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Lumière sur quelques formules rhétoriques utilisées par les médias, les technocrates et les politiciens français

Islam radical ou modéré : où trouver le juste milieu ?

Fondamentalisme, jihadisme, salafisme, islamisme : que de mots pour analyser une seule et même réalité ! Tantôt certains essayent de dissuader de faire l'amalgame entre Islam et islamisme radical, faisant une sorte de séparation intellectuelle entre politique et religion, avec les expressions d'Islam radical et d'Islam modéré, tantôt les autres répondent qu'il s'agit d'un ensemble où il n'est pas vraiment possible de distinguer les degrés de militantisme et de ferveur.

Qu'entend-on par modération et radicalisme dans la pratique de la religion musulmane ?

L'Islam modéré correspondrait à un courant religieux libéral, où l'évolution de la société ne remet pas en cause la pratique et les principaux dogmes que chaque musulman se doit d'appliquer dans la vie privée. En cas de conflit juridico-théologique dans l'espace profane, les lieux publics, la modération fonctionnerait comme un droit de retrait qui évite à la fois d'enfreindre les règles religieuses et celles de la nation. (Et à cet égard, il est utile de rappeler que ce type de cohabitation peut être autant ou sinon plus problématique dans les pays musulmans puisque le droit coranique n'est pas appliqué de la même manière du Maroc à l'Indonésie en passant par le Kazakhstan…). Il est difficile de définir un Islam modéré parce qu'il est justement fondé sur une relative séparation du privé et du public et comme les musulmans ne faisant pas de prosélytisme sont ceux qui interviennent le moins dans le champ du domaine politique, cela empêche de clarifier les intentions.

Cette réserve ne devrait pas interdire de constater qu'il existe certainement des relations entre le radicalisme religieux et une pratique modérée qui se garderait d'intervenir dans l'espace public. Un fidèle peut très bien être modéré dans son attitude mais être radical dans sa pensée, avoir un comportement libéral et respecter scrupuleusement la laïcité, tout en considérant que la loi divine est en premier et en dernier ressort la seule qui lui soit véritablement légitime, bien qu'il obéisse aux autres puissances séculières qui lui garantissent la sécurité et ne mettent pas trop en cause sa liberté en matière de culte.

La frontière entre radicalisme et modération peut être floue, et elle change selon les circonstances.

Le radicalisme est le moment où le fidèle affiche publiquement sa foi en dehors de tout cadre juridique préalablement établi. Si, soudainement, un musulman chante des versets coraniques au milieu de la foule, il pourrait être immédiatement perçu comme un individu qui prête le flanc au radicalisme, quand bien même rien ne lui interdit de faire partager sa foi, au même titre que des Témoins de Jehovah distribuant aux passants des prospectus. D'un autre côté, l'attribution de subventions par une collectivité à une association qui s'avère être en réalité une communauté de fidèles musulmans fera rarement l'objet d'une interdiction administrative et judiciaire, toutes les exceptions inimaginables permettant de contourner l'obstacle de la laïcité.

Il ne s'agit pas d'incriminer tel ou tel acteur, mais de constater que dans la délimitation entre le public et le privé, ainsi qu'entre la politique et la religion, il y a souvent l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette, ce qui est valable pour toutes les religions. Une rectification des expressions est alors nécessaire pour analyser correctement les phénomènes et éviter de semer la confusion avec des formules attrape-tout qui amalgament dans une même signification binaire et dichotomique – Islam modéré/Islam radical – tous les actes relevant de la religion musulmane.

Plus simplement, il serait plus intéressant de définir un Islam politique, c'est-à-dire la partie de la religion qui est en relation avec l'extérieur, les institutions et les autres citoyens, qui ramasse tous les degrés de participation au culte, que ce soit modéré ou radical. Quelque part, la référence à un parti islamique, de tendance libérale de préférence, à l'instar d'un parti démocrate-chrétien par exemple, serait beaucoup plus judicieuse et opérationnelle qu'un Conseil du culte musulman qui est surtout compétent en matière religieuse stricto-sensu et avec lequel l'État français ne peut pas beaucoup intervenir.

