Le miracle portugais recto-verso...
Qui l’eût cru ? Le Portugal est en passe de devenir un nouvel Eldorado pour les alternatifs en quête d’un second souffle militant. Les indéniables difficultés traversées par les gouvernements « populistes » en Amérique latine ont, en effet, privé ces milieux, que l’on qualifiera un peu vite d’altermondialistes, d’un contre-modèle à opposer à l’idéologie néolibérale dominante
Après Caracas, Lisbonne pourrait devenir La Mecque de tous ceux qui sont aujourd’hui en quête d’ « un autre monde ». Les observateurs les plus ironiques souriront évidemment à l’idée que la jeunesse révoltée se tourne vers un gouvernement de front populaire dans lequel la socialdémocratie joue un rôle prépondérant. Mais, après tout, pourquoi pas ? Chaque génération a les exotismes qu’elle peut.
Ni la Révolution ni la résignation
Cependant, on encouragera tous ceux qui s’appuieront sur ce qui se passe à Lisbonne pour contester l’ordolibéralisme de la Commission européenne à ne pas idéaliser la situation portugaise. On gardera donc une saine distance critique avec les évènements en tâchant de repérer la liste des défis qui ne manqueront pas de se poser à l’économie portugaise à court et moyen terme. Auparavant, on examinera la liste des bonnes nouvelles en provenance du Portugal. Alors qu’en 2011, le pays était au bord de la banqueroute, Lisbonne affiche aujourd’hui des performances plus qu’appréciables. En effet, le Portugal est sorti de la procédure pour déficit excessif en mai de cette année. Le déficit du Portugal est ainsi tombé sous la barre fatidique des 3%. Le moins que l’on puisse dire est que cet indéniable succès tient à une forme affirmée de résistance face aux diktats austéritaires du ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, qui s’est couvert de ridicule lorsqu’à l’été 2016, il promettait un nouveau et douloureux plan de sauvetage au Portugal si ce dernier cessait de respecter ses engagements1 . A cette époque, le Portugal, tout comme l'Espagne, était dans le collimateur de la Commission européenne pour avoir laissé filer son déficit tout au long de l’année 2015. Mais le Brexit avait mis une pression maximale sur la Commission européenne. Cette dernière, vu ce contexte si particulier, avait fini par renoncer à son projet initial d’infliger de lourdes amendes aux deux pays de la péninsule ibérique. Le « dérapage » qui s’est produit au Portugal a des origines clairement politiques. En l’occurrence, il s’agit de l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement exclusivement composé de sociaux-démocrates mais ne disposant pas d’une majorité au parlement. Ce gouvernement minoritaire a bénéficié d’un soutien extérieur de la part des élus de la Coalition démocratique unitaire (CDU), cartel électoral résultant de l’alliance entre le Parti Communiste portugais avec les Verts, et des parlementaires du Bloco de Esquerda (Bloc de gauche). Ce soutien s’est traduit par la mise en œuvre d’une série de micro-ruptures avec l’ordre austéritaire au pouvoir aujourd’hui en Europe. A l’époque, le gouvernement d’António Luis Santos da Costa a financé une relance du pouvoir d'achat des ménages portugais. Cette politique de relance avait pour fondements la revalorisation des prestations sociales ainsi qu’une diminution de la charge fiscale pesant sur les salaires. Rien de bien révolutionnaire apparemment. Il faut toujours se méfier des apparences car le gouvernement Costa ne disposait pas spécialement de marges de manœuvres importantes lorsqu’il est arrivé aux affaires. Les marchés financiers étaient, en effet, aux abois alors que le président conservateur de la république, Anibal Cavaco Silva, avait tout fait pour discréditer l’action du gouvernement Costa en présentant la coalition de gauche comme incohérente et incapable d’apporter une solution satisfaisante aux problèmes du pays. De surcroît, l’exemple de la Grèce était là pour prouver qu’une politique de confrontation avec la Commission européenne n’aboutirait à rien2 . Trouver une via media entre la Révolution et la résignation revêtait donc un caractère de nécessité absolue pour le gouvernement Costa. Situation en demi-teinte Le Portugal est, en effet, un pays qui connaît de profonds déséquilibres macroéconomiques. La question des dettes, privées comme publiques, y reste particulièrement étouffante. En 2006, la dette publique du Portugal s’élevait à 133% du PIB. En soi, un tel chiffre ne veut a priori rien dire. Par exemple, la dette publique du Japon s’élève à 246,6% du PIB3 . Mais cela ne pose aucun problème puisque cette dette est largement financée par de l’épargne intérieure. Cette configuration particulière met à l’abri la dette publique nipponne d’attaques spéculatives. Tel n’est évidemment pas le cas du Portugal qui ressemble davantage à une nation périphérique devant recourir à l’endettement extérieur pour se financer. C’est ainsi que la dette publique de Lisbonne est détenue à un peu plus de 65% par des investisseurs non-résidents4 .
