Le politiquement correct a tué les orateurs
Où sont les orateurs ? Les bons, les grands, les puissants ? Ceux qui nous remuaient tripes et âme, qui nous émerveillaient, qui nous ensorcelaient, qui nous charmaient ?
Ceux qui parlaient à notre tête et à notre cœur. Qui nous emportaient, qui nous transportaient.
Où sont-ils ? Car nous avons beau les chercher, nous ne les trouvons pas, ou si peu.
Dès l’antiquité, l’art oratoire est élevé au rang d’art majeur avec de grands maîtres comme Démosthène ou Cicéron. Dans le Gorgias, Platon nous dit que l’orateur est plus fort que le médecin puisqu’il saura, par la seule puissance de son art, convaincre le malade d’aller se soigner, là ou le médecin échouera, et cela, sans même ne rien connaitre à la médecine. Négligé au moyen âge sinon par les religieux, l’art oratoire renait à la Révolution Française qui accouchera de grands orateurs : Mirabeau, Danton, Robespierre….
Par la force du verbe, ces hommes sauront emporter et entrainer avec eux des foules entières, souvent sceptiques.
Mais il va se passer quelque chose en 1885 ; quelque chose d’important.
Jules Ferry supprime la rhétorique des classes d’enseignement. Nous sommes 15 ans après la Commune, on se méfie des tribuns, le peuple ne doit pas apprendre à bien parler. Il n’en a pas besoin.
Sous les 3èmes et 4 èmes républiques, nous avons encore de grands orateurs : Jaurès, Philippe HENRIOT et sous la 5ème , le dernier peut être, le général De Gaulle.
Si Cicéron nous dit pourtant « L’éloquence n’est pas sortie de la rhétorique, c’est la rhétorique qui est sortie de l’éloquence » nous savons tous que sans méthode, sans travail et technique, pas d’orateur, le talent seul ne peut suffire.
Ces grands orateurs nous ont pourtant laissé des méthodes, des techniques, certains nous ont livré leurs secrets, et nous devrions, tels des « nains sur leurs épaules de géants », forts de leur savoir- faire et de leur art si abouti, aller au moins aussi haut, aussi loin, pour qui en aurait l’envie, l’énergie et le talent.
Mais nous n’y sommes pas, et pour cause. Ce qui nous manque, ils l’avaient et nous ne l’avons plus.
C’est la liberté. La liberté de dire, la liberté de nommer, la liberté de parler, qui n’est jamais que la liberté de penser puisque nous pensons avec des mots.
Le politiquement correct s’est insinué sournoisement dans notre société. Tout droit venu d’Amérique, il était plein de bons sentiments et de bonnes intentions, de belles promesses, il ne fallait blesser personne, ne stigmatiser personne, ou alors on était un sans-cœur, un barbare, un malotru, un fasciste.
Un terrorisme intellectuel s’est peu à peu insinué dans les têtes et dans les cœurs. Pire que la censure, l’auto- censure est venue nous gendarmer. Il ne faut plus dire « gros » mais « obèse » et mieux encore ne pas parler des obèses ou seulement pour en parler bien. Et cela pour tant d’autres catégories :
Les femmes, les handicapés, les noirs, les clochards, les homosexuels, les chômeurs, les immigrés, les vieux, les autistes, les riches, les élites….
Une élite déconnectée et illégitime a jeté ainsi de nombreux tabous, dans la société. Et quand il fût impossible de ne pas nommer tant le problème était grand, on a renommé, autrement. On ne dit plus un voyou mais un jeune, un clochard est un SDF, un plan de licenciement est renommé…. plan social…. La liste est longue.
Parce que nos faiseurs d’opinion sont tétanisés par des questions qu’ils ne savent résoudre, ils manipulent les mots, les changent, et nous interdisent le parler fort, le parler juste, le parler vrai qui est toujours le propre des grands orateurs.
Certains nous diront qu’il existe encore de grands orateurs, et tout un chacun de nous citer Jean-Luc Mélenchon. C’est peu s’y connaitre. La grandiloquence n’est pas l’éloquence et Jean-Luc Mélenchon ne convainc que ceux qui sont acquis à sa cause ou vaguement sympathisants. Face à un public hostile, il ne touchera personne, là ou l’orateur véritable touchera car il aura une sincérité vraie entachée de nulle entrave, de nul calcul, de nul interdit. Amoureux de la vérité, même si elle lui déplait, il saura aller la chercher, même au fond du puits, et par la même, saura nous arracher notre reconnaissance et notre émotion pour avoir pris tant de risques.
D’autres nous diront, le problème n’est pas là, un orateur est un grand lecteur avant tout, il puise dans une large culture que plus personne ne possède ni ne veut acquérir de nos jours.
C’est juste, mais un orateur lettré aurait tout autant les mains coupées puisqu’il n’aurait le droit d’exprimer toute sa pensée si celle-ci disconvenait.
Céline nous dit que le public veut du drame, du cru, et du sang, il veut être remué, il veut que l’auteur ose ce que lui n’ose pas. Il veut du pathos mais du pur et du vrai, du senti et du vécu.
Aujourd’hui nous avons du pathos qui est l’art de toucher et d’émouvoir, mais c’est un faux pathos, dégoulinant de bons sentiments, un pathos de tartuffe, un pathos qui dit : « voyez comme je suis bon, voyez comme je suis grand, j’aime tout le monde ».
Le politiquement correct est l’apologie de l’hypocrisie et du mensonge, le culte de l’absence d’esprit critique.
L’émotionnel et le compassionnel sont devenus les alibis de nos faiblesses et de nos renoncements.
Ne doutons pas que derrière l’engouement fort et nouveau pour l’art oratoire se cache surement le besoin de retrouver la liberté d’expression confisquée.
http://bienparler.fr/articles/politiquement-correct-a-tue-orateurs/
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