D'autre part, il serait possible de définir un Islam traditionnel, regroupant à la fois les associations de fidèles, le personnel religieux, les lieux de cultes et le matériel dont les corpus théologiques, là aussi transversal à tous les degrés de pratique, qui serait interdit d'intervenir directement dans l'espace public avant que ce soit tranché au niveau politique – donc exit vers le domaine privé le CFCM et consorts. Dès lors que se manifesteraient des pratiques contrevenant aux lois et aux règlements ou troublant l'ordre public, le conflit remonterait immédiatement au niveau des pouvoirs publics et un débat contradictoire dans les assemblées pourrait se faire en connaissance de cause, sans que les gouvernants outrepassent leurs compétences en matière religieuse, en faisant, comme c'est le cas aujourd'hui, un partage souvent fallacieux et biaisé entre des « bons » et des « mauvais » musulmans, en lieu et place d'une distinction claire entre des individus qui respectent et d'autres qui ne respectent pas les institutions républicaines. Donc plutôt un découpage clair et net de type interne/externe, lié au droit positif, à l'administration et au législateur, qu'un partage flou de type licite/illicite, lié au pouvoir judiciaire et à la police, dont la logique est sous-tendue par une dichotomie modéré/radical qui laisse libre cours à toutes les interprétations possibles.

Ce n'est pas à l'Islam de dicter sa loi à la République, et il revient encore moins à la République d'adopter un code islamique pour gérer les affaires internes d'un groupe religieux.

 

Marchés : les créatures célestes de l'oligarchie libérale.

Il est des mots qui s'avèrent indéfinissables et sont pourtant énoncés à tort et à travers, comme des invocations appelant au Saint-Esprit dont on ne voit jamais le bout. L'évangile du libéralisme, qui a son pendant dans toute idéologie, contient une pléthore de formules performatives qui sont, telles des onomatopées, plus destinées à susciter des réactions massives qu'à décrire des réalités précises. Attention ! Les marchés vont réagir ! Si vous, président de la République, ne signez pas ce grand papier pour régler la dette de xxxx milliards d'euros, les marchés vont vous attaquer ! Comme si c'étaient des troupes militaires stationnés à la frontière, avec à leur tête un général qui prépare minutieusement la stratégie d'invasion.

Trêve de plaisanteries. Chacun se fait plus ou moins une idée de ce que peut être un marché : un échange entre particuliers, un centre commercial, une foire agricole, une salle de traders, une bourse des valeurs, enfin toujours quelque chose de concret et de bien matériel, une situation donnée, un objet bien défini en tout cas. Cependant, si on visualise que toutes ces choses à la fois peuvent nous tomber dessus, on reste assez dubitatif face à ce déluge et, en ce qui me concerne, je suis immédiatement saisi par une forme d'incrédulité. Même le largage imminent dans le ciel parisien d'une bombe atomique nord-coréenne me paraîtrait plus plausible, c'est dire.

Sauf que dans le cas des attaques spéculatives les détonateurs ne sont pas déclenchés par un autocrate fou-furieux, ce qui faciliterait toute opération de défense, mais par une multitude d'épargnants, de zinzins (malheureusement ce ne sont pas des doux dingues mais des investisseurs institutionnels), de Donald Trump, enfin…du tout-venant qui possède des gros sous voyageant du Panama aux Nouvelles-Hébrides. Dans le canal d'information mainstream, les marchés correspondent en réalité au fric qui orbite autour de la planète.

Pour les médias et les très hautes sphères de la société, il n'existe donc qu'un seul marché : celui du trading à très très très haute fréquence que personne ne contrôle et qui gonfle au-dessus de nos têtes. Des super méga banques et des places boursières continentales se livrent un combat titanesque, tels les dieux de la mythologie antique, et engagent des sommes pharaoniques dans les batailles financières. Le monde n'est plus suffisant pour les riches. Comment faire ?

Le marché est devenu une exoplanète. Les marchés sont des grands miroirs qui réfléchissent la surface de la Terre et brisent l'harmonie de son visage naturel.

Alors arrêtez de dire que les marchés existent ! Puisqu'ils sont le reflet de nous-mêmes, les marchés, c'est nous !

Au lieu de dire les marchés attaquent, dites plutôt que les riches seraient prêts à laisser sombrer tout un pays dans le chaos, du moment qu'il est possible d'atterrir ailleurs.

Lors de l'invocation de cette formule de magie noire, au milieu de tableaux graphiques révélatoires leur servant de retables, les prêtres de la globalisation marchande en appellent à la Sainte Croissance du monde : Les marchés sont nos dieux car ils sont au-dessus de tous, l'unique responsabilité qui nous incombe est de leur honorer de notre propre sacrifice. Levons les yeux vers le ciel couvert de fabuleuses arabesques algorithmiques. Amen.

 Hourra ! Vive les marchés !

 

Quartiers défavorisés ou difficiles. Et les quartiers favorisés ou « faciles », en parle t-on jamais ?