C’est une première faiblesse. Elle est, hélas, loin d’être la seule. Voir sa dette détenue majoritairement par des non-résidents n’est pas forcément problématique. Le cas de la France s’avère, de ce point de vue, particulièrement emblématique. Fin 2016, 56% de la dette publique française était détenue par des non-résidents. Cet état de choses laisse pourtant peu de place à de mauvaises surprises pour l’économie française. En effet, les ménages hexagonaux disposent d’une épargne abondante que l’on peut considérer comme un volant de liquidités permettant, le cas échéant, de refinancer la dette publique française sur une base davantage locale. Et c’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer sans drame à pas feutrés, de manière imperceptible donc structurelle (donc forcément décisive) puisqu’à la fin de l’année 2015, le taux de détention de la dette publique de long terme du Trésor français par des nonrésidents était de 59%5 . Cela signifie qu’entre 2015 et 2016, le taux de détention de la dette française par des locaux a augmenté. L’évolution de cette variable est particulièrement spectaculaire si l’on envisage les choses à moyen terme. En 2009, le taux de de détention de la dette publique hexagonale par des non-résidents égalait les 70%6 . Un pays comme le Portugal ne jouit guère de telles possibilités. Ce pays ne se caractérise pas du tout par une épargne privée abondante. Au contraire, la dette privée s’y situe à des niveaux impressionnants (143% du PIB en 2015) 7 . La faiblesse de l’épargne mobilisable au sein de l’économie lusitanienne saute aux yeux lorsque l’on cherche à définir la position du pays en termes de solvabilité, c’est-à-dire en mesurant la différence entre le volume de la dette et la valeur des actifs qu’elle a servi à financer. Pour cette variable, le Portugal présentait une déficience structurelle de -113,2% du PIB en 20138 . Il s’agit là d’une donnée particulièrement défavorable qui fragilise profondément l’économie du Portugal, un des pays les moins bien classés pour cette variable en Europe.
Une liste de défis longue comme le bras
Une des conséquences de cet état de chose est que l’Etat portugais ne peut guère compter sur les acteurs locaux pour s’autofinancer. Les bases de données d’Eurostat ne permettent pas, pour l’heure, de disposer plus récentes que celles arrêtées en 2013. Nous doutons toutefois que le récent retour de la croissance ait permis d’améliorer cette situation hautement problématique. Par ailleurs, le regain de la croissance économique au Portugal n’a pas grand-chose à voir avec un modèle d’accumulation offrant des perspectives rassurantes sur le long terme. En effet, la politique de baisse des salaires réels, a, après avoir ravagé les structures de l'économie portugaise, davantage ouvert le pays tant et si bien que « les exportations représentent désormais 40% du PIB portugais contre 27% avant la crise. Le retour de la croissance chez le voisin espagnol tire les exportations et la croissance de Lisbonne vers le haut. [De plus], la faiblesse de l'euro favorise les ventes de produits portugais désormais fort bon marché en dehors de la zone euro ». 9
