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Endettement, désendettement et crises pétrolières dans le processus d’ajustement structurel Europe-États-Unis-reste du Monde dans l’histoire

 La crise financière qui a éclaté en 2008 n’est toujours pas dépassée. Malgré les formidables injections monétaires opérées par la Réserve Fédérale américaine (Fed) que l’on peut assimiler à la Banque centrale des Banques centrales du monde, contrairement au surnom donné à la Banque des règlements internationaux (BRI), puisque c’est la Fed qui a donné, par ses programmes d’assouplissement monétaire non conventionnel ou « quantitative easing » (QE1, QE2, QE3, et l’opération Twist), le feu vert aux autres Banques centrales occidentales d’opérer leur QE. C’est ainsi que la Banque centrale européenne (BCE), la Banque d’Angleterre (BoE) et la Banque du Japon (BoJ) ont, à leur tour, procédé au lancement conjoint de quantitatives easing. Les dénominations certes diffèrent, mais le principe de lutte contre la crise financière est pratiquement le même. Le programme QE pour le la BoE, le SMT, LTRO, OMT et QE (depuis 2015) pour la BCE, les Abenomics pour la BoJ. 

 

Pourquoi, malgré ces formidables injections, l’économie mondiale peine, depuis 2008, à sortir de cette situation de stagnation ? D’autant plus que la Fed a mis fin au dernier programme QE3, en septembre 2014. La fin du QE3 américain a coïncidé avec le retournement du marché pétrolier. Le prix du pétrole est passé de 115 dollars le baril, en juin 2014, à environ 60 dollars, en décembre 2014. Comment comprendre cette évolution de l’économie mondiale ? Quels sont les facteurs macroéconomiques qui ont commandé ce double retournement depuis la crise financière, et les sept années d’injections monétaires par les QE, et depuis l’été 2014, la crise pétrolière ? Y a-t-il une relation de causes à effet entre ces deux crises ? Comment comprendre cette évolution ? Et surtout quand commencera-t-il le cours du pétrole à remonter ? D’autant plus que les plans d’austérité en Occident depuis 2008 et qui s’étendent au reste du monde, conjugués à la chute des cours du prix du pétrole sont en train d’affecter fortement la demande mondiale, et donc la croissance mondiale.

 

Les années 2018-2019 nous apparaissent une période charnière pour l’avenir du monde. Le scénario à venir d’emblée nous pouvons le formuler. Soit des crises économiques qui se suivent sur deux ou trois années, comparables aux crises en cascades des années 2001 à 2002, et ensuite une forte remontée des cours pétroliers, soit une crise économique qui part de nouveau des États-Unis et s’étend au monde. Et de nouveau une forte remontée du prix du pétrole – Se rappeler que le Brent a atteint 125 dollars, au mois d’avril 2011 et l’once d’or a atteint cinq mois plus tard, en septembre 2011, un sommet historique à 1921, 15 dollars US – pour contrecarrer la dépression qui ne manquera pas de souffler sur le monde, dans les deux années à venir.

 

C’est à ces questions que l’auteur, dans cette analyse qui reprend l’histoire économique du monde, tente d’apporter des précisions sur la situation économique à venir. Qu’il faudrait qualifier en « puissance », i.e. qu’elle a toutes les chances pour se réaliser

 

  1. Historique des dettes publiques de la France, des États-Unis et du Japon de 1870 à 1950

 

 Prenons pour les besoins de l’analyse un pays d’Europe, la France. Une estimation de sa dette publique en % du PIB (1) donne des ratios d’environ 50 % en 1870, 110 % en 1880, 120 % jusqu’à 1895, pour baisser, à compter de cette date, et atteindre 60 % en 1914. La dette publique remonte à 90 % en 1915, 175 % en 1922, pour baisser à 70 % en 1926. De nouveau, elle remonte à 80 % en 1930, 200 % en 1937, pour descendre à 95 % en 1940. En 1945, elle culmine à 200 %. La fin de la guerre entraîne une chute de la dette qui atteint 60% en 1947, 35 % en 1950. Qu’en est-il de ces fortes hausses et baisses de la dette publique de la France, de 1870 à 1950 ?

La première cause de la forte augmentation de la dette publique de la France fut la guerre franco-prussienne en 1870. La défaite française, les Réparations de guerre à verser à la Prusse (5 milliards de francs or) – l’unification de l’Allemagne, il faut le rappeler, a été proclamée au château de Versailles (France), le 18 janvier 1871 – et le réarmement pour protéger ses colonies d’outre-mer (Afrique, Asie, Amérique du Sud et Pacifique) face à la menace de l’empire allemand, ont été à l’origine du gonflement de la dette publique de la France. Si la dette a commencé à baisser, à partir de 1895, c’est suite à une consolidation de l’économie française durant les 25 années qui ont suivi la guerre avec la Prusse et une conjoncture économique favorable. La dette publique a atteint 60 %, en 1914, le taux d’inflation était égal à 0 %, à cette date. (2)

Le déclenchement de la guerre, à la fin du mois de juillet 1914, va bouleverser complètement la France. Le financement de l’effort de guerre devenu impératif imposera à la Banque de France de mettre toutes les liquidités nécessaires à la disposition de l’Etat français. La dette publique de nouveau augmente fortement et atteint 100 %, durant les années de guerre. Evidemment l’usage prolongé de la « planche à billet » fera exploser l’inflation. En 1918, le taux d’inflation atteint 29,2 %, et 39,5 % en 1920. (2) En 1922, avec le financement de la reconstruction, la dette publique atteint 175 %. Grâce à l’inflation et l’effacement de la dette (destruction des bons de Trésor français auprès de la Banque de France), la dette de nouveau baisse et atteint, en 1927, 80 %.

La crise de 1929 qui éclate aux États-Unis et s’étend au reste du monde, entraînant la Grande Dépression des années 1930, va changer les donnes en Europe. La dette publique de la France explose. Elle passe de 80 % en 1930 à 200 %, en 1937. Le recours à l’emprunt par les pouvoirs publics force la Banque de France de faire fonctionner la planche à billet pour fournir les liquidités nécessaires au soutien de l’économie. La Deuxième Guerre mondiale éclate en 1939, la dette publique s’envole. De 95 % en 1940, elle passe à 200 % en 1943, 60 %, en 1947, 35 %, en 1950. (3)

Ceci étant pour la France, qu’en est-il de la dette publique des États-Unis. Un graphique d’un média français nous présente l’évolution de la dette publique américaine et du Japon. On constate pour les États-Unis, que si la dette publique américaine a explosé durant la guerre de Sécession, elle a ensuite fortement baissé, pour atteindre 10 % du PIB en 1880. En 1914, la dette américaine est nulle. En 1918, elle s’établit à 30 % du PIB. De 20 % en 1930, elle remonte à 40 % en 1939. Durant la guerre 1940-1945, la dette publique explose pour atteindre 120 %. Comme la France, la dette publique américaine sera réduite par l’inflation et l’effacement de la dette (destruction des bons de Trésor américains auprès de la Fed). Au milieu des années 1960, elle s’établit à environ 50 % du PIB.

Pour le Japon, la dette publique était de 30 % du PIB en 1890, 20 % en 1900, 70 % en 1908 %, 20 % en 1920, 60 % entre 1930 et 1939. La première cause de l’augmentation de la dette dans les années 1900 est liée à sa militarisation et à la guerre contre la Russie. Quant à la seconde cause, c’est le financement de l’effort de guerre durant la Deuxième Guerre mondiale qui a fait exploser la dette publique du Japon. En 1945, elle était de 200 % du PIB. Après l’occupation en 1945 par les États-Unis, la dette publique du Japon passe directement à 0 %. L’économie japonaise est entièrement gérée par les Américains.

Pour avoir une meilleure vision de l’évolution des dettes publiques occidentales, mentionnons une analyse de l’historien économiste Thomas Piketty : « La palme de l’amnésie revient quant à elle à l’Allemagne, avec la France en fidèle second. En 1945, ces deux pays avaient une dette publique dépassant 200% du PIB. En 1950, elle était tombée à moins de 30%. Que s’est-il passé, aurait-on soudainement dégagé les excédents budgétaires permettant de rembourser une telle dette ? Évidemment non : c’est par l’inflation et la répudiation pure et simple que l’Allemagne et la France se sont débarrassés de leur dette au siècle dernier. S’ils avaient tenté de dégager patiemment des excédents de 1% ou 2% du PIB par an, alors on y serait encore, et il aurait été beaucoup plus difficile pour les gouvernements de l’après-guerre d’investir dans la croissance. Ce sont pourtant ces deux pays qui expliquent depuis 2010-2011 aux pays d’Europe du Sud que leur dette publique devra être remboursée jusqu’au dernier euro. Il s’agit d’un égoïsme à courte vue, car le nouveau traité budgétaire adopté en 2012 sous la pression de l’Allemagne et la France, qui organise l’austérité en Europe (avec une réduction excessivement rapide des déficits et un système de sanctions automatiques totalement inopérant), a conduit à une récession généralisée en zone euro. Alors même que l’économie est repartie partout ailleurs, aux Etats-Unis comme dans les pays de l’Union européenne restés au dehors de la zone euro.  » (4)

 

 2. Les crises monétaires des années 1970, un « tournant majeur » pour l’économie mondiale

 

 A partir de 1950, la dette publique de la France décroît presque sans interruption, elle atteint 15 % en 1970. Augmentant légèrement en 1974, elle passe à 20%, puis décroît à 15 %, en 1975, croît de nouveau à 20 % en 1980. (1)

Evidement les fluctuations de la dette publique paraissent faibles, et on peut penser qu’elles n’ont pas un grand impact sur l’économie de la France. Que l’économie de la France se porte bien, comme d’ailleurs les autres économies européennes, l’économie américaine et japonaise. En réalité, les années 1970 ont constitué un tournant majeur tant pour l’Occident que pour le reste du monde. Mais comment le comprendre et quel impact a-t-il sur l’économie mondiale ?

