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Européennes 2019 : le retour enfin aux listes nationales (2/2)

« Cette consultation, eu égard aux compétences du Parlement Européen, n’a pas pour objet de dégager une majorité de gouvernement. Dans ces conditions, le législateur a estimé souhaitable de faire en sorte que toutes les sensibilités politiques puissent être représentées au Parlement de Strasbourg. Le choix de la représentation proportionnelle répond à un tel objectif, auquel un seul correctif a été apporté : l’exclusion de la répartition des sièges des listes n’ayant pas obtenu au moins 5% des suffrages exprimés évite un émiettement excessif au profit de formations politiques d’audience trop marginale. » (Nicolas Sarkozy, exposé des motifs, le 29 janvier 2003). Seconde partie.


Dans le précédent article, j'ai évoqué les modes de scrutin en général et expliqué la réforme du 11 avril 2003.


Pourquoi revenir aux listes nationales ?

Revenons à l’objectif des élections européennes : il pourrait alors s’agir de permettre à l’Europe d’être gouvernée et on pourrait alors me dire que le scrutin proportionnel n’est pas adéquat. Pourtant, il n’en est rien. Car comme je l’ai écrit, l’Union Européenne n’est pas une structure supranationale. De plus, le Parlement Européen n’est pas seulement divisé en autant de groupes politiques que voulus par les électeurs européens, mais aussi en autant de nations d’origine.

Les décisions du Parlement Européen, depuis près de quarante ans, n’ont donc jamais été prises "à la majorité" rejetant près de la moitié de ses membres dans l’opposition (comme au Parlement français), mais dans un processus de consensus, principalement établi par un accord conclu autour des deux plus grands partis (PPE et sociaux-démocrates) représentant aujourd’hui, à eux deux, déjà 54% des sièges (405 sièges sur 751). Cette culture du consensus, habituelle en Allemagne ou en Italie, est totalement étrangère à la culture politique française qui fonctionne par majorité et opposition (comme du reste, les Britanniques qui s’en vont).

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Dès lors que le reproche d’éloignement du député européen n’a pas de réponse vraiment satisfaisante sauf à organiser un scrutin majoritaire de type national, il est ainsi plus cohérent et plus visible politiquement de revenir à un scrutin proportionnel à listes nationales.

Comme pour toutes les réformes électorales, il y a les raisons officielles et officieuses.


L’intérêt de LREM

Passons d’abord aux arrière-pensées politiques qui existent comme toujours. Il est évident qu’un parti aussi nouveau que LREM, avec une implantation locale très faible (on l’a vu aux élections sénatoriales du 24 septembre 2017), a tout à gagner à nationaliser le scrutin européen, d’autant plus que le manque de cadres intermédiaires du parti rend difficile la désignation de plusieurs têtes de listes pouvant assurer un réel leadership territorial. La nationalisation du scrutin réduirait ainsi l’enjeu à un choix entre Macron et les autres. Un choix sans doute simplificateur mais très lisible pour l’électorat.

On prête à Emmanuel Macron la volonté de vouloir bouleverser le paysage politique par l’explosion de tous les partis politiques traditionnels. Je sais qu’on ne prête qu’aux riches, mais notons que l’explosion des deux principaux partis de gouvernement, le PS et LR, ne doit rien à Emmanuel Macron qui n’a fait que bénéficier des retombées. Ces explosions sont les conséquences du très mauvais quinquennat de François Hollande d’une part (pour le PS), et de l’effondrement de la candidature de François Fillon d’autre part (pour LR). La désignation d’un autre candidat LR aurait probablement préservé LR de cette explosion actuelle.

Cependant, Emmanuel Macron en profite et on lui prête aussi la volonté de plus rien y avoir entre lui et l’extrême droite et entre lui et l’extrême gauche. Comme à gauche, le travail est déjà achevé, l’attention devrait donc se porter exclusivement sur sa droite. Il a déjà largement commencé à cisailler LR, en nommant Édouard Philippe à Matignon. Emmanuel Macron est du reste très populaire même dans l’électorat LR.

Ainsi, s’il proposait la tête de liste LREM à une personnalité connue d’origine LR, Emmanuel Macron continuerait à déstabiliser durablement les électeurs LR (même François Baroin a considèré il y a quelques mois qu’Emmanuel Macron pourrait être le meilleur candidat de la droite à l’élection présidentielle de 2022 !). C’est avec cette arrière-pensée qu’il faut peut-être comprendre l’adhésion le 26 novembre 2017 de l’ex-député LR Thierry Solère à LREM, alors qu’il n’a obtenu (encore) aucun ministère et que la logique aurait dû l’amener à faire partie d’un mouvement périphérique à LREM…


L’Europe dans un vrai débat public

Maintenant, prenons la justification qui ne manquera pas d’être affichée et que j’approuverai pleinement par ailleurs : le retour aux listes nationales permettrait un véritable débat national sur l’Europe.

En les régionalisant depuis 2004, ces élections européennes ne sont devenues que des sortes d’élections régionales pour recaser des candidats battus aux législatives. Le recasage existait déjà largement avec les listes nationales, bien sûr, mais ce serait aujourd’hui politiquement plus difficile de le faire que dans le contexte des années 1980.

Un débat national de grande envergure nécessite la participation de leaders nationaux. Or, les têtes des listes nationales entre 1979 et 1999 ont toujours été d’une grande pointure.

Évoquons deux choses sur la personnalité des candidats.

