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La photographie, une arme politique & sociétale encadrée par la loi

La fondatrice du collectif « Urgence notre police assassine » a été interpellée le mercredi 7 juin 2017 après avoir été aperçue en train de photographier une intervention policière à Meaux (Seine-et-Marne), et placée en garde à vue aux motifs de : « divulgation d’un enregistrement obtenu par une atteinte à l’intimité de la vie privée et rébellion ». Ce phénomène de société pose un problème enchevêtré, si la prise de vue peut contribuer à la manifestation de la vérité, elle peut aussi être utilisée pour inciter à la vengeance, voire faciliter un acte criminel, et rien ne prouve que l'image numérique n'a pas été retouchée... Est-on face à une réalité ou à une représentation tendancieuse de celle-ci ?

L'acte photographique ou le « réflexe » de photographier n'a cessé de se développer et d'évoluer dans notre quotidien avec l'irruption des « Smartphones ». En 2001, Nokia sortait le premier téléphone mobile avec appareil photo intégré, on était alors loin d’imaginer que n'importe quel individu allait pouvoir se «  faire pruner » (se faire photographier à son insu). Les possesseurs d'un appareil numérique allaient très rapidement prendre conscience de la possibilité à rendre compte de l’actualité en diffusant leurs images en temps réel. L'instantanéité allait venir remplacer le talent du photographe. Ces images de mauvaise définition et mal cadrées semblent alors plus fiables et plus crédibles que les tirages sur papier glacé. La possibilité, la photo prise, de la mettre en ligne immédiatement sur Periscope, Facebook Live, etc., ou de la poster à n'importe qui, va être à l'origine d'une nouvelle presse. Des anonymes vont s'improviser « photo journaliste citoyen » ou « snaparazzo », mot construit sur «  snap » (instantané) et celui de paparazzo, du nom d'un photographe qui tourne autour d’Anita Ekberg et Marcello Mastroianni Vitti, qui se déplace en Vespa dans le film de Federico Fellini la Dolce Vita.

Le droit de photographier est limité et encadré par le droit portant sur la protection de la vie privée et de la propriété intellectuelle. Font partie de la sphère privée : les problèmes de santé - la vie familiale - les relations sexuelles - les convictions religieuses - les opinions politiques - les procédures de divorce - les deuils - les détails d’une opération de chirurgie esthétique. La divulgation : d’une adresse personnelle, d’un numéro de téléphone, de l’identité réelle d’une personnalité peuvent faire l’objet de poursuites devant un tribunal. Le magazine VSD a été condamné en 1994 à 15.244 euros de dommages et intérêts pour avoir publié au lendemain de la Saint Sylvestre, le contenu des poubelles de la famille Grimaldi. Par contre, certains actes liés à l’actualité ne sont pas protégés : mariage, enterrement, prestation de serment.

Tout un arsenal législatif encadre la liberté d'expression et l'atteinte à la vie privée. La loi du 29 juillet 1881 dresse à l'encontre de la presse et au fil de ses 25 articles les interdits qui vont : de l'offense au Président de la République et à ses homologues étrangers (offense commise publiquement), au fait de révéler l'identité des fonctionnaires de la police, en passant par les injures dirigées contre la mémoire des morts.

En France, le droit à l'image est un des plus restrictifs, il permet à n'importe quel individu de contester la publication d'une photo. Le droit au respect de la vie privée est inscrit dans le code civil depuis la loi du 17 juillet 1970 et dans l'article 226-1 du Code pénal : «  Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui :

1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;

2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé.

Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé. »

Il convient de faire cependant un certain nombre de distinctions, celles concernant les personnes publiques ou privées - le lieu de la prise de vue (privé ou public) - et l'activité de la personne (publique, privée, ou professionnelle). Une personne publique peut très bien se trouver dans un lieu public à titre privé. D'autre part, certains lieux publics clos nécessitent une autorisation de photographier : musées, châteaux, églises, gares, aéroports, hôpitaux, réserve naturelle, parc national, réserve de chasse, etc. D'autres font l'objet d'une interdiction : salle d'audience, terrains ou matériels militaires. Si les prises de vue dans un lieu public permettent une certaine liberté d'action, il faut différencier les lieux publics par destination qui ont un propriétaire. Le droit de la liberté d'expression et d'information n'autorise pas qu'un photographe puisse s'introduire dans un lieu privé sans une autorisation de ses propriétaires. Peu importe si l'intrusion n'est pas physique, ce principe vaut pour un photographe qui utilise un téléobjectif ou un drone. Dès cet instant, il se rend coupable d'atteinte à la vie privée.

L'article 226-8 à propos de l'atteinte à la représentation de la personne : «  Est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l'image d'une personne sans son consentement, s'il n'apparaît pas à l'évidence qu'il s'agit d'un montage ou s'il n'en est pas expressément fait mention.