Il faut rappeler les accords de Bretton Woods de juillet 1944 qui avaient institué le Gold-Exchange Standard (GES) fondé sur une seule monnaie, le dollar américain : toutes les monnaies étaient définies en dollar et seul le dollar est défini en or. Les pays européens qui sortaient très affaiblis de la guerre ne pouvaient se prévaloir de convertibilité de leurs monnaies. Ils avaient besoin de se reconstruire et se mettre à niveau pour se rehausser sur le commerce mondial. Une tâche à laquelle les États-Unis ont beaucoup contribué, notamment par des aides matérielles et financières (effacement d’une partie des dettes), un plan Marshall généreux mis sur pied en 1947 a beaucoup aidé l’Europe. Le Japon a été beaucoup aidé surtout depuis l’avènement de la Chine communiste, en 1949, et la guerre de Corée (1951-1953). L’objectif était de faire barrage, via le Japon, la Corée du Sud et d’autres pays asiatiques, à la propagation de l’idéologie communiste.

Evidemment, toutes ces aides octroyées à leurs alliés, les États-Unis ont retiré aussi un grand profit. En effet, sans ces aides, ces effacements de dettes publiques, ce plan Marshall, la situation économique américaine aurait été catastrophique. Ce sont précisément les débouchés de leurs alliés et les aides octroyées que les États-Unis ont pu maintenir leur appareil de production en marche, évitant ainsi à des millions d’Américains le chômage.

Mais la situation d’après-guerre va évoluer, les pays d’Europe qui se sont reconstruits ont rétabli, pour la plupart, la convertibilité de leurs monnaies en 1958. Le système Bretton Woods de 1944 qui faisait du dollar le centre du système, en tant qu’il était adossé à un prix fixe de l’once d’or, et librement convertible en or, a garanti la stabilité de chaque monnaie par rapport à cet étalon. Ce qui a permis des échanges internationaux équilibrés sans heurt sur le plan monétaire et une croissance économique occidentale et mondiale durable. Mais, la situation à la fin des années 1960 va se détériorer par une détérioration de la valeur or du dollar. Les États-Unis, ayant perdu beaucoup d’or, n’étaient plus en état de satisfaire la demande de conversion des dollars en or présentés par les pays européens qui détenaient de quantités considérables de dollars. En particulier, la République fédérale d’Allemagne qui enregistrait des excédents commerciaux incessants avec les États-Unis. Ce qui provoqua des dérapages dans la discipline monétaire et, à l’issue, des crises monétaires entre l’Europe et les États-Unis.

Le 15 août 1971, devant la faiblesse de leur stock d’or et les persistances des pays européens pour convertir leurs dollars en or, les États-Unis annoncent la suspension complète de la convertibilité du dollar en or, la mise en place d’une surtaxe de 10 % sur les importations et des allègements fiscaux pour des investissements internes. La guerre monétaire et commerciale, à cette époque, était à son sommet dans le monde occidental. Face à l’offensive américaine, les gouvernements européens, pour la plupart, laissaient flotter leurs monnaies sur les marchés et lorsque, la baisse du dollar menaçait trop les exportations nationales, ils faisaient intervenir des « fonds de stabilisation ». Les statuts du FMI n’étaient plus respectés. Des négociations s’imposaient pour les modifier et mettre en place un nouveau système monétaire international.

Les plus touchés par la surtaxe de 10 % furent les deux plus importants partenaires commerciaux des États-Unis, i.e. le Japon et la RFA. Menacés de récession par la baisse de leurs exportations, ils étaient particulièrement sensibles aux pressions fiscales américaines. A l’entrevue des Açores (le 13 et 14 décembre 1971), les présidents Nixon et Pompidou fixent les bases d’un accord que le club des Dix (les Six d’Europe, la Grande-Bretagne, les États-Unis, le Canada et le Japon) entérine et précise quatre jours plus tard, lors de la Conférence de Washington, les 17 et 18 décembre 1971.

Cet accord dit aussi du Smithsonian Institute rétablit le dollar dans sa fonction de monnaie d’intervention généralisée. Mais le dollar est dévalué de 7,89 % par rapport à l’or – l’once d’or fin est à 38 dollars –, la convertibilité du dollar en or n’est pas rétabli. Toutes les autres monnaies sont réévaluées par rapport au dollar. Le système des parités fixes est rétabli, mais la marge de fluctuation autorisée est portée de 1 % à 2,25 % en plus ou moins par rapport au dollar. Et la marge de fluctuation des autres monnaies par rapport au dollar au sein du SMI est portée de part et d’autre à 2,25 %. Simultanément, les écarts entre deux monnaies autre que le dollar peuvent atteindre 4,5 %, et d’un jour à l’autre 9 %, par référence au dollar (cumul des marges).

Les nouvelles marges de fluctuation autorisées ne pouvaient satisfaire l’organisation interne de la communauté européenne, dont les écarts risquaient de se creuser entre les monnaies européennes et menacer tout le système des échanges, en avantageant, par les variations trop importantes des parités, les exportations des uns par rapport aux autres. C’est ainsi que, pour maintenir le système des prix agricoles communs et assurer une situation d’égale concurrence entre les pays-membres de la CEE, et après avoir consulté les quatre pays qui devaient entrer dans la Communauté le 1er janvier 1973 (Royaume-Uni, Irlande, Danemark, Norvège), les six États de la CEE créent au printemps 1972, par les accords de Bâle, le « Serpent monétaire européen ». Celui-ci réduit de moitié les marges de fluctuation entre les monnaies européennes, faisant passer les 4,5 % autorisés à 2,25 % en tout, i.e. plus ou moins 1,125 % entre deux monnaies (écart qu’elles ne doivent pas dépasser). Le 24 avril 1972, tous ces accords sont appliqués. Le serpent évolue à l’intérieur du tunnel imposé à l’ensemble des monnaies du monde occidental. Les accords de Bâle retirent aussi au dollar son rôle de monnaie de compte dans la CEE. Il est remplacé par l’unité de compte (UC) définie par 1/3 d’once d’or fin.

Il apparaît vite que les décisions prises à Washington et à Bâle ne peuvent stabiliser la situation monétaire. La livre sterling et la lire sont hors du « serpent monétaire ». Dès 1972, la livre sterling est attaquée par la spéculation, les prix intérieurs montent plus rapidement que ceux des autres pays, la balance commerciale s’est détériorée et le Royaume-Uni ne peut rembourser ses dettes au FMI ni ne peut se maintenir à l’intérieur du tunnel. Le 23 juin 1972, le gouvernement britannique décide de laisser flotter la livre sur les marchés de change. En janvier 973, l’Italie, se trouvant dans une situation analogue à celle du Royaume-Uni, institue un double marché des changes, avec une lire commerciale qui respecte les marges de fluctuation autorisées, mais une lire financière qui flotte, sortant à la fois du serpent et du tunnel.

En réalité, c’est surtout la détérioration de la situation financière américaine qui provoque l’écroulement du fragile édifice construit depuis 1971. Les États-Unis, ne parvenant pas à rééquilibrer leur balance extérieure, une nouvelle vague de spéculation est déclenchée. Les achats de deutschemarks se multiplient, les autres monnaies sont protégées soit par leur faiblesse (livre, lire) soit par des contrôles rigoureux d’entrées de capitaux (franc, yen). La RFA prend à son tour des mesures de protection et les capitaux spéculatifs se rapportent sur l’or dont les cours montent rapidement.

 Comme en 1971, les États-Unis tentent d’obtenir la réévaluation des autres monnaies, menaçant notamment le Japon de mesures de rétorsion douanières. Devant le refus de leurs partenaires, sans aucune consultation, ils dévaluent le dollar de 10 % dans la nuit du 12 au 13 février 1973. L’unité monétaire américaine, qui reste inconvertible en or, est définie désormais par 42,22 $ l’once d’or fin. Ne pouvant plus défendre les nouvelles parités fixées unilatéralement par les États-Unis d'Amérique, la plupart des pays décide de laisser flotter leurs monnaies. Conséquence : le système mis en place à Washington en décembre 1971 s’écroule.