Premièrement, les candidats au poste de députés européens (pas tête de liste) étaient souvent soit des jeunes cadres de parti politique "pleins d’avenir" qu’on a poussés à ce poste de parlementaire, juste un tremplin avant un siège national (il y a une multitude d’exemples, j’en cite quelques-uns, Jean-Marie Valerenberghe, Damien Abad, Jean-Louis Borloo, Dominique Baudis, Bernard Bosson, Philippe Douste-Blazy, etc.) ; soit des "retraités" ou "rejetés", anciens ministres, anciens députés nationaux qui n’ont pas pu être réélus au scrutin majoritaire et qu’on voudrait "repêcher" (il y a une multitude d’exemples aussi, comme Michel Rocard, Vincent Peillon, Rachida Dati, Nadine Morano, Michèle Alliot-Marie, Brice Hortefeux, Pierre Moscovici, Benoît Hamon, etc.). Évidemment, je ne parle que des "grands partis" car pour les petits partis, le scrutin européen est le seul moyen d’avoir des élus parlementaires.

Deuxièmement, les têtes de liste. C’est un choix essentiel lorsque le scrutin est à listes nationales, car le débat public va tourner autour de ces têtes de liste. Mener une liste nationale est une responsabilité politique très importante. Elle a même rang qu’une candidature à l’élection présidentielle ou une candidature au poste de Premier Ministre (pas candidat a priori sauf en temps de cohabitation, mais plus généralement, leader de l’opposition ou leader de la majorité). Souvent, dans le passé (avant 2004 donc), les têtes de listes étaient les chefs de parti très influents.


Regardons l’historique des têtes de liste entre 1979 et 1999.

Personnes têtes de liste qui n’ont jamais été candidates à aucune élection présidentielle ni jamais Premiers Ministres (ni candidates éventuelles à ce poste) : Simone Veil (1979, 1984, 1989), Solange Fernex (1979), Jean-Jacques Servan-Schreiber (1979), Philippe Malaud (1979), Didier Anger (1984), Olivier Stirn (1984), Henri Cartan (1984), Francine Gomez (1984), Philippe Herzog (1989), André Goustat (1989), Dominique Baudis (1994), Bernard Tapie (1994), Francis Wurtz (1994), Marie-Anne Isler-Béguin (1994), Léon Schwartzenberg (1994), Charles Pasqua (1999), Daniel Cohn-Bendit (1999) et Bruno Mégret (1999). On s’aperçoit que la plupart de ces personnalités avaient, avant ou après le scrutin européen, une importance politique dans le débat public en général.

Personnes têtes de liste qui ont été candidates à l’élection présidentielle ou Premiers Ministres (avant ou après le scrutin européen) : François Mitterrand (1979), Jacques Chirac (1979), Georges Marchais (1979, 1984), Arlette Laguiller (1979, 1984, 1989, 1994, 1999), Huguette Bouchardeau (1979), Jean-Louis Tixier-Vignancour (1979), Jacques Cheminade (1984, 1989, 1994), Jean-Marie Le Pen (1984, 1989, 1994, 1999), Lionel Jospin (1984), Valéry Giscard d’Estaing (1989), Laurent Fabius (1989), Antoine Waechter (1989, 1999), Michel Rocard (1994), Philippe de Villiers (1994), Jean-Pierre Chevènement (1994), Brice Lalonde (1994), Daniel Gluckstein (1994), François Hollande (1999), Nicolas Sarkozy (1999), François Bayrou (1999), Robert Hue (1999) et Jean Saint-Josse (1999).

Plus généralement, lorsque le scrutin européen était nationalisé, les têtes de liste des partis gouvernementaux étaient donc de grosses pointures politiques. Ceci d’ailleurs à remarquer : à part Emmanuel Macron (pour l’instant), tous les Présidents de la République depuis 1979 ont été têtes de liste aux élections européennes, avant ou après leur élection à l’Élysée !


2019 pour préparer 2022 ?

Tous les partis sauf LR sont favorables au retour aux listes nationales. Quant à LR, à l’origine de la réforme de 2003, ce parti a proposé de profiter des grandes régions créées en janvier 2016 pour en faire de nouvelles circonscriptions électorales (mais elles seraient encore plus petites que les huit circonscriptions actuelles, donc l’effet majoritaire serait encore renforcé).

Vouloir revenir à un scrutin de listes nationales aux élections européennes, c’est vouloir remettre un débat européen au niveau national avec des "pointures" politiques. Pour l’instant, selon Nicolas Bay le 1er décembre 2017, Marine Le Pen aurait renoncé à mener la liste FN en 2019. Nul doute que ces élections européennes de 2019 seront, d’une manière ou d’une autre, un exercice qui ne pourra pas oublier l’élection présidentielle de 2022, car ce seront les seules échéances nationales directes entre 2017 et 2022 (si l’on exclut les élections sénatoriales de 2020 qui sont à scrutin indirect). Cela explique tout l'enjeu de ces élections européennes de mi-mandat pour Emmanuel Macron.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 février 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Enfin le retour aux listes nationales aux élections européennes (2 décembre 2017).
Le mode de scrutin des élections européennes (4 février 2013).
Le mode de scrutin des élections législatives.
Suicide à la proportionnelle intégrale.
Mode de scrutin des élections allemandes.
Mode de scrutin des élections britanniques.
Cumul des mandats.
Réforme des modes de scrutins locaux.
Réforme territoriale.
Le serpent de mer.
Le vote électronique.
Le vote obligatoire.
Non aux campagnes participatives !

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1 réactions à cet article    


  • Le421... Refuznik !! Le421 17 février 2018 17:17

    Ce que je note surtout, c’est que le temps de parole des différentes formations politiques va être fait à la sauce Jupiter.
    La propagande LREM va marcher à fond.
    Si on était moins cons, on leur filerais une belle tôle.
    Si.

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