Dès que le débat tourne autour des banlieues, les regards se focalisent exclusivement sur les quartiers populaires, tant et si bien que les intervenants n'ont même plus besoin d'en préciser la typologie, évoquant les « quartiers », comme d'autres parleraient de la « rue » pour caractériser un mouvement syndical d'ampleur.

Il serait intéressant de suivre la trace historique du vocable quartiers aussi bien utilisé par les rappeurs, les militants associatifs et les élus quand ils décrivent la vie quotidienne des milieux populaires. À croire qu'il n'existe qu'un seul type d'habitat, le grand ensemble de logements sociaux, où une vie collective organisé à partir d'un espace donné soit encore possible. On parle bien de quartiers huppés mais uniquement pour définir une concentration de richesses, et beaucoup moins souvent pour analyser les relations entre les habitants et la politique de la ville.

Les quartiers modestes concentrent toutes les attentions et quelque part cela montre que le véritable débat politique ne se nourrit pas aux endroits où l'opulence et la facilité permettent au niveau national les trajectoires individuelles les plus ambitieuses, mais depuis les grandes barres d'immeubles vétustes, où le trafic de drogue est parfois intensif, où la précarité est la règle, où des projets collectifs originaux sont imaginés pour faire face aux difficultés, et où les liens sociaux et familiaux n'ont pas encore été complètement engloutis par la marchandisation globale. C'est pour ces raisons que le mot de quartiers, sous ses aspects négatifs, dégage une forte connotation méliorative et est brandi avec éloquence par ceux qui s'en estiment représentants.

En sens inverse, imaginez un élu ou un chanteur qui serait fier de représenter les quartiers favorisés, à l'instar des humoristes Les Inconnus qui, parodiant des rappeurs tels que Mafia K'1 Fry avec leur gimmick « Orly, Choisy, Vitry », péroraient « Auteuil, Neuilly, Passy », cela paraîtrait comme de la suffisance ou de la démesure, un mode de vie qui ne se rattache pas à la vie d'un vrai quartier mais au simple fait de détenir beaucoup d'argent et d'avoir la chance de ne pas être enfermé dans un périmètre aussi étroit qu'un pâté de maisons. Les quartiers huppés font l'objet de reportages dans l'émission Capital diffusée par la chaîne M6 ou d'études sociologiques marxiennes critiques comme celle de Michel Pinçon et de Monique Pinçon-Charlot. Toutefois, les habitants concernés n'expriment pas une appartenance particulière à leur lieu de résidence à travers des expositions ou un tissu associatif militant. Sans doute parce que leur rayon d'action est si vaste qu'il recouvre et met au second plan les enjeux sociaux et politiques propres à l'occupation des espaces (micro) locaux.

Depuis les émeutes de 2005, les attentats islamistes de 2015, la désindustrialisation des espaces périurbains de cette France périphérique décrite par le géographe Christophe Guilluy, les quartiers se trouvent moins sur le devant de la scène médiatique que pendant les années 1980, 1990 et 2000, et en conséquence, sont mis à un même niveau de visibilité que les autres types de périphéries. Les quartiers populaires urbains souffrent d'un moindre intérêt qu'auparavant et tendent à une normalisation au sein d'une France globalement en crise.

 

Addendum. La critique est relativement similaire pour l'expression zones sensibles. Il suffit d'en tirer son antonyme – zones insensibles, pour relever que ce type de désignation à propos des quartiers populaires n'est jamais mis en perspective avec le reste, c'est-à-dire les autres zones où les habitants sont plus aisés et où il fait bon vivre. Pourquoi parle t-on beaucoup moins des quartiers aisés ?

Ou bien les termes peuvent-ils être inversés ? Les zones sensibles sont celles qui sont les plus apaisées et favorisées, où sur la place publique un moindre dérapage verbal peut faire le tour de la ville, tandis que dans les zones où il y a le plus de difficultés, à force de dégradation et de déliquescence, les habitants deviennent plus insensibles face à tout ce qui est anormal ?

Toujours est-il que les Zones urbaines sensibles (ZUS), créées en 1996, ont été débaptisées et ont été intégrées depuis janvier 2015 dans le périmètre des nouveaux Quartiers prioritaires de la politique de la ville.

 

« Société civile » : la tarte à la crème des grands partis politiques dits « progressistes ».

Le terme latin de socii désignait les tribus alliées et assujetties à Rome. Les socii ne jouissaient pas autant de droits que les citoyens romains.

Le gouvernement civil est un régime politique inspiré par les théories du contrat social des penseurs Hobbes, Locke et Rousseau. L'idée principale est la conclusion d'un pacte entre les gouvernants et les gouvernés autour de règles communes qui assurent à chacun la liberté et la sécurité.