Le 12 mars 1973, à la Conférence de Bruxelles, les neuf gouvernements de la CEE se mettent d’accord pour ne plus soutenir le cours du dollar, mais de maintenir les fluctuations de plus ou moins 2,25 % entre les monnaies européennes. « Le Serpent européen sort du tunnel. » Il flotte librement par rapport au dollar. Cet accord européen, mettant fin à l’existence du tunnel, pousse le dollar à flotter sur les marchés. Le change fixe des monnaies occidentales fait place au change flottant.

Le 3 avril 1973, les pays d’Europe mettent en place un Fonds européen de Coopération Monétaire (FECOM), chargé de gérer le financement à très court terme des crédits nécessaires pour soutenir les monnaies à l’intérieur du Serpent dans les limites de leurs quotes-parts. Ce Fonds préfigure la future Banque centrale européenne.

 

 3. Le privilège exorbitant du dollar, monnaie de facturation du pétrole, partagé entre les États-Unis, l’Europe et le Japon

 

  La crise énergétique qui commença à l’automne 1973 a entraîné un bouleversement des structures industrielles des pays occidentaux et du Japon, fondées jusque-là sur une énergie à bon marché. Sa brutalité, sa soudaineté, et ses conséquences qui jouent encore aujourd’hui en 2016, lui confèrent un caractère d’événement majeur dans l’histoire économique contemporaine.

Cette crise énergétique a amené le monde arabe à entrer en force dans les affaires monétaires via le libellé monétaire du pétrole arabe en dollar. Et ce qui est le plus surprenant, c’est que cette intrusion du monde arabe dans les affaires monétaires internationales aura un effet salvateur dans les crises monétaires qui divisent les puissances occidentales. Evidemment cette intrusion arabe n’est pas venue ex nihilo, mais relève de forces historiques en lien avec l’évolution du commerce mondial et l’avènement de plus de cent nations indépendantes, depuis la décolonisation qui a commencé à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et s’est pratiquement terminée en concomitance avec la fin des « Trente Glorieuses ».

Ce sont les pays Arabes en accord avec les États-Unis qui vont imprimer un tournant aux crises monétaires, qui ne cessaient de déstabiliser l’économie occidentale. A l’époque, le Secrétaire d’État Henry Kissinger qui faisait la navette entre les États-Unis et les pétromonarchies du Golfe aurait déclaré : « Si vous contrôlez le pétrole, vous contrôlez toutes les nations. » Et, c’est ce qui s’est passé et se passe encore aujourd’hui, les Américains, en s’alliant avec les Arabes des pays du Golfe, plus précisément avec l’Arabie Saoudite, ont réussi ce tour de force, « substituer le dollar-or par une monnaie de facturation du pétrole en dollar, communément appelé «  pétrodollar ». Le pétrole arabe, et par extension, le pétrole du cartel pétrolier, l’OPEP, va jouer un rôle central dans les relations monétaires internationales.

Précisément, alors qu’ils cherchaient à se libérer des dollars issus des déficits commerciaux américains (monétisation), en décidant en mars 1973 (Conférence de Bruxelles) de ne plus soutenir le cours du dollar, les pays européens se retrouvaient paradoxalement forcés, suite au premier krach pétrolier (quadruplement du prix de pétrole), à soutenir son cours par des achats massifs de dollars sur les marchés monétaires pour régler leurs importations de pétrole. Les pays arabes et ceux de l’OPEP ont forcément, via leurs exportations pétrolières, accumulé des montants considérables en dollars.

Cependant, ce mécanisme monétaire qui, par la facturation du pétrole en dollar, et donc en obligeant les pays d’Europe à acheter des dollars, permet de répercuter les déficits américains sur le reste du monde, ne va pas amener la seule Amérique à en tirer bénéfice. En effet, monétisant leurs déficits, émettant massivement des dollars dans le monde, les États-Unis créent une grande quantité de dollars sur les marchés financiers. Certes, une grande partie des dollars est absorbée par les pays consommateurs de pétrole, dont les pays d’Europe, puisque ces derniers règlent leurs importations de pétrole en dollars. Mais, commerce oblige, les masses de liquidités en dollars que les pays arabes enregistrent dans la vente de leurs pétroles vont, à leur tour, financer les biens et services importés d’Europe, du Japon et des États-Unis.

Si les pays arabes importent des biens et services des États-Unis, le problème monétaire ne se pose pas puisque ces pays règlent leurs importations en dollars. De même quand ils investissent leurs excédents pétroliers en bons de Trésor américains. Il n’y a donc pas l’utilité de convertir leurs dollars en une autre monnaie pour régler ou placer des excédents aux États-Unis.

En revanche, la situation est autre quand les pays arabes importent des biens et services d’Europe et du Japon. Ces pays se trouvent obligés de convertir les dollars en franc, en livre sterling, en deutschemark, en yen, etc., sur les marchés pour régler leurs importations aux pays d’Europe et du Japon. Le problème qui se pose pour l’Amérique est que ces dollars qui retournent sur les marchés font forcément déprécier la monnaie américaine. D’autant plus si les déficits américains sont importants, et que les placements arabes en bons de Trésor n’arrivent pas à pondérer (à diminuer) les émissions monétaires américaines. Dès lors, les pays européens et le Japon vont se retrouver doublement pénalisés. D’abord par l’achat du pétrole auprès des pays arabes qui se fait en échange de richesses réelles par les pays d’Europe et du Japon, alors que les États-Unis règlent leurs importations de pétrole que par des dollars qui ne leur coûte que le prix de l’impression (planche à billet). Le deuxième facteur, tout aussi important, est le fait que le retour des dollars sur les marchés via les conversions monétaires opérées par les Arabes pour régler leurs importations de biens et services d’Europe et du Japon font déprécier le dollar, et donc apprécier les monnaies de ces derniers. Ce qui nuit à leur commerce extérieur. Leurs monnaies (franc, livre sterling, deutschemark, yen…) seront plus chères par rapport au dollar qui ne cesse de se déprécier, eu égard à la dégradation de la balance extérieure américaine, et des déficits accumulés avec le reste du monde, année après année. 

Quelle sera alors la réaction de l’Europe et du Japon pour défendre leur compétitivité dans les échanges internationaux ? Sans alternative, ces pays vont opter pour la création monétaire, i.e. émettre des liquidités ex nihilo (planche à billet) », sans contreparties de richesses réelles, dans le but évident de dégonfler leurs monnaies appréciées, et regagner leur compétitivité. Cette réaction de défense qui leur permet, par simple création monétaire, de régler leurs importations pétrolières en leurs monnaies, préalablement convertis en dollars, de bénéficier aussi de ce pouvoir de créer de l’argent à partir de rien, pour simplement abaisser le taux de change de leurs monnaies.

Par conséquent force de dire que les pays d’Europe et le Japon bénéficient, à l’instar des États-Unis, ce que tout le monde appelle le « privilège exorbitant du dollar  ». Ce privilège est donc partagé entre les États-Unis, les puissances monétaires européennes et le Japon. Ce pouvoir exorbitant du dollar qui associe ces puissances monétaires s’assimile incontestablement au droit de seigneuriage qu’avaient les rois, au Moyen-âge, de battre la monnaie dans leurs royaumes. De par ce pouvoir d’émettre de la monnaie internationale ex nihilo, i.e. à partir de rien, on comprend dès lors pourquoi la dette publique de la France, ainsi que celle des pays européens et des États-Unis ont été très peu influencées par le krach pétrolier de 1973. Ils n’ont pas enregistré de déficits publics, pourtant le prix du baril de pétrole a plus que quadruplé, après 1973. La dette publique de la France qui s’établissait en 1970, à 15 %, hormis une brève remontée en 1974, suite au premier krach pétrolier de 1973, est vite revenue à 15 % du PIB. Ce n’est qu’en 1980 qu’elle croît de nouveau et passe à 20 % du PIB. (5) De même pour les dettes publiques des autres pays européens. Alors que les pays en développement qui n’ont pas de monnaies internationales et sont des importateurs nets de pétrole ont connu de graves déficits extérieurs. Et donc une hausse de leurs dettes extérieures.

La dette publique des États-Unis reste très stable et évolue globalement autour de 35 %, durant la décennie 1970. Seul le Japon a vu sa dette publique passer de 10 % en 1970 à 50 % du PIB en 1980. (5) Cela est dû probablement aux fortes politiques keynésiennes menées par le gouvernement japonais pour maintenir le plein emploi (grands travaux publics : universités, autoroutes, voies ferroviaires, centrales électriques…).