Lorsque le délit prévu par l'alinéa précédent est commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. »

Il est interdit au nom de la présomption d'innocence de publier l'image d'une personne menottée ou participant à une reconstitution judiciaire (secret de l'instruction). Il reste préférable, en général, que la personne photographiée ne constitue pas l'objet principal de la photographie. La personne ne doit pas être individualisée, ce qui revient à faire une photo de groupe ou d'ambiance. En aucun cas la personnalité ne doit être mise en premier plan. Certains photographes ont invoqué le fait que la personne n'avait émis aucune objection et qu'ils avaient opéré de façon visible de l'individu. Les tribunaux ont jugé et condamné les photographes sur le principe de l'absence de consentement. S'il s'agit d'un lieu privé, l'autorisation est indispensable, même pour une photo de groupe. En ce qui concerne les personnages publiques (hommes d'affaires, politiques, etc.), leur vie publique et vie privée sont parfois intimement liées. C'est là tout le paradoxe du débat. Où commence la vie privée et où se termine la vie publique. La vie privée cède seulement le pas devant l’exigence de l’information d’intérêt général pour le citoyen. En conséquence, la prise de vue d'un policier instrumentant sur la voie publique est possible, sauf s'il s'agit de fonctionnaires appartenant à la lutte antiterroriste ou au contre-espionnage, services énumérés dans l'arrêté du 27 juin 2008.

La circulaire du 23 décembre 2008 stipule : « Les policiers ne peuvent donc s’opposer à l’enregistrement de leur image lorsqu’ils effectuent une mission. (...) Il est exclu d’interpeller pour cette raison la personne effectuant l’enregistrement, de lui retirer son matériel ou de détruire l’enregistrement ou son support  ». Quel que soit le lieu où l'on se trouve, public, privé ou semi-privé, tout un chacun ou chacune peut s'opposer à être pris en photo. Si le photographe refuse de s'exécuter et que la personne désire obtenir la destruction du cliché, elle devra en passer par la justice. La destruction ne peut être ordonnée que par un tribunal. L'article 226-6 : «  Dans les cas prévus par les articles 226-1 et 226-2, l'action publique ne peut être exercée que sur plainte de la victime, de son représentant légal ou de ses ayants droits. »

La restriction de prise de vue ne s'applique pas seulement à l'encontre des individus, elle s'applique également en matière de protection des droits d'auteur. Vous ne pouvez en principe, publier la photo d'une maison sans le consentement de son propriétaire ni de l'architecte. Cependant, la photographie n'existe qu'à partir du moment où elle montrée ou publiée. Celle-ci demeure la propriété du photographe, pour autant que la prise de de vue n’a pas été illicite. L’acheteur n’acquiert que le droit de propriété du document et non le droit d’exploitation qui restent réservés.

En principe, la photographie n'existe matériellement que lorsqu'elle est tirée ou diffusée. Les policiers : « ne peuvent par ailleurs s’opposer à l’éventuelle diffusion de cet enregistrement que dans certains circonstances particulières. (...) La liberté de l’information, qu’elle soit le fait de la presse ou d’un simple particulier prime sur le droit au respect de l’image ou de la vie privée dès lors que cette liberté n’est pas dévoyée par une atteinte à la dignité de la personne ou au secret de l’enquête ou de l’instruction.  » 

Rappelons qu'à tout moment, les appareils numériques peuvent être examinés à titre de contrôle par les services de police, de la gendarmerie et des douanes. Ces derniers sont habilités à exiger la présentation des factures. Il y a encore quelques années, l'utilisateur d'un appareil de prise de vue opérant en dehors du spectre visible (infrarouge), se devait de solliciter une autorisation délivrée par le ministère de l'intérieur, cette autorisation valable pour une durée de trois années pouvait être suspendue à tout moment. Ces textes sont tombés dans l'oubli avec la démocratisation de capteurs sensibles aux infrarouges, et l'article classant ce matériel dans la catégorie de matériel de guerre a été abrogé en avril 2015.

La prise de vue par des membres appartenant aux forces de l'ordre relève de l'article L241-1 du Code de la sécurité intérieure : «  Dans l'exercice de leurs missions de prévention des atteintes à l'ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens ainsi que de leurs missions de police judiciaire, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent procéder en tous lieux, au moyen de caméras individuelles, à un enregistrement audiovisuel de leurs interventions lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l'intervention ou au comportement des personnes concernées.

Les enregistrements ont pour finalités la prévention des incidents au cours des interventions des agents de la police nationale et des militaires de la gendarmerie nationale, le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves ainsi que la formation et la pédagogie des agents.

Les caméras sont portées de façon apparente par les agents et les militaires. Un signal visuel spécifique indique si la caméra enregistre. Le déclenchement de l'enregistrement fait l'objet d'une information des personnes filmées, sauf si les circonstances l'interdisent. Une information générale du public sur l'emploi de ces caméras est organisée par le ministre de l'intérieur. Les personnels auxquels les caméras individuelles sont fournies ne peuvent avoir accès directement aux enregistrements auxquels ils procèdent. Les enregistrements audiovisuels, hors le cas où ils sont utilisés dans le cadre d'une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, sont effacés au bout de six mois. »

 

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1 réactions à cet article    


  • jacques 17 juin 2017 18:30

    ça a l’air de vous réjouir ?

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