Lettre ouverte à Benoit Hamon
Monsieur Hamon, la gauche a besoin de vous, le pays à besoin de vous, nous avons besoin de vous. Votre maintien dans la vie politique pourrait constituer une excellente nouvelle. Avant de vous expliquer pourquoi j’emploie le conditionnel, je dois vous dire quelques vérités difficiles à entendre.
remièrement, vous n’êtes ni un bon candidat ni un bon stratège politique. À la sortie des primaires, vous aviez tout pour remporter la présidentielle : une forte légitimité, des sondages qui vous créditait d’un spectaculaire transfert d’électeurs insoumis (vous faisant pointer à 18 %) et un boulevard avec le ralliement des Verts, la droitisation de Macron et les trahisons de Valls et compagnie qui vous permettaient de conjurer pour de bon l’héritage de Hollande. Vous disposiez du second plus gros budget de campagne (le double de la France Insoumise), du poids de l’appareil du PS et surtout, le poids des médias qui appelaient tous au désistement de Mélenchon en votre faveur, et enfin vous avez bénéficié du plus long temps d’antenne de tous les candidats. Tous ces atouts auraient dû vous permettre, au minimum, de finir dans le trio de tête.
Pourtant, Jean Luc Mélenchon a progressivement refait son retard dans les sondages, vous conduisant à réaliser le pire score de l’histoire du parti socialiste. Pourquoi ?
Vous avez commis de nombreuses erreurs stratégiques. Vous avez refusé de tourner la page Valls/El Khomri et poursuivi les arrangements politiques (avec les Verts) sans aucun résultat. Vous auriez dû trancher entre la droite et la gauche du PS. Vous avez refusé de prendre le risque de faire imploser votre parti… et avez ironiquement précipité sa chute.
Pire, lorsqu’il est devenu évident que vous n’étiez plus dans la course, vous avez fait campagne contre Mélenchon. Pas contre Le Pen, pas contre Macron, mais contre Mélenchon. Sur la place de la république, vous avez été plus loin que de critiquer les positions de l’insoumis sur Poutine et Bachar (des positions pourtant pragmatiques que Macron a également adoptés), vous avez usé de caricature, d’amalgame et d’attaques personnelles en dépit du fameux « pacte de non-agression ». Qui sait, vos mots ont peut-être dissuadé certains électeurs de voter pour le candidat de la France Insoumise. Vous auriez pu finir à 5.1 % et Mélenchon serait passé devant Marine Le Pen. Nous aurions eu un vrai second tour. Mais non, il vous fallait assurer les 5 % pour éviter la faillite financière du PS, faillite qui arrivera de toute façon puisque vous proposez à présent de dynamiter ce qui reste du parti. Voyez-vous à quel point vous êtes à contrecourant ? À quel point vous provoquez précisément ce que vous cherchez à éviter ?
Vous êtes un mauvais stratège qui n’apprend pas de ses erreurs. Est-ce votre égo qui vous empêchait de saisir la main tendue par Jean-Luc Mélenchon aux législatives ? Au lieu de rassembler la gauche en le rejoignant, vous l’avez de nouveau divisée. Il s’en est fallu d’un cheveu pour que la France Insoumise ne soit pas en capacité de constituer un groupe à l’assemblée. Une assemblée sans opposition, est-ce comme cela que vous souhaitiez rassembler la gauche ?
C’est mon premier point, vous n’êtes ni un bon candidat ni un bon chef politique. Vous manquez d’audace, de clairvoyance, de capacité à apprendre de vos erreurs. Vous semblez condamné à les reproduire indéfiniment.
Vous expliquiez à Médiapart que votre défaite est en partie due à des causes externes. C’est vrai, et je vais vous en donner deux. Elles sont difficiles à entendre, mais elles doivent être entendues pour progresser.
La première concerne votre capacité à vous exprimer. Vous êtes un porte-parole exécrable. J’ai regardé vos interventions lors des débats, aux primaires, à la présidentielle, chez Ruquier et Pujadas. Des heures d’antenne en prime time. Et je me tapais sans cesse le front contre ma télécommande, car vous êtes incapable de porter un discours de gauche. Je vous donne deux exemples.
Sur le revenu universel, pas une fois je ne vous ai entendu poser les évidences : il s’agit de déconnecter travail et emploi. C’est la base absolue. Ensuite, il y a deux arguments contre le revenu universel : ça coute cher et sa créerait des assistés. Le premier point peut être contourné en contredisant le second. Le revenu universel rapporte, car les gens travaillent plus, sont plus productifs une fois qu’on déconnecte leur revenu de leur travail. Sans oublier les innombrables effets indirects sur la santé, la sécurité, l’éducation… Les études abondent, même les ultralibéraux comme Gasapard Koening le disent sur tous les plateaux : le revenu universel augmente la productivité.