Cependant la situation économique mondiale sera de nouveau bouleversée par un deuxième krach pétrolier. Le prix du baril triple, passant de 12 à 36 dollars, dans la première moitié de la décennie 1980. Conjuguée à la forte appréciation du dollar, il aura un impact négatif considérable sur les pays européens et le Japon. Mais ce sont les pays du Sud qui seront les plus touchés. Les dettes qu’ils ont contractées à taux d’intérêt variable, auprès des banques américaines, européennes et japonaises, vont exploser sous le double impact de la hausse drastique des taux d’intérêt et de change du dollar américain. 

 

 4. Le pouvoir exorbitant des monnaies européennes et japonaises tenu en échec par le dollar

 

 Ce « privilège exorbitant » qui a permis d’augmenter les cours du pétrole et des matières premières a été paradoxalement favorable à la fois à l’Occident et au reste du monde, en particulier les pays exportateurs de pétrole. Et dans une moindre mesure les pays exportateurs de matières premières. Faut-il souligner que c’est par ce transfert de pouvoir d’achat au reste du monde (hausse des prix du pétrole) que les échanges de richesses dans le monde se sont poursuivis, voie même accrus, évitant aux puissances industrielles une grave crise économique rappelant la Grande dépression des années 1930, qui a vu une forte montée du chômage en Europe et aux États-Unis, une constitution de zones monétaires, un protectionnisme outrance, et à la fin la guerre.

Cette création monétaire dans les années 1970 s’est accompagnée cependant d’une forte inflation, portée à des sommets dans les pays développés. En France, le taux d’inflation a atteint une moyenne de 13,7 %, en 1974. Aux États-Unis, 13 % en 1974 et 15 % en 1980. Mais c’est le Japon (grand importateur de pétrole) qui a enregistré le plus fort taux d’inflation, 25 % entre 1974 et 1976. (6)

Pour parer à la spirale inflationniste qui s’est enclenchée par la création monétaire des deux côté de l’Atlantique et du Japon, et la hausse des prix de pétrole et des matières premières, la Banque centrale américaine (Fed) a procédé à une hausse drastique du taux d’intérêt directeur, en 1979. Le taux passe de 10 % à 15,5 %. Après une baisse qui ne durera pas, il remonte directement (sans palier) à 20 % en 1980. La Fed ne commencera à baisser le taux d’intérêt qu’avec la récession qui a surgi aux États-Unis, en 1982. (7) La forte hausse du dollar sur les marchés, nuisant à la compétitivité de l’industrie américaine, a provoqué une forte montée du chômage. Le taux de chômage aux États-Unis, qui était de 5,8 % en 1979, passe à 7 % en 1981, et à un sommet jamais atteint depuis 1950, à 10,5 % en 1982. (8) 

Cette hausse du taux d’intérêt américain se traduit, à partir de 1980, par la hausse des dettes publiques européennes. La dette publique de la France passe de 20 % à 35 %, en 1988. Les dettes publiques des autres pays d’Europe qui ont aussi augmenté ont suivi le sillage de la lutte contre l’inflation menée par les États-Unis. La dette publique des États-Unis qui a aussi augmenté passe de 35 % à 50 % en 1988. La dette publique du Japon passe de 55 % en 1981 à 70 % en 1988. (5) Le constat que l’on peut faire de la décennie 1980 est que les dettes publiques occidentales ont toutes augmentées, contrairement à la décennie 1970 qui les a vues globalement stables.

Tous les grands pays d’Europe et le Japon ont vu leur PIB baisser entre 1980 et 1985. Et paradoxalement ils ont suivi la même évolution baissière. Ce paradoxe se retrouve aussi dans la forte baisse de leurs monnaies face au dollar, et toujours durant la première moitié de la décennie 1980. Une évolution des taux de change pour ainsi dire identique, sauf pour la monnaie japonaise qui ne suit pas du fait de son ancrage au dollar, et de son commerce particulièrement soutenu avec les États-Unis, son premier client. Les valeurs ci-après des taux de change avec le dollar montrent bien la forte dépréciation des monnaies européennes et leur évolution similaire.

Le taux de change dollar/franc français (moyenne mensuelle) est passé de 4,037885 Fr, en janvier 1980, à 7,219194 Fr, en novembre 1982, à 8,382697 Fr, en décembre 1983. Le Franc continue de se déprécier et atteint 10,11169 Fr pour un dollar, en mars 1985. La valeur du franc a été divisée par deux fois et demie passant de 0,25 dollar à 0,1 dollar, de 1980 à 1985. Ce n’est qu’en 1985 que la monnaie française commence à s’apprécier et revenir progressivement à ses taux de change des années 1970. Le taux de change dollar/franc passe de 7,691097 Fr, en décembre 1985, à 5,536810 Fr en décembre 1987.

Même évolution pour le deutschemark, la livre sterling... Le deutschemark se déprécie fortement, le taux de change dollar/deutschemark (moyenne mensuelle) passe de 1,723970 DEM, en janvier 1980, à 3,308957 DEM, en mars 1985. A partir de cette date, la monnaie allemande commence à s’apprécier pour atteindre 1,633617 DEM, en décembre 1987. Idem pour la livre sterling anglaise qui baisse fortement pour la même période. Le taux de change dollar/£ passe de 0,436602 GBP, en février 1980, à 0,911996 GBP, en février 1985. A partir de cette date, la livre remonte et atteint 0,599945 GBP, en mai 1987. Seule la monnaie japonaise échappe à cette formidable dépréciation face au dollar. Le taux de change dollar/yen fluctue très peu, il n’a pas de baisse continue. Il évolue en dents de scie entre 220 JPY et 260 JPY, dans les années 1980-1985.

Ce n’est qu’après les accords du Plaza, signé le 22 septembre 1985 entre le G5 (États-Unis, Japon, Allemagne de l'Ouest, Royaume-Uni, France) que le yen commence à s’apprécier. Le taux de change dollar/yen passe de 236,739103 JPY en septembre 1985 à 202,688562 JPY en décembre 1985, et à son plus haut à 123,174428 JPY en novembre 1988. (9)

Comment comprendre cette évolution presque similaire des puissances européennes et du Japon à la fois sur leurs PIB respectifs, leurs dettes publiques et leurs taux de change ? Excepté le change pour le Japon. Alors que la croissance des États-Unis, hormis la récession 1982-1983, a explosé. Le taux de croissance a atteint un sommet depuis la fin des années 1950, il est à 8 %, en 1984. Alors que les taux de croissance des pays d’Europe ont évolué globalement entre -1 % et 2 %, l’Allemagne et le Japon, entre -2 % et 3 %, durant la décennie 1980. du Japon sont trop faibles, évoluant entre 0 % et moins de 2 %. (10) Est-ce que le « privilège exorbitant de la monnaie de facturation par le dollar » que bénéficient les États-Unis ne fonctionne plus pour les pays d’Europe et le Japon ? Comment expliquer la hausse de la dette publique des pays d’Europe ? Et qui dit dette publique dit hausse des déficits commerciaux et courants des pays d’Europe. Comment expliquer le faible taux de croissance et la dépréciation de leurs monnaies dans leur ensemble (franc, deutschemark, livre sterling...) ? Une dépréciation de 90 % pour le deutschemark et 149 % pour le franc français, entre décembre 1979 mars 1985.

La réponse de la hausse de leurs dettes publiques et de la forte dépréciation de leurs monnaies se trouve dans la hausse soudaine du taux d’intérêt américain à des niveaux sans précédents. En augmentant le taux d’intérêt, la Banque centrale américaine a procédé à un reflux des dollars dans le monde vers les États-Unis. En effet, la forte hausse du taux d’intérêt de la Fed a amené tous les investisseurs du monde à placer leurs dollars sur les places financières américaines. Ce faisant, le taux de change dollar par rapport aux autres grandes monnaies du monde s’est fortement apprécié. C’est ainsi que les pays d’Europe furent privés de la dépréciation du dollar américain des années 1970, et celle-ci, il faut le rappeler, leur avait permis de procéder à des émissions monétaires ex nihilo, sans contreparties physiques, à la fois pour dégonfler leurs monnaies qui s’étaient appréciées et monétiser en même temps leurs déficits extérieurs. Ce qui avait permis de financer la hausse du prix du pétrole qui avait quadruplé, après 1973, par la création monétaire. Sauf que cela a créé une forte inflation.

La situation des années 1973 n’a plus joué dans les années 1980. En effet, la dépréciation du dollar US des années 1973 n’existant plus – par la désinflation, le dollar s’est fortement apprécié sur les marchés monétaires – et le triplement du prix du pétrole, suite au deuxième krach pétrolier, ont fait que les pays d’Europe et le Japon étaient dans une impasse. Utiliser la « planche à billet » ne pouvait que déprécier encore plus leurs monnaies, déjà dépréciées par la fuite de ses capitaux vers les États-Unis, attirés par les hauts taux d’intérêt, et par l’épongement des capitaux du monde entier vers les États-Unis.

