La France attend. Entre incertitudes et médiocrité : un grand trou bordé de vide
Vladimir : « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »
Estragon : « On attend. »
Vladimir : « Oui, mais en attendant ? »
Samuel Beckett, En attendant Godot
“Les médiocres n'hésitent pas une seconde à faire payer cher aux incrédules leurs propres incertitudes.”
G. Bernanos, Lettre aux Anglais, Gallimard (1946)
“Tu sais peindre les dieux et les héros, citoyen peintre ? C’est une assemblée de héros que nous te demandons. Peins-les comme des dieux ou des monstres, ou même comme des hommes, si le cœur t’en dit. Peins Le Grand Comité de l’an II. Le Comité de salut public. Fais-en ce que tu veux : des saints, des tyrans, des larrons, des princes. Mais mets-les tous ensemble, en bonne séance fraternelle, comme des frères.”
P. Michon, Les Onze, Verdier (2009)
Le tableau de Richard Oelze (1900-1980) mis en exergue de ce billet et intitulé « L'Attente -Erwartung », œuvre peinte en 1936 (MoMA, New-York), traduit l'humeur du moment : un entre-deux dans lequel rien ne semble se produire alors que tout semble se préparer en sourdine. Un groupe de personnes en imperméables et manteaux, des hommes principalement, si l'on en juge les chapeaux, attend, le dos tourné, chefs interrogeant les présages inquiétants d'un ciel lourdement assombri de nuages immobiles. Au premier plan figurent deux personnages : une femme, dont le visage demeure insaisissable, tout comme celui de l'unique homme qui lui fait face. On ne sait ce qu'ils attendent, réunis dans une atmosphère crépusculaire, pour un moment figé dans le tableau mais dont on sait qu'un événement indéterminé mettra un terme à cet instant qui ne cesse de s'étirer entre anxiété, intemporalité, mais en tout cas certitude absolue d'un dénouement qui relèvera de la conflagration.
Quelles conclusions tirer de cette pseudo campagne présidentielle dont le point marquant aura peut-être été ce « débat » présidentiel présenté comme une « première » dans un pays où l'information politique se révèle cadenassée à un point inimaginable ?
Les « Onze » membres d'un soir de cet étrange Comité de salut public aspirant pour la majeure partie d'entre eux à diriger la France au mois de mai 2017 ont été, souvenez-vous, exceptionnellement invités (spectacle oblige) à passer devant près de six millions de téléspectateurs une sorte de Grand Oral ordonné par deux harpies maîtresses des horloges et dispensatrices de questions dont elles jaugeaient les réponses sans même vraiement les écouter avant que de les éluder et de sauter sans le moindre égard à un autre interlocuteur.
Chaque impétrant se trouvait ainsi réduit ce soir-là à jouer son rôle dans une sorte d'assessment-center improbable en répondant à une batterie de questions supposées éclairer les programmes politiques et déterminer les capacités de chacun à exercer efficacement les fonctions de Président de la République. On mesurera la pauvreté de l'exercice en prenant un peu de recul et en se disant que le futur chef de l'Etat se sera soumis à cette parodie d'examen.
Quoi que l'on puisse penser il n'en est bien évidemment rien résulté, sinon l'écume de considérations sans intérêt, soit parce que les véritables sujets ne furent pas abordés, soir parce qu'ils ne furent qu'effleurés sinon éludés. Ce n'était d'ailleurs pas le propos, les orientations et projets des candidats officiels (« du candidat officiel », devrait-on dire pour être plus exact) étant déjà connus et ceux des autres étant réputés ne présenter qu'un intérêt relatif puisqu'ils n'étaient que les « petits candidats » arrivés un peu par hasard parce que la porte des « parrainages » était mal fermée.