À la place, vous vous êtes enfermé sur les questions de financement tout en réduisant le RU à la théorie qui voudrait que les robots remplacent les travailleurs. Mélenchon balaye cette hypothèse avec une phrase : dans son programme, il faut des bras pour faire de l’agriculture bio, mettre des éoliennes en mer et mieux soigner les Français.
En clair, vous avez fait énormément de mal à la cause du revenu universel, au point que le MFRB s’en arrache les cheveux !
Second exemple. Pendant les débats, les journalistes posaient uniquement des questions de droite. Combien ça coute, comment vous le financez, et la dette, et la compétitivité, et la croissance… à aucun moment vous n’avez été capable de sortir du cadre imposé. Par exemple, dans le débat à cinq, la question sur l’éducation était formulée sous l’angle du prétendu échec scolaire. Vous êtes tombés dans le piège. Vous avez endormi tout le monde avec une réponse longue et technocratique. Jean Luc Mélenchon à l’inverse, a commencé par réfuter la notion d’échec scolaire, pour ensuite vanter les mérites de l’éducation publique française qui forme les meilleurs ingénieurs de la planète. Puis il a affirmé des valeurs de gauche, ses valeurs : égalité des chances, éducation publique. C’est à partir de ce débat que vos courbes de sondages se sont inversées, et pour cause. Vous défendez les idées de gauche à travers le prisme de droite. Ça ne fonctionne pas !
La deuxième raison de votre échec tient dans votre programme. Il est rigoureusement incohérent. Je suis désolé de devoir vous le dire en termes aussi crus, mais vous proposiez exactement les mêmes choses que Hollande en matière d’Europe et d’économie. Regardez Macron, lui assume l’austérité et les réformes structurelles voulues par Bruxelles et Berlin. A-t-il obtenu le moindre début de concession de l’Allemagne sur un budget européen, un parlement de la zone euro ? Non !
Voilà votre incohérence : on ne peut pas mener une politique de progrès social et écologique dans l’Europe libérale. Au moins Mélenchon semble l’avoir intégré. Vous non. Vous vous entêtez à vouloir sauver les services publics et investir dans la croissance verte sans remettre en cause les traités budgétaires. Vous déplorez la loi travail et les pesticides sans remettre en cause la construction européenne. Vous mentez au français, y compris sur la 6e république que vous ne considérez que comme une réforme constitutionnelle, sans proposer de constituante.
Pour toutes ces raisons, vous avez échoué. Vous êtes incapable de sortir du cadre néolibéral, ni idéologiquement, ni rhétoriquement, ni politiquement.
Pourtant, vous avez su créer l’enthousiasme chez un certain nombre d’électeurs. Votre message a réveillé de nombreuses sensibilités de gauche endormies par cinq ans de hollandisme. Votre voix porte.
Personne n’est indispensable, ni Macron, ni Marine Le Pen, ni Mélenchon, ni vous. Mais vous pouvez faire beaucoup pour la gauche.
Vous pouvez être le pont entre le PS et la France Insoumise. N’essayez pas d’exister entre Macron et Mélenchon, seules l’incohérence et la polémique le peuvent. Existez avec lui. Ne divisez pas encore plus la gauche. Au contraire, ramener vers elle les nombreux socialistes un peu effarouchés par les ardeurs de Mélenchon et l’impertinence des Insoumis.
L’idéal serait que vous rejoignez la France Insoumise. Que vous en deveniez un des principaux représentants hors de l’assemblé. Et pourquoi pas un candidat majeur aux municipales, par exemple à la Marie de Paris !
Je doute que votre égo et votre manque de caractère vous permettent de réaliser un tel geste historique.
Alors, au minimum, placer votre mouvement sous le signe de la coopération avec la France Insoumise, une sorte de tremplin, rien de plus. Pas pour occuper un espace imaginaire et faire de nouveau 6 % dans cinq ans, lorsque le candidat insoumis aura besoin de vos électeurs et de votre crédibilité pour l’emporter sur Le FN et Macron. Qui de mieux que vous, avec votre image d’homme calme et apaisant pour propulser les tumultueux insoumis vers la victoire et les Français vers la sixième république ?
Après les gauches irréconciliables, n'inventez pas les gauches incompatibles.
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