On comprend dès lors que toute création monétaire pour les pays d’Europe ne pouvait qu’accentuer la dépréciation de ses monnaies. Et c’est ce qui s’est opéré entre 1980 et 1985, confrontés au deuxième krach pétrolier, ces pays ne pouvaient restreindre la création monétaire. Ce qui explique aussi pourquoi les taux d’inflation ont bondi en Europe et au Japon, alors que le taux d’inflation aux États-Unis a fortement baissé aux États-Unis, passant de 15 % en 1980 à 3 %, en 1983, et moins de 2 %, en 1984. En France, le taux d’inflation était de 9,6 % en 1983, et 7,4 % en 1984. Le taux d’inflation de l’Allemagne est passé de 3 % en 1980 à 7 % en 1983, et à 5 % en 1984. (6)

Cette situation de dépréciation monétaire généralisée et le triplement du pétrole lors du deuxième krach pétrolier de 1979 ont provoqué une série de déficits commerciaux pour tous les pays d’Europe qui, accumulés, ont augmenté leurs dettes publiques. Cependant, bien que les dettes publiques européennes aient augmenté dans les années 1980, le Japon faisant cependant exception puisque sa dette publique a continué à croître (environ 70 % du PIB), on note qu’elles sont restées faibles, évoluant entre 20 % et 50 %. Alors que normalement, elles auraient dû croître plus qu’elles ne l’avaient été, ceci en regard de la forte hausse des produits énergétiques.

 

 5. Le retour du balancier de l’histoire. Endettement et restructuration de l’architecture mondiale

 

 D’emblée, faut-il dire que si les pays occidentaux avaient continué la création monétaire dans les années 1980, ils auraient créé une situation inflationniste telle qu’elle aurait mis en danger le système monétaire international. Il aurait fallu d’autres chocs pétroliers pour absorber les liquidités émises par les États-Unis, et qu’auraient dupliqué de leur côté les pays d’Europe et le Japon pour contrer l’invasion de dollars (issus de la monétisation des déficits américains) sur le monde. Cette invasion de dollars est, à bien d’égard, comparable aux hausses des prix du pétrole entre 2005 et 2014. La crise financière a vu le prix du pétrole atteindre, à l’été 2008, 147 dollars le baril. Malgré ces contreparties auxquelles le dollar était adossé, celui-ci s’est fortement déprécié, atteignant 1,60 dollar pour un euro. 

Précisément, pour éviter que le cours de pétrole explose et passe, par exemple, à 200 dollars, ce qui apparaîtrait anormal pour le monde, et que le taux de change du dollar par rapport aux monnaies européennes plonge encore, il a fallu les pondérer avec la hausse du prix de l’once d’or qui est passé entre 2007 (crise immobilière) et 2008 (crise financière), de 600 dollars à 1000 dollars. Le pétrole et l’or ont joué de contreparties physiques pour les injections monétaires massives ex nihilo, opérées par la Fed dans le cadre du programme d’assouplissement monétaire ou Quantitative easing 1 (QE1) pour sauver le système bancaire américain. Ces hausses de prix du pétrole et de l’or jouant de contreparties physiques, dans le cadre du QE1, pour les émissions ex nihilo en dollars, n’ont pas suffi au plus haut sommet de la crise de 2008, et se sont étendues aux matières premières y compris agricoles, engendrant, en 2008, une crise alimentaire dans le monde.

C’est dire l’importance de la hausse des prix du pétrole, de l’or... et des produits agricoles. Tous les motifs ont été invoqués pour expliquer la crise alimentaire dans le monde, à savoir la contraction de la production qui ne suffit pas à la population mondiale (en forte augmentation), les stocks alimentaires réduits, les changements climatiques, la sécheresse, la spéculation, etc. Ces causes certes jouent mais n’expliquent pas la soudaineté de la crise des produits de base et leur hausse des prix qui se sont généralisés. Le problème de la crise pétrolière, des matières premières et alimentaires dans le monde est essentiellement monétaire.

Si le reste du monde naguère colonisé a joué un rôle majeur dans l’absorption mondiale, dans les années 1970, en s’endettant fortement, en empruntant à faible taux d’intérêt mais variables auprès des banques occidentales – les taux d’intérêt réels étaient négatifs, dus à la forte inflation à l’époque , la situation pour ces pays va s’inverser dès le début des années 1980. Suite à l’endettement et à la hausse drastique des taux d’intérêt américains (répercutée sur les taux européens...), le transfert de richesse va s’inverser et s’opérer du reste du monde vers les États-Unis, l’Europe et le Japon. 

Que peut-on dire de cet endettement soudain du reste du monde ? Grâce aux pétrodollars, la duplication des eurodevises par l’Europe et les placements massifs des pays du reste du monde (recyclage des pétrodollars) que les crises monétaires ont été dépassées et la croissance économique mondiale a suivi dans les années 1970. Sans l’absorption mondiale dopée par le reste du monde, l’activité mondiale aurait subi une forte contraction et plonger le monde dans une déflation comparable à celle des années 1930. Si la roue a tourné pour les pays du Sud et du bloc Est, c’est que les politiques monétaires américaine, européennes et japonaise, très inflationnistes, ne s’inscrivaient que comme étape transitoire dans le processus de rénovation et d’adaptation de l’architecture de l’économie mondiale à de nouvelles donnes, qui, il faut le dire, par les crises qui surgissent non seulement dépassent les stratégies menées par les puissances financières mais, en fait, les utilisent à des fins qui transcendent ce pourquoi elles se sont appliquées.

D’autre part, la hausse des taux d’intérêt américain conjuguée aux hauts cours du prix du pétrole (deuxième choc pétrolier) et aux dépréciations sans précédent des monnaies européennes ont fait porter en réalité le prix du baril de pétrole de 40 dollars à environ en moyenne à 80 dollars en 1984, exprimé en monnaies européennes au taux constant de l’année 1980, pour les pays d’Europe. Une crise économique majeure en Europe que sauve précisément d’une part le formidable endettement des pays d’Amérique latine, d’Afrique, du bloc socialiste de l’Est et une partie de l’Asie – une partie des ressources de ces pays vont vers l’Europe via l’endettement –, et d’autre part, le dopage de leurs exportations par l’affaiblissement de leurs monnaies vers surtout les pays de l’OPEP (favorisés par la hausse des prix du pétrole), et les États-Unis dont le dollar s’était fortement apprécié sur les marchés internationaux, leur permettant de payer moins cher leurs importations d’Europe et du reste du monde, et donc d’importer plus.

Pour gérer l’endettement du reste du monde, les Occidentaux ont mis en place trois institutions internationales. Le Fonds monétaire international transformé en pompier du monde qui a pour tâche d’assainir, à travers des plans d’ajustement structurels (PAS), les économies des pays en difficultés ou en cessation de paiement. Et deux clubs, celui de Rome pour la dette privée et de Paris pour la dette publique. La boucle est ainsi bouclée par cette « alliance herméneutique du monde de l’islam et de la première puissance du monde ». Les « dollars islamo-américains » ont non seulement évité une crise économique mondiale majeure dans les années 1970, mais ont concouru à changer l’architecture politique du monde, à la fin des années 1980. La chute du « mur de Berlin » sera la première pierre à la nouvelle architecture du monde.

 

 6. La misère, la pauvreté, le chômage, le désespoir et la violence que l’endettement engendre sont accoucheuses de l’histoire 

 

  De « débouché » initialement, la situation s’est retournée pour les pays du Sud, le Nouvel Ordre économique mondial (NOEI) préconisé par les pays du Sud (l’Algérie…) n’est plus qu’un pâle souvenir. Il s’est produit un formidable transfert de richesse du Sud vers le Nord.