Aujourd'hui, la société civile désigne l'ensemble des corps qui sont en dehors des sphères dirigeantes de l'État et des institutions politiques. Autrement dit, c'est un euphémisme pour désigner tout ce qui est « en bas » ou à l'extérieur. Alors que dans le droit romain, la citoyenneté et l'alliance (socius) sont deux notions assez différentes qui renvoient à des positions à l'intérieur ou à l'extérieur de la cité, dans le régime parlementaire actuel, la société civile désigne un ensemble qui est compris au sein de la communauté des citoyens et ne renvoie pas à une position extérieure, mais à une division interne entre ceux qui occupent les pouvoirs publics et les ceux appartenant aux autres corps sociaux. Que veulent dire certains politiciens français lorsqu'ils en appellent à la participation de la société civile ?

L'expression de société civile est généralement utilisée pour différencier les citoyens selon le degré de leur participation à la décision publique : un politicien, un cadre d'une administration ministérielle ou dans une moindre mesure un représentant syndical ne sont pas a priori concernés par cette catégorisation puisqu'ils sont reconnus comme des agents actifs permanents de la vie publique. L'expression de société civile est une locution privative qui désigne ceux qui ne participent pas à la vie publique et se limitent exclusivement aux actes particuliers. Cette expression peut donc signifier le contraire de ce pourquoi elle est énoncée, quand la société civile est invitée à la décision publique : ayant une signification privative, elle n'est pas une invitation à remplacer ou à réorganiser les pouvoirs publics, mais plutôt un outil pour limiter à quelques-uns la participation au pouvoir de cette fameuse société. Accédant au pouvoir en tant que privés (de certaines compétences), leur participation ne modifie en rien le fonctionnement habituel de la vie politique, qui est le plus souvent dominée par l'échange entre les intérêts privés de quelques-uns, que ces derniers cherchent par ailleurs à assurer avec des fonds publics.

Avec la formule de société civile est reconnu un droit spécifique de participation que la citoyenneté de base offre déjà aux sujets concernés, puisque le système électif est en principe ouvert à tout citoyen et le contrôle public des actes administratifs autorisé. En désignant une société civile qui se trouverait en dehors des institutions, la principale fonction est de reconnaître et d'appliquer une distinction supplémentaire à celle que prévoient déjà les règles communes déjà établies, entre ceux qui viennent de l'ensemble de la communauté et ceux qui se chargent de la diriger grâce aux élections et aux nominations des grands corps de l'État, via les cursus et les organisations sélectives permettant d'y accéder.

La notion de société civile est encore instable et elle peut recouvrir deux usages complément divergents : soit une volonté de démocratiser l'exercice du pouvoir en associant le maximum de citoyens à la décision publique ou soit une volonté d'encadrer une population de manière arbitraire, en dehors de tout cadre préalablement établi, avec l'aide de quelques chefs récupérés aléatoirement dans le tissu social. À coup sûr, c'est la deuxième option qui aura toujours la préférence des dirigeants politiques.

 

Image : La condition humaine, peinture de René Magritte.


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3 réactions à cet article    


  • zygzornifle zygzornifle 29 mars 2017 13:35

    Islam radical ou modéré : où trouver le juste milieu ?.......... Le radical c’est celui qui égorge, tire dans la foule et se fait péter avec une bombe, le modéré c’est celui qui regarde sans rien faire .......


    • Boogie_Five Boogie_Five 29 mars 2017 20:43

      @zygzornifle

      Et bien, pas forcément ! Car en proportion le nombre de radicaux qui ne font pas d’attentats est beaucoup plus élevé que le nombre de ceux qui en font. La plupart des radicaux n’agissent pas, en fait. Ils sont juste plus fervents et prosélytes. D’une certaine manière, la modération n’existe pas vraiment en religion : on croit ou on ne croit pas. La philosophie des religions monotheistes est duale et ne laisse pas beaucoup de place à la nuance.


    • IslamologyTeacher 29 mars 2017 23:45

      @Boogie_Five
      La modération n’est pas liée à la croyance ou à l’incroyance mais plutôt à la manière de croire. Qui dit juste milieu dit pondération et ce n’est pas donné à tout le monde. C’est là que doit intervenir la pensée islamique contemporaine, (pour le cas de l’Islam) qui jusqu’à présent n’a pas été très efficace, car elle n’a pas SU LIRE les Textes Fondateurs. Comment donc aurait-elle pu les interpréter à leur juste valeur, les expliciter et par là-même infléchir les visions les plus radicales et les comportements sociaux qui en découlent ? C’est son rôle premier.

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