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Accueil du site > Tribune Libre > Détruire, dit-il

Détruire, dit-il

Ce qui est vraiment bien avec Emmanuel Macron, c’est qu’il enfourche avec autorité des idées reçues. Ainsi cette idée de la « destruction créatrice ». Cela fait des années que des troupeaux d’ « économistes » la proclament. Et ils s’en vont la bêler sur les médias où les invitent d’autres chiens de garde, des « journalistes ». Tous les moyens sont bons pour diffuser une telle grande idée, pour l’inculquer dans la tête des gens. Cette révélation, nous assurent ces cuistres, nous la devons au prophète Schumpeter.

Et certains, plus informés que d’autres, vont jusqu’à nous apprendre que ce prophète autrichien est venu sur Terre pour en réfuter un autre, un faux prophète rhénan, juif allemand, très barbu : Karl Marx. D’autres encore affirment sans rire qu’il aurait procédé à une synthèse très habile du libéralisme et du socialisme. De plus audacieux encore suggèrent tout simplement qu’il a justifié le système capitaliste pour l’éternité.

Cette formule, « destruction créatrice », voudrait passer pour ingénieuse et novatrice. Mais les idéologues « libéraux » auraient tort de s’en servir à l’excès. C’est un oxymore astucieux, certes. Il aurait pu venir sous la plume d’un Hegel pour dire  : « Rien ne se perd, tout se transforme » ; ou dans un commentaire de l’Internationale pour signifier  : « Du passé, faisons table rase ».

Plus récemment, on a vu un banquier nommé à la tête de l’Etat français la balancer sans retenue pour justifier une « destruction raisonnable » du code du travail. Mais il n’est pas certain que cette opinion soit si largement partagée.(1)

 

On pourra y voir aussi une définition du capitalisme : « la destruction créatrice de la planète ». Mais il n’est pas certain que Schumpy ait vu si loin. Son oxymore revient une douzaine de fois dans son livre Capitalisme, socialisme et démocratie, paru en anglais pendant la seconde Guerre Mondiale (1942). Le chapitre 7 porte en effet ce titre : Le processus de destruction créatrice. Mais il est le troisième d’une seconde partie intitulée Le capitalisme peut-il survivre ? Et les chapitres qui la terminent ont des titres aussi évocateurs que : Les murs s'effritent, L'hostilité grandit et Décomposition. En réalité, Schumpy écrit son livre pour défendre le capitalisme, dans un moment où il considère avec effroi la venue inéluctable du socialisme.

Il en était tout autrement dans un livre plus ancien publié en allemand avant la première Guerre Mondiale : Théorie de l’évolution économique (1911). Ce livre était tout à la gloire de l’entrepreneur, mais il était contraint d’y évoquer les crises qui émaillaient un système si parfait que le système entrepreneurial. Lui échappait alors cette formule savoureuse : « La crise serait alors simplement le processus par lequel la vie économique s'adapte à de nouvelles conditions. » (2)

La destruction créatrice serait donc pour lui une forme d’innovation, une façon plus sexy de rebaptiser cette crise qui pourrait être mal comprise par des gens mal informés.

Et puisque Schumpy s’est efforcé de se confronter à Marx (il lui consacre le prologue de son livre en 1942), on pourrait noter que la notion de destruction créatrice tient chez les sectateurs du premier une place comparable à la dictature du prolétariat chez les adeptes du second.

Et si on peut reprocher à Marx d’avoir forgé un mythe du prolétariat comme héros historique, il n’échappe à personne que nous vivons aujourd’hui dans un monde où règne le mythe de l’entrepreneur, héros dont la mission historique est de bouleverser le monde.

 

C’est cela au fond la mondialisation ou la globalisation.

Le cuistre Macron qui se prend pour Jupiter et prétend maîtriser les symboles risque de les reprendre en pleine gueule. Le 6 septembre, il a voulu faire une déclaration solennelle et a fait une déclaration surprenante :

« Il est trop tôt pour faire un bilan chiffré. Je peux d'ores et déjà vous dire que ce bilan sera dur et cruel, nous aurons à déplorer des victimes »

Sur son pupitre était écrit « Ouragan IRMA ».

http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/ouragan-irma-le-bilan-sera-dur-et-cruel-declare-emmanuel-macron-978347.html

Se souvenait-il alors que Joseph Alois Schumpeter décrivait le processus de destruction créatrice comme un « ouragan perpétuel »  ?

 

La destruction créatrice de la planète est en marche. Une minorité de propriétaires pense avoir sous la main les technologies pour échapper aux catastrophes qui frapperont la majorité ; se construire des paradis et des havres de paix à l’abri des éléments perturbateurs (qu’ils soient naturels ou sociaux) : se faire cryogéniser ou cloner pour survivre à la destruction du monde.

 

 

1. Voir dans le Canard Enchainé du 06/09/2017 (pourtant peu suspect d’une hostilité à Macon) le billet de Jean Luc Porquet : La destruction créatrice vous salue bien.

2. « Il n'est pas douteux que le phénomène des crises doit avant tout être rangé dans la sphère de l'économie. Mais il n'est pas sûr qu'il appartienne à l'essence de l'économie ou même seulement à une forme quelconque de l'économie, ce qui voudrait dire qu'il résulterait forcément de l'action des facteurs de l'économie abandonnés à eux-mêmes. Il serait au contraire très possible que les causes véritables des crises se trouvent en dehors de la sphère de la pure économie, que les crises soient les conséquences de perturbations économiques dont l'origine serait extérieure à l'économie. La fréquence et même la régularité souvent affirmée des crises ne seraient pas en soi un facteur décisif, car il se peut que de telles perturbations se produisent nécessairement souvent dans la vie pratique. La crise serait alors simplement le processus par lequel la vie économique s'adapte à de nouvelles conditions. »

 


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5 réactions à cet article    


  • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 16 septembre 2017 13:33

    Schumpeter pensait que le capitalisme ne pouvait se perpétrer que grâce à l’innovation due à « l’esprit des entrepreneurs » qui ferait sa force. 


    Or, ce que génère l’évolution mécanique de l’économie capitaliste, ce sont les grandes entreprises, les multinationales qui non seulement étouffent toute velléité d’imagination, mais s’organisent autour des cadres gestionnaires, des experts et des bureaucrates, conduits à raisonner en fonction de leur carrière, d’un revenu personnel conséquent et régulier et de leurs privilèges dans une société inégalitaire. 

    Ils sont donc en réalité incapables de prendre des risques comme dans le modèle proposé par Schumpeter dont les théories ne sont qu’une justification idéologique de la prédation.

    • Fergus Fergus 18 septembre 2017 10:45

      Bonjour, Jeussey de Sourcesûre

      « le capitalisme ne pouvait se perpétrer »

      Amusant et révélateur lapsus : il fallait évidemment lire « perpétuer » au lieu de « perpétrer ». Sauf à vouloir exprimer l’idée que le capitalisme est une forme de crime contre l’humanité. Ce qui n’est pas forcément faux, du moins dans ses formes dérégulées si chères aux ultra-libéraux.


    • Fergus Fergus 18 septembre 2017 10:52

      @ Jeussey de Sourcesûre

      Schumpeter était un théoricien dont les idées ont été dévoyées. Il en est allé de même avec les
      théories marxistes : elles aussi ont été dévoyées.

      Il est résulté de tout cela une société de citoyens anesthésiés par la doxa dominante et dirigée par une petite minorité d’individus cyniques dont l’avidité n’a pas de limites.


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