Jean Ziegler, membre du Bureau de l’Internationaliste socialiste écrit : « Le fléau le plus terrible qui ravage actuellement des peuples du Tiers monde est, à mon avis, celui du surendettement : la dette extérieure des 122 pays dits du Tiers monde agit comme un garrot. A cause d’elle, les faibles programmes sociaux des pays pauvres sont encore réduits ; la faim s’installe, la maladie, le chômage, le désespoir progressent. La dette, chaque jour, fait des milliers de victimes. Cette dette dépasse, au 31-12-1987, le chiffre astronomique de 1100 milliards de dollars. La quasi-totalité des pays du Tiers monde doivent périodiquement refinancer leurs dettes, c’est-à-dire contracter des dettes nouvelles pour pouvoir payer les intérêts et les tranches d’amortissement. Les experts du Fonds monétaire international descendent alors sur le pays comme des corbeaux, des oiseaux de proie : ils imposent au malheureux gouvernement débiteur ce qu’ils appellent pudiquement les « ajustements structurels ». Ces ajustements consistent généralement dans le rétablissement du « libre » marché capitaliste, dans l’élimination des programmes sociaux, dans le blocage des salaires, dans l’établissement de privilèges fiscaux pour les sociétés multinationales. Conséquence : après le passage du FMI au Brésil, au Pérou, au Zaïre, en Indonésie, la misère, le chômage, le désespoir des classes les plus pauvres des pays pauvres augmentent ». (11)

Jean Ziegler a parfaitement raison de dénoncer cette situation catastrophique des économies du Tiers monde et les agissements de l’Occident. Cependant, une question se pose : « L’Occident avait-il le choix de faire autrement ? » Il y a des « lois de la nécessité » qui ne sont pas visibles mais sont perceptibles après coup. Précisons ce processus, en énonçant une « triple nécessité historique » dans les forces économiques qui se sont enclenchées dans les années 1970 et 1980. La première montre que la FED américaine n’avait pas d’alternatives, en 1979, pour lutter contre l’inflation mondiale. Face à la spirale inflationniste elle devait :

- soit limiter les émissions monétaires, pousser le gouvernement américain à augmenter la fiscalité et maintenir le taux directeur à un niveau faible. Ce qui se traduirait par une récession suivie d’une dépression économique qui durera aux États-Unis et dans le monde,

- soit provoquer d’autres chocs pétroliers pour augmenter encore le pouvoir d’achat américain et des pays du Sud, donc l’« absorption des dollars émis par la donne pétrolière », ce qui augmentera l’inflation dans le monde et fera répéter d’autres chocs pétroliers, de l’or, et d’autres produits de base pour absorber les surplus monétaires émis. Et à terme procéder inévitablement à une politique anti-inflationniste. Ce qu’elle a fait en 1979 : augmenter brutalement le taux directeur et serrer le robinet des injections monétaires, malgré l’endettement du reste du monde, et une récession aux États-Unis en 1982.

 La « deuxième nécessité » porte sur l’endettement des pays du Tiers monde. Pour la première fois, ces pays prennent conscience des dangers que représente l’inexpérience en matière économique et monétaire. De plus, ils ont une grande part de responsabilité dans la faible organisation de leurs États, la gouvernance et la gestion des affaires publiques. Ces pays, qui n’arrivent pas à décoller leurs économies, s’enfoncent dans la stagnation, la pauvreté et le sous-développement. La corruption dans ces pays, dits en voie de développement, est difficile à cerner, elle constitue un mal endémique. L’enrichissement illicite par les dirigeants et la clientélisation, une oligarchie fermée, qui sont devenus des phénomènes notoires, presque naturels puisque personne ne peut ni n’a à redire, puisque les systèmes sont ainsi formés. Il est clair que cette situation bien qu’elle est à déplorer s’inscrit dans un processus transitoire. Ce qui signifie que ces pays sont condamnés à évoluer et à dépasser la stagnation. Sauf que le progrès pour ces pays est plus long, il est lié aux caractéristiques de leurs pays, plus versés dans les exportations de matières premières et énergétiques. Quant aux programmes d’ajustement structurels du FMI, ils s’avèrent un « passage obligé » pour ces nouvelles économies. Que le FMI soit pompier ou usurier, une qualité qui n’est que l’expression de la domination des puissances occidentales. Ces nouveaux pays doivent apprendre à gérer leurs économies. Une « Nécessité » qui ne ferait que les renforcer à tirer les leçons de l’endettement, et penser concrètement leur insertion dans l’économie mondiale.

 La « troisième nécessité », celle-ci est capitale, c’est l’amorce de la transformation de la structure du monde. Ce processus monétaro-économique qui s’est imposé de lui-même à la fois à l’Occident – celui-ci ne l’a pris que parce qu’il y était obligé, le processus était déjà en marche – et au monde, a permis, par les crises politiques qui ont surgi de « renverser pacifiquement l’ordre géopolitique et économique du monde ». Un, le renversement de la plupart les dictatures militaires en Amérique du Sud. Ces régimes étaient incapables d’apporter des solutions aux crises économiques et sociales. Deux, il a mis fin au monde bipolaire (chute du mur de Berlin en 1989 et disparition de l’URSS en 1991). Les régimes communistes du bloc Est étaient impuissants devant la crise économique. Trois, la Chine communiste s’étant convertie à l’économie de marché commence son ascension dans le commerce mondial. Suivie par l’Inde. Quatre, le vocable tiers-monde a perdu son sens. C’est un nouvel état du monde qui commence à se mettre en place dans les années 1990.

Aussi pour conclure, grâce à l’endettement des pays du reste du monde en dollar, en livre sterling, en yen, en mark, en franc, en lire…, l’Occident a non seulement gagné la troisième guerre mondiale – la guerre froide – mais a œuvré sans qui l’eusse réellement voulu à la démocratisation de l’Amérique du Sud et du bloc Est. Sans mener une guerre qui serait fatalement « nucléaire ». On comprend dès lors « pourquoi la misère, la pauvreté, le chômage, le désespoir et la violence que l’endettement engendre sont accoucheuses de l’histoire. » Et tout compte fait, l’endettement mondial était « un mal nécessaire ». Dans le sens que rien ne vient de rien, tout a une cause, et toute cause a un sens.

Et cette vision fait partie du mode de pensée medjdoubien, du nom de l’auteur qu’il a donné à sa vision du monde, dans le sens que le monde qui est en perpétuelle évolution est un état imposé par la transcendance. Ce qui en fait un troisième principe fondateur de ce mode de pensée. (12)

 

 7. La parenthèse des années 1990 : l’âge d’or américain

 

  Combien même l’Occident détient les monnaies internationales, combien même il peut mieux évoluer parce qu’il est le créancier du monde, il ne peut éviter lui aussi d’être rattrapé par la crise de l’endettement. Quand près de la moitié de l’humanité est endettée, garrotée par l’endettement, il est évident que la croissance économique occidentale ne pouvait que décélérer. Les restrictions en liquidités occidentales avaient fortement « restreint l’absorption mondiale ». Il s’en est suivi une baisse de débouchés pour l’économie occidentale et une forte augmentation du chômage, en Europe, aux États-Unis, dans les années 1980. Seuls les pays de l’Asie du Sud-Est asiatique qui ont profité des délocalisations du Japon et des États-Unis et du faible coût de la main d’œuvre ont continué à prospérer, et encore moins qu’avant le contrechoc pétrolier de 1986. La Chine a emboîté le pas à ces pays dès le début des années 1980, s’ouvrant elle aussi aux investissements étrangers. Cette conversion de la Chine au « socialisme de marché » aura plus tard de graves répercussions mondiales, nous y reviendrons.

Pour comprendre la situation économique des années 1990, il faut au préalable rappeler quelques séquences historiques. Tout d’abord, une guerre économique avait déjà opposé le Japon à l’Occident dans les années 1970. Une guerre qui a forcé le Japon à se tourner vers ses voisins asiatiques pour se créer des débouchés pour son industrie (délocalisations, bénéfice du bas coût de la main d’œuvre de ces pays, etc.). Les accords de Plaza, en 1985, à New York, qui ont permis un atterrissage du dollar en douceur, ont fortement affecté le Japon, dans commerce extérieur. La réévaluation du yen a encore accentué les délocalisations, les joint-ventures avec ses partenaires asiatiques, surtout avec la Chine. Malgré ces échanges soutenus en Asie, le Japon, premier créancier du monde et deuxième économie mondiale, n’arrivait toujours pas à trouver un optimum pour son économie après 1985. Les délocalisations, les partages de dividendes avec ses partenaires, les investissements massifs opérés en Occident et dans le monde n’ont pu rehausser la croissance du Japon. Forcé de se replier sur son marché intérieur, à la fin des années 1980, l’économie mondiale étant en berne, dérégulant son économie et ses finances, le Japon s’est progressivement transformé en « économie-casino ». Comme cela s’est opéré pour les États-Unis à partir en 1927 et la crise qui fit irruption en 1929, le Japon dans un sens certes beaucoup moindre fit l’expérience de l’Amérique des années 1930. Il n’eut pas de chômage massif comme cela fut pour les États-Unis. Cependant, depuis la crise immobilière et financière en 1991, le Japon ne s’est toujours pas remis. Malgré les mesures contra-cycliques prises par la Banque du Japon (taux d’intérêt faible voire nul, plans de soutien à l’économie), la croissance demeure atone.

Un processus récessif a aussi touché les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni en 1991. Une année après, c’est au tour de l’Europe d’entrer en récession, jusqu’à 1993. Le monde entier attendait qu’une reprise vienne de la locomotive américaine. Précisément la reprise économique finit par venir, d’ailleurs assez rapidement. Plusieurs facteurs l’expliquent.

Le premier fut l’Asie où des centaines de millions d’hommes à bas salaires et à bonne capacité technologique se sont engagés dans des processus d’industrialisation rapide. En Chine, en Inde, en Europe de l’Est, en Russie et en Amérique latine. Malgré l’endettement, jamais sans doute les perspectives économiques globales n’ont été aussi meilleures. On peut même dire que l’endettement de ces pays et les programmes d’ajustement structurel du FMI qui ont suivi ont été « salvateurs » puisque l’essoufflement des pays riches du Nord a fini par se compenser par la montée de ces nouveaux pôles industriels dans l’économie mondiale.