Par conséquent, l’économie portugaise repose de plus en plus sur la conjoncture interne de ses partenaires commerciaux au détriment d’éléments plus directement endogènes. Cette tendance s’inversera inexorablement en cas d’appréciation prolongée de l’euro. Ceci n’incite évidemment guère à l’optimisme béat. Parallèlement, le secteur bancaire portugais ne rassure guère non plus. Chacun garde en mémoire l’épisode durant lequel le gouvernement portugais a, en 2014, dû intervenir à hauteur de 4,4 milliards d'euros en faveur de Banco Espirito Santo avant que cette dernière ne soit divisée entre une structure saine (Novo Banco) et une structure de défaisance pour les actifs toxiques. C’est peu dire que le secteur bancaire portugais continue de montrer des signes de faiblesse. En décembre 2015, le gouvernement portugais venait à la rescousse de Banco Internacional do Funchal (BANIF). A l’époque, Lisbonne mettait en œuvre un plan de sauvetage de 2,2 milliards d’euros avant de séparer, comme cela avait été le cas avec Banco Espirito Santo, les actifs toxiques du reste du bilan bancaire. Les actifs sains ont été cédés au groupe espagnol Banco Santander pour un montant de 150 millions d’euros. C’était la deuxième opération de sauvetage bancaire au Portugal en mois de 18 mois10 . En mars de cette année, la première banque du pays, la Caixa Geral de Depósitos (CGD), était sauvée par le gouvernement. CGD, détenue à 100% par l’Etat portugais depuis 1993, est déficitaire depuis 2011. Le plan de sauvetage avalisé par la Commission européenne prévoyait une recapitalisation pour plus de 4 milliards d’euros milliards. Dans un premier temps, le gouvernement portugais a, en janvier 2017, pratiqué un jeu d’écritures en portant sa participation directe dans le capital de Parcaixa, une filiale du groupe, au capital de CGD. Montant de l’opération : 500 millions d’euros. Ensuite, Lisbonne a mis en œuvre une conversion pour 945 millions d’euros de la dette de CGD auprès du Trésor portugais. Enfin, le gouvernement Costa a injecté du cash dans le capital de CGD pour 2,7 milliards d’euros. Pour autant, la situation des banques portugaises est encore loin d’être assainie pour l’heure. Le Portugal affiche un taux de créances douteuses de 20% pour le Portugal contre 4% en France et 2,7% en Allemagne11 . On comprend que dans ces conditions, les agences de notation ne sont pas vraiment désireuses de relever la note sur la dette souveraine du Portugal12, ce d’autant que la dette publique de Lisbonne s'est encore alourdie l'an dernier. Voilà qui explique pourquoi l’administration Costa s’est engagée à faire glisser son déficit à 1,5% du PIB en 2017 en visant l’équilibre à l’horizon 2020. Il est vrai que la croissance du pays rend possible cette orientation sans toucher à la fragile et toute relative amélioration des conditions de vie des travailleurs portugais. Par contre, si la conjoncture vient à se dégrader pour la zone euro, le gouvernement Costa continuera-t-il à afficher cette volonté de réduction des déficits, quitte, dans ce cas, à mettre en péril les acquis fragiles de ces derniers mois ? Qui vivra verra…
1 O Observador, édition mise en ligne du 29 juin 2016.
2 The Guardian, édition mise en ligne du 25 novembre 2015.
3 OCDE, juin 2017.
4 Eurostat, janvier 2016.
5 Banque de France, Stat Info, Émission et détention de titres français au 31 décembre 2016, 13 avril 2017.
6 Guillaume Leroy, Qui détient la dette publique ?, Fondapol, avril 2011, p.16.
7 OCDE, data base, juin 2017.
8 Eurostat, juin 2017.
9 La Tribune, 27 août 2015. De ce point de vue, l’appréciation de l’euro, si elle devait persister, pourrait jouer un mauvais tour à l’économie portugaise.
10 Financial Times, édition mise en ligne du 21 décembre 2015.
11 Autorité Bancaire Européenne, avril 2017. Pour compléter ce tableau, l’Autorité bancaire européenne fait état d’un taux de créances douteuses en Italie et au Portugal supérieur à celui des autres pays européens. 16,4% pour l’Italie, 20% pour le Portugal contre 4% en France et 2,7% en Allemagne.
12 Les Echos, édition mise en ligne du 16 juin 2017.
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