La campagne de l'élection présidentielle française de 2017 n'aura donc connu comme point majeur de rencontre de ses candidats qu'un Barnum indigent parfaitement significatif de la fin d'une époque politique, cette « fin de période » que décrit magistralement Frédéric Lordon dans un billet auquel on renvoie ici le lecteur et dans lequel tout est dit de cette phase terminale qui caractérise une époque et que l'on reconnaît « à l’effondrement de toutes les régulations qui lui assuraient un minimum de viabilité : d’une part, comme exaspérées, ses tares les plus scandaleuses se laissent libre cours, définitivement affranchies de toute décence ; d’autre part ses lignes de fracture ne parviennent plus à être accommodées par les institutions en place et, toutes les failles tectoniques réactivées, les plaques se remettent en mouvement. » https://blog.mondediplo.net/2017-04-12-Macron-le-spasme-du-systeme
« Car la classe en a soupé des habillages (…) et veut tout de suite son candidat : un banquier d’affaire, rapidement passé par la case « ministre », à propulser président dans la foulée, et qu’on n’en parle plus », écrit encore finement Lordon, puisque cette élection n'est après tout qu'un pénible passage obligé, un temps que l'on doit consacrer au Peuple, lequel est par exception invité à dire ce qu'il pense tous les cinq ans, ce dont on se contrefout en réalité, pour dire les choses crûment.
Le vote aura donc lieu. Un nouveau « président » sera désigné et s'ensuivra l'empoignade des élections législatives pour tenter d'asseoir la légitimité du nouvel élu sur une représentation parlementaire dont on devine déjà qu'elle sera probablement ingérable.
Il est dès lors bien évident que pareille situation ne pourra éternellement durer et qu'un jour où l'autre, je le répète, ce sera un véritable chef d'Etat qui s'installera en France.
Son avènement se produira une fois que les citoyens et compatriotes, exaspérés par la « Bulle Macron », trompés par l'image supposée vertueuse du candidat Fillon que certains investiront malgré tout quitte à anesthésier leur bonne conscience, séduits par la puissance tribunicienne trompeuse d'un Mélenchon qui inaugurera peut-être l'ère du premier président trotskyste de l'UE ou les sirènes d'un Lepénisme revisité, tentés par l'entrée dans l'arène d'un Asselineau - seule nouveauté réellement digne d'intérêt -, ou d'un Dupont-Aignan, mais en réalité déçus une fois de plus par les recompositions hasardeuses d'une droite, d'un centre et d'une gauche sans prise sur le réel, etc. tireront la nappe et, avec elle, les couverts sur la table, fracassant les cristaux.
Cette « campagne présidentielle » achevée avant même que de débuter aura en effet présenté avec du recul quelque chose de décalé par rapport à une réalité qui va très vite partout ailleurs qu'en France. Pendant que le monde bouge et se transforme, que des menaces très sérieuses de conflits majeurs se dessinent, la France dort.
On aura vu, mais c'est là une impression personnelle, des personnages politiques qui auront précisément donné l'image post-moderne d'un « déjà vu », quelque chose de démodé, de vieillot, de vieilli, de poussiéreux, en complet décalage d'avec le monde réel, auquel aura tout simplement manqué l'élan vital que requiert à mon avis l'exaltation d'une campagne présidentielle dont on regrettera au contraire sa plongée abyssale dans une médiocrité profonde et son anesthésie incarnées par des gens qui se seront en fait révélés particulièrement médiocres et sans avenir jusqu'à pousser tout un électorat soit à s'abstenir, soit, pire encore, à voter « utile » et à rentrer chez lui chausser ses pantoufles.
Que faudrait-il pour sortir de cette attente ? Un attentat ? Il a eu lieu sous forme de tentative fort heureusement avortée. Un autre attentat, imparable ? Rien n'est moins sûr tant l'apathie et l'éternel retour vers les mêmes ornières électorales sont devenues l'essence d'une population à laquelle on ne saurait reprocher de manifester si peu d'enthousiasme vers des idoles défraîchies ou fabriquées pour la circonstance. On ne saurait lui reprocher de grimacer devant une gamelle aussi peu appétissante.
La France attend donc. Mais sait-elle vraiment ce qu'elle attend ou qui elle attend, à part des faux-prophètes ou des dirigeants de rencontre, acteurs d'un probable troisième quinquennat raté ?
La France attend. Elle attend celui qui la réveillera, lui donnera le souffle vital, la fera rêver en restaurant ce qu'elle a toujours été et ce à quoi elle aspire profondément : être elle-même en redevenant la Grande Nation du XXIè siècle.
Avec un vrai président.
Rendez-vous en 2022 et sans doute avant.
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