 Les délocalisations se sont accentuées dans les pays du Nord, et ont visé particulièrement la Chine et, dans une moindre mesure, l’Inde, l’Amérique latine, l’Europe de l’Est et la Russie. Les pays asiatiques étaient atteints d’une « boulimie de liquidités internationales ». Dopée aussi par la révolution des nouvelles technologies qui requérait des liquidités internationales considérables, ce à quoi répondaient la première puissance du monde, l’Europe et le Japon. La reprise économique s’étendit progressivement au monde entier.

En conséquence, la reprise mondiale n’a pas été le fait de la puissance américaine ou des autres pays occidentaux (Europe, Japon) bien qu’ils aient joué un « rôle crucial de locomotive sur le plan monétaire » et sur l’« absorption des richesses » créées par les pays du reste du monde. La reprise a été surtout le fait de la dynamique enclenchée dans les pays de l’ex-Tiers monde et de l’ex-bloc Est. Grâce à la libéralisation politique, à la libéralisation financière, et donc des mouvements de capitaux et des délocalisations, la Chine, l’Inde, la Russie et d’autres pays hors-Occident sont devenus « des pays émergents, concurrençant les pays du Nord ». Il faut dire aussi que dès qu’un pays occidental s’engage dans un type d’échange, comme celui de localiser des firmes dans des pays à bas salaires où il est plus rentable pour lui de le faire, et y trouve un avantage compétitif, les autres pays occidentaux sont obligés de le suivre, sinon à fermer leurs entreprises industrielles, dépassées et non rentables par la concurrence internationale, donc vouées à disparaître. En Occident, ce sont des zones industrielles entières qui ont fermé. Des ports entiers que l’auteur de ces lignes a visités ne fonctionnent plus, ils sont sous gardiennage. L’activité industrielle s’est effondrée.

 On comprend pourquoi un cycle économique vertueux s’est enclenché aux États-Unis, en Europe et dans le monde, malgré le transfert de pans industriels entiers vers l’Asie et le reste du monde. Beaucoup n’ont pas hésité à qualifier la période 1993-2000 d’« âge d’or américain ». Et c’était compréhensible, en raison des richesses matérielles de tous genres importées par les États-Unis en provenance du reste du monde, ce qui a permis une accumulation d’excédents commerciaux chinois, japonais et arabes et leurs placements sur les marchés financiers occidentaux, en particulier américain. Par excès de capitaux, les valeurs de la Nouvelle technologie ont explosé à Wall Street. Une partie de ces mêmes dollars que la première puissance du monde émettait lui revenaient via les valeurs financières (actions, obligations, bons de Trésor) achetées par le reste du monde, pour financer ses déficits commerciaux. Ceux-ci, s’accumulant, faisaient croître sa dette publique. L’Europe et le Japon n’étaient pas en reste pour le financement de leurs dettes publiques bien qu’à un niveau moindre.

 Que peut-on dire de l’âge d’or américain ? Que « l’endettement des pays du reste du monde et son pendant, la libéralisation économique et financière, ont été en fin de compte positifs » puisqu’ils ont permis de lever les barrières qui empêchaient le chemin de la croissance de ces mêmes pays endettés et non endettés comme la Chine (qui a été pragmatique dès 1979, en ouvrant son économie à l’instar de ses prédécesseurs, les dragons asiatiques). Que les délocalisations en Asie et les formidables liquidités internationales injectées par les pays occidentaux dans l’économie mondiale, issues des déficits extérieurs, conjuguées à la révolution technologique et la formidable absorption qui a suivi dans le monde, surtout aux États-Unis et en Asie, ont permis cette période de faste, que l’on a appelé d’âge d’or pour l’Amérique, mais au fond, il a concerné pratiquement l’ensemble du monde. Il a aussi concouru au désendettement. Mais le monde ne va pas rester sur cet acquis, il va de nouveau être affecté par des crises.

 

 8. Conclusion de la première partie

 

 Si l’âge d’or s’est terminé en 2000, avec le krach des valeurs technologiques, un autre âge faisait son entrée. Celui-ci va rebattre les cartes du monde. En effet, le monde reposait jusqu’à cette date sur les trois grandes puissances financières et monétaires occidentales : les États-Unis, l’Union européenne et le Japon. Cependant, avec la mutation du monde, dans les années 1990, la disparition de l’Union soviétique qui a fait place à la Russie, la montée en puissance de la Chine, l’envol du Brésil et d’autres pays latino-américains et asiatiques, constituent un pôle qui pèse désormais dans le commerce mondial. L’Occident doit compter avec cette nouvelle force qui bouleverse l’équilibre économique mondial. Et c’est dans le Groupe des vingt (G20), créé en 1999 où se réunissent les ministres, les chefs d’Etats et les chefs des Banques centrales qu’ils tentent de favoriser la concertation internationale, compte tenu du poids croissant pris par les pays émergents. Mais il demeure cependant que la concertation est difficile du fait de la rivalité des puissances dans les parts de marché dans le commerce mondial, et d’autre part, chaque partie cherche sa prééminence, pour les uns, une revanche historique, pour les autres, à maintenir le statu quo hérité de la fin de la guerre froide.

Depuis la récession aux États-Unis, en 2001, suite au krach boursier de 2000 à Wall Street, la situation économique mondiale est marquée par de grandes incertitudes. L’Union européenne s’est élargie en 2004, passant de 15 États à 25 États, en 2004. Le Japon n’arrive toujours pas à dépasser les effets de la formidable crise immobilière et financière de 1990-1991. L’Occident tente de trouver une issue, face à cette émergence de grandes puissances industrielles, pour, à défaut de perpétuer son leadership sur le monde, du moins à limiter l’ascension de ces puissances montantes. Ce faisant, il limite son déclin. Mais la situation est critique. Comment renverser la vapeur lorsque la deuxième puissance économique du monde, à l’époque, reste toujours plombée par la déflation ? Les grands pays riches, confrontés à cette montée en puissance de nouveaux pays industrialisés, « les pays émergents  », doivent prendre conscience qu’une véritable concertation s’impose pour un partage équitable dans la production de la richesse mondiale. Ce qui ne va pas sans heurt. Le chômage, faut-il rappeler, augmente fortement en Occident, alors que le reste du monde qui a bénéficié massivement des délocalisations connaît une forte hausse de l’emploi. Le déséquilibre est là, compte tenu de la désindustrialisation de l’Occident au bénéfice du reste du monde. Quelle solution à cette situation ?

Que fait l’Occident pour parer à cette situation qui lui est préjudiciable ? La guerre menée que les États-Unis a menée contre l’Irak, depuis 1991 est là pour rappeler que de grands enjeux se jouent au Moyen-Orient. Surtout, à partir de 2000 lorsque le président irakien Saddam Hussein a rejeté le dollar, et exigea la facturation de ses exportations pétrolières contre nourriture en euro. Une décision qui a été avalisée par le Conseil de sécurité. Une telle situation était inacceptable pour l’Amérique restée seule première puissance du monde. Elle remettrait en question le privilège exorbitant du dollar. D’autant plus que l’Union européenne avait lancée en janvier 1999 sa monnaie unique, l’euro. Une monnaie qui apparaissait comme concurrente au dollar américain. Une monnaie qui a 50 ans d’histoire depuis le traité de Rome, en 1957. C’est dire que le monde changeait.

La question qui se pose comment les États-Unis vont regagner la suprématie monétaire dès lors que l’Irak a de son côté fait pièce à l’architecture monétaro-financière pensée dans les années 1970, mais aussi remise en question d’une part, par la nouvelle monnaie européenne, l’euro, et d’autre part, par la poussée de la Chine et la Russie au Moyen-Orient, pour précisément faire pièce au système monétaire mondial, dominé par le dollar.

Pour revenir au préambule de cette analyse, et qui est la question essentielle visée par ce rappel historique des forces économiques, financières et monétaires dans le monde, qu’en est-il de l’économie mondiale depuis les formidables injections monétaires menées par la Fed américaine et la Banque centrale européenne, depuis 2008, pour sauver les économies occidentales ? Le système financier occidental est-il sorti de la crise ? Peut-on aujourd’hui dire que ce système sur qui repose l’ensemble des économies du monde a dépassé la crise de 2008 ? Si réellement la crise a été dépassée, alors pourquoi depuis le contrechoc pétrolier qui a commencé dès l’été 2014, les cours du pétrole restent toujours bas ? Un contrechoc qui nuit aussi au privilège exorbitant du dollar, et dans une moindre mesure au privilège des autres grandes monnaies occidentales.

