’interdiction qui est faite aux pays en développement de fabriquer des médicaments génériques contre le sida à un coût accessible à leurs populations, les brevets logiciels et le brevetage du vivant (4). Il est actuellement confronté à une véritable crise de légitimité, car il apparaît de plus en plus comme un instrument de protectionnisme servant à favoriser les monopoles industriels sur les technologies, les semences, les gènes et les médicaments. Cela a poussé les pays du Sud à s’unir pour revendiquer une renégociation en profondeur de cet accord et, en l’absence de réponse positive de la part des pays industrialisés, ils ont refusé toute poursuite des négociations à Cancun en septembre 2003, provoquant l’échec du sommet de l’OMC". (Wikipédia)
Qui négocie ?
Pour l’UE, c’est Pascal Lamy qui, en tant que commissaire au commerce, négocie formellement au nom des Etats membres, lesquels ont au préalable fixé leurs positions. Comment se passent les négociations : "Une instance appelée "Comité 133", composée de hauts fonctionnaires des Etats membres prépare les documents. C’est au sein de ce comité versatile du fait qu’y sont introduits les agents des sociétés transcontinentales et qu’il n’est soumis à aucun contrôle. Comme il se prévaut de sa qualité purement technique, tout questionnement sur la motivation de ses membres est a priori exclu" (JZ186).
L’OMC inventorie plus de 60 000 sociétés transnationales (de la finance, du commerce, des services, etc.) à travers le monde. Celles-ci gèrent ensemble plus de 105 millions de succursales dans pratiquement tous les pays du monde (excepté l’Afghanistan et quelques autres lieux déshérités de la planète). Mais seules comptent les quelque 3 à 500 entreprises nord-américaines, européennes et japonaises qui ensemble dominent le commerce.
En réalité donc, ce ne sont pas les Etats qui négocient, mais les 200 plus grandes sociétés privées transcontinentales qui contrôlent ensemble plus du quart du PNB mondial.
C’est aussi la conclusion d’un rapport du 15 juin 2000 établi à la suite d’une enquête ordonnée par la Sous-Commission de la promotion des droits de l’homme de l’ONU : "L’OMC est presque totalement entre les mains des sociétés transcontinentales privées".
Conclusion
Les adorateurs de la main invisible qui ont pour objectif avoué de réduire le pouvoir des Etats et des secteurs publics en général par le biais de la déréglementation et de la privatisation procèdent méthodiquement et irrémissiblement au remplacement de l’interventionnisme démocratique par un interventionnisme mafieux. Il n’y a pas de main invisible bien au contraire, et ses thuriféraires le savent, et l’OMC se révèle être selon l’expression de Jean Ziegler, "une terrible machine de guerre entre les mains des prédateurs" (JZ179).
L’OMC est la tête pensante de la pieuvre néo-libérale, et les Etats convertis ou non au néo-libéralisme en sont le bras armé, de gré ou de force selon qu’ils sont puissants ou misérables.
Notes
(1) La plupart des éléments de ce texte ont été extraits de l’ouvrage Les Nouveaux Maîtres du monde, § "L’OMC comme machine de guerre" écrit par Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation. (la notation JZxx renvoie aux pages de l’ouvrage).
(2) Extraits : "Préoccupée par le phénomène de la mondialisation, qui s’accompagne d’une concentration des richesses, d’une part, et de la marginalisation et de l’exclusion, d’autre part, et par ses effets sur le droit au développement et sur le niveau de vie, ainsi que sur la recrudescence des manifestations de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée,
Partageant la vive inquiétude que la Commission des droits de l’homme a exprimée dans sa résolution 1998/26 du 17 avril 1998 en constatant qu’en dépit des efforts déployés par la communauté internationale à divers niveaux, le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et les formes d’intolérance qui y sont associées, l’antagonisme ethnique et les actes de violence racistes prenaient de l’ampleur."
(3) "Au nom de la libre circulation des marchandises, des capitaux et des brevets, l’OMC exige la liquidation de la compétence des Etats sur les questions des mesures phytosanitaires et sanitaires destinées à protéger les populations" (JZ190). Cf. Réunions secrètes au plus haut niveau pour imposer les OGM.
(4) - Ce que Susan George appelle la biopiraterie (S. George, ’"remettre l’OMC à sa place", JZ189)
Citations
"Nous habitons un monde où il est infiniment plus grave de violer une règle de commerce international qu’un droit de l’homme". (Warren Allmand, cité par Jean Ziegler, JZ179)
"Je définirais la mondialisation comme la liberté pour mon groupe d’investir où il veut, le temps qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possibles en matière de droit du travail et de conventions sociales" (Percy Barnvick, cité par Jean Ziegler, JZ180).
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