Comment alors peut-on appréhender la conjoncture économique mondiale depuis que les plans d’austérité en Occident se sont étendus au reste du monde ? D’autant plus que la baisse des cours du prix du pétrole a fortement affecté la demande mondiale, ce qui se répercute sur la croissance mondiale.C'est la question que nous allons aborder dans la deuxième partie de notre analyse.

 

 

Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.
www.sens-du-monde.com

 

Notes :

1. HISTOIRE DE LA DETTE PUBLIQUE DEPUIS 1815
http://france-inflation.com/dette_publique_france_depuis_1800.php

2. Tableau de l'inflation en France avec inflateur cumulé depuis 1901
http://france-inflation.com/inflation-depuis-1901.php
http://fr.tradingeconomics.com/france/inflation-cpi

3. « L'endettement des pays riches s'envole, le FMI s'affole », par Challenges.fr, le 8/11/2012
http://www.challenges.fr/economie/20121107.CHA2748/l-endettement-des-pays-riches-s-envole-le-fmi-s-affole.html

4. « 2015 : quels chocs pour faire bouger l’Europe ? », par Thomas Piketty, directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris. 29 décembre 2014
http://www.liberation.fr/futurs/2014/12/29/2015-quels-chocs-pour-faire-bouger-l-europe

5. Dette publique des États-Unis
http://fr.tradingeconomics.com/united-states/government-debt-to-gdp
Dette publique du Japon
http://fr.tradingeconomics.com/japan/government-debt-to-gdp
Dette publique de la France
http://fr.tradingeconomics.com/france/government-debt-to-gdp

6. France, États-Unis, Japon – Taux d’inflation
http://france-inflation.com/inflation-depuis-1901.php
http://fr.tradingeconomics.com/united-states/inflation-cpi
http://fr.tradingeconomics.com/japan/inflation-cpi http://fr.tradingeconomics.com/germany/inflation-cpi

7. États-Unis – Taux d’intérêt
http://fr.tradingeconomics.com/united-states/interest-rate

8. États-Unis – Taux de chômage
http://fr.tradingeconomics.com/united-states/unemployment-rate

9. Historique Taux de change
http://fxtop.com/fr/historique-taux-change.php?

10. États-Unis, France, Italie, Japon, Allemagne – Taux de croissance annuel du PIB
http://fr.tradingeconomics.com/united-states/gdp-growth-annual

http://fr.tradingeconomics.com/france/gdp-growth
http://fr.tradingeconomics.com/japan/gdp-growth
http://fr.tradingeconomics.com/germany/gdp-growth
http://fr.tradingeconomics.com/italy/gdp-growth

11. Nouvelle Revue Internationale (NIRI, N°3, mars 1989), Jean Ziegler, membre du Bureau de l’Internationaliste socialiste 

12. « Misère, Régression, Guerres et Progrès de l’Humanité. Mode de Penser Medjdoubien sur la Dynamique du monde », par Medjdoub Hamed. 26 Novembre 2014
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/misere-regression-guerres-et-159921

« La raison humaine, « confrontation de deux existences, de deux intelligences » ? Mode de penser medjdoubien sur l’humain », par Medjdoub Hamed. 29 Novembre 2014

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-raison-humaine-confrontation-de-160084

 


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3 réactions à cet article    


  • Daniel Roux Daniel Roux 24 mai 2017 10:54

    L’article est bien trop long pour être lu avec l’attention qu’il mérite.

    L’auteur a sans doute estimé que les lecteurs ignoraient tout de l’histoire économique et s’est employé à comblé cette ignorance.

    Ambition louable mais peu récompensée. Ceux que cela intéresse savent déjà tout ça. Ceux que cela n’intéresse pas, ne liront pas l’article. Reste ceux qui se découvrent un intérêt soudain pour l’économie. L’article est pour eux.

    Ce qui serait intéressant mais que nous ne sauront pas, c’est qui décide de ces politiques monétaires sophistiquées, prenant en compte non seulement la réalité économique mais aussi, son avenir.

    Admettons qu’il est peu probable que Nixon ait compris ce que signifiait l’abandon de la convertibilité du dollar : le financement de l’économie par la dette jusqu’à un point de rupture forcément catastrophique. Seuls les initiés, c’est à dire les banquiers qui contrôlent la FED, en tirent de juteux profits mais à quel prix pour le reste de la population.

    La guerre entre les riches et les pauvres a pris un tournant décisif à ce moment et seuls les riches le savaient.

    Sinon, pour bien comprendre le but des QE successifs, il faut comprendre que l’endettement public et privé, se monte aujourd’hui, à plus de 300% du PIB mondial. Imaginez la catastrophe que constituerait l’augmentation des taux d’intérêts de quelques pourcents et multipliez par 2 ou 3.

    Pour conclure, n’oubliez pas que si le crédit crée et entretien l’expansion économique et l’inflation, le remboursement des dettes conduit logiquement à l’inverse.

    C’est tout ce que redoute les banquiers centraux et les rares hommes politiques qui comprennent quelque chose. Eux savent que tout est pire qu’en 2008, l’endettement, la surpopulation et les tensions entre les blocs.


    • Hamed 24 mai 2017 21:34

      @Daniel Roux

       

      Par contre, vous dîtes « le financement de l’économie par la dette jusqu’à un point de rupture forcément catastrophique. » Non, il n’est pas catastrophique. Une dette qui ne coûte rien, sinon un jeu d’écriture et l’Amérique a beaucoup de moyen pour dégonfler sa dette publique. 

      Quant à « Seuls les initiés, c’est à dire les banquiers qui contrôlent la FED, en tirent de juteux profits mais à quel prix pour le reste de la population. », je ne regarde pas cet aspect qui est microéconomique, alors que je raisonne en macroéconomie mondiale, en termes de croissance pour les différents versants de l’économie mondiale, en termes d’emplois, de croissance, d’inflation, de guerre de monnaies qui est une forme de guerre de chômage.

       

      Pour les QE et l’endettement public et privé et ce que vous avez affirmé, vous n’y êtes pas du tout. Je vous dis plutôt consolez-vous et dîtes merci à la Fed américaine et à la BCE, parce que ces fameux QE sont un endettement équivalent paradoxalement aussi à une forme de désendettement progressif du moins jusqu’à une certaine limite suffisante pour les États-Unis de se sentir moins dépendant de leurs dettes qu’ils ont envers le reste du monde, en particulier envers la Chine. Je ne peux pas vous l’expliquer mais si vous lirez la deuxième partie ou troisième, je ne peux pas vous dire si je terminerais le développement dans la suite prochaine de l’analyse, vous comprendrez pourquoi Mario Draghi et Janet Yellen, leurs staffs et ceux qui étaient avant eux sont très forts. Ils se sont endettés en émettant des liquidités pour se désendetter. Etrange non, et cela n’est compris. C’est pour cela que Européens et Américains doivent dire merci aux banksters du monde.

       

      En clair, ils désendettent les États-Unis, l’Europe sans oublier bien sûr le Japon. Ce qui est positif...

       

      Voilà, je sais que c’est difficile à comprendre. Mais c’est comme çà et pas autrement.

      Cdl

       


    • Hamed 24 mai 2017 21:32

      @Daniel Roux

      Merci Daniel pour la réponse,

       

      Je suis sincèrement heureux si tous les lecteurs ou du moins une grande partie avaient une bonne connaissance de l’histoire économique mondiale. Comme vous dîtes « Ambition louable mais bien récompensée si mon analyse n’a été qu’un rafraichissement d’événements économiques passés ». A mon sens l’article est pour tous pour peu qu’ils s’intéressent.

      Cela est vrai l’article est très long, j’en conviens, mais il me fallait commencer par le départ de l’économie mondiale qui déjà se mondialisait si l’on peut dire puisqu’elle imbriquait les autre continents via la colonisation.

       

      Et à votre question, et elle est très pertinente « Ce qui serait intéressant mais que nous ne saurons pas, c’est qui décide de ces politiques monétaires sophistiquées, prenant en compte non seulement la réalité économique mais aussi, son avenir. » Et c’est cela le plus intéressant, c’est que l’on commence à le savoir. Certains diront les banksters, d’autres diront l’oligarchie financière mondiale, d’autres encore diront le lobby juif mondial, ou encore le Capital mondial, etc., et tout cela est vrai. Sauf qu’il y a des lois de la « nécessité ». Cela devait être, c’est ainsi et pas autrement, tel est le processus économique, financier et monétaire nécessaire mondial. Capital mondial ou lobby financier juif mondial, c’est une dialectique que je pourrais dire inévitable, implacable, impossible d’en échapper du devenir-monde. Tout le monde est dans ce processus « banksters et nakstérisés ».

       

      Vous dîtes « Admettons qu’il est peu probable que Nixon ait compris ce que signifiait l’abandon de la convertibilité du dollar »,je vous répondrais peut-être qu’il n’était pas très ferré en économie, mais il comprenais que l’Amérique n’ayant pas assez d’or pour convertir les dollars, il devait forcément suspendre la convertibilité. C’était une question vitale pour l’Amérique.

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