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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Jeanne Moreau, la muse sensuelle du cinéma européen

Jeanne Moreau, la muse sensuelle du cinéma européen

« Dans un monde où le langage pour défendre les choses qui paraissent en danger est surtout un langage guerrier (…), j’ai l’impression d’être là pour arrondir les angles et calmer les esprits. Ayant connu les désaccords et redoutant les violences, j’ai un grand goût de l’harmonie. (…) Je ne sais pas ce qu’il y a d’essentiel dans le cinéma, mais c’est quelque chose qui regarde la liberté. Tant que cette liberté d’expression existe, malgré les dangers qui la menacent, le totalitarisme n’est pas possible. Dans les pays où il règne, il n’y a plus d’images, plus de chansons, il y a le silence. » ("Le Monde" le 17 mai 1995).

 

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Honorée de son vivant par une rétrospective de trente de ses films au célèbre MoMA (musée d’art moderne) de New York du 25 février 1994 au 18 mars 1994 ("Nouvelle vague and beyond"), elle avait conquis depuis longtemps la postérité dans de nombreuses institutions culturelles.

L’actrice Jeanne Moreau aurait eu 90 ans ce mardi 23 janvier 2018. Disparue en plein été l’année dernière, le 31 juillet 2017 à Paris, Jeanne Moreau a fait partie des merveilleuses femmes de l’histoire du cinéma français. Une femme d’une séduction folle. Sacha Distel, parmi d’autres : « J’ai craqué dès le premier soir. Il y avait de quoi. Jeanne était une sorte de tornade, l’amoureuse dont tout jeune homme rêve. ». Après avoir joué Véra Alexandrovna dans "Le mois à la campagne" de Tourgueniev, Jeanne Moreau est entrée comme pensionnaire à la Comédie-Française le jour de ses 20 ans, le 23 janvier 1948.

Fêtée lors de son 80e anniversaire le 6 février 2008 à la Cinémathèque française, Jeanne Moreau a obtenu les plus grandes distinctions du cinéma : elle a reçu le Prix d’interprétation féminine le 20 mai 1960 au 13e Festival de Cannes, un Molière de la comédienne le 2 mai 1988, un Lion d’Or d’honneur le 12 septembre 1992 au 49e Festival de Venise, un Ours d’Or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière le 20 février 2000 au 50e Festival de Berlin, un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière le 23 mars 1998 à Los Angeles, un César de la meilleure actrice le 22 février 1992 à Paris, deux Césars d’honneur le 25 février 1995 à Paris et le 22 février 2008 à Paris, et le 2 mars 2018 à la Salle Pleyel à Paris, lors de la 43e cérémonie des César, elle recevra un hommage de tous les professionnels du cinéma français (retransmis sur Canal Plus).

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La carrière de Jeanne Moreau a été très "productive" en films mais aussi en chansons. Entre 1949 et 2015, elle a joué dans près de 150 films au cinéma mais aussi à la télévision. Entre 1947 et 2011, elle a joué dans près de 60 pièces de théâtre. Et entre 1963 et 2010, elle a sorti six albums de chansons dont le dernier avec Étienne Daho. Son dernier album et sa dernière prestation à Avignon furent consacrés à un poème de Jean Genet à l’occasion de son centenaire (né le 19 décembre 1910).

Parmi ses films, "Les Amants", réalisé par Louis Malle et sorti le 5 novembre 1958, fut très controversé en raison de la dernière scène très dénudée représentant un adultère, avec une polémique sur sa projection au 19e Festival de Venise qui, le 7 septembre 1958, l’a finalement honoré du Prix spécial du jury et, pour Jeanne Moreau, du prix de meilleure espoir féminin.

En 1956, lors d’une représentation de la pièce "La Chatte sur un toit brûlant" (pièce de Tennessee Williams mise en scène par Peter Brook), où elle jouait le rôle très sensuel de Maggie au Théâtre Antoine à Paris, elle a rencontré le réalisateur Louis Malle qui l’a ensuite aimée et choisie comme l’héroïne de son grand succès "Ascenseur pour l’échafaud" (sorti le 29 janvier 1958) grâce auquel elle est devenue une véritable star du cinéma.







Avec sa petite allure de femme des faubourgs au tempérament trempé, de femme moderne qui a pu inspirer beaucoup d’autres femmes à l’époque (et d’hommes, aussi, mais pour d’autres raisons), elle fut décrite par Pierre Cardin en 2001 (voir plus bas) ainsi : « D’humeur toujours égale, avec l’intention de faire plaisir aux autres, elle reste fidèle en amitié. (…) Elle sait être lumière, soleil, calme comme neige mais parfois orage. Cigale plutôt que fourmi, être généreuse pour les autres, ce qui ne facilite pas toujours les lendemains. Elle est également très coquette, aimant la mode et c’est une joie pour moi de l’habiller. Jeanne aborde sans détour le sujet du sexe (…). Elle sait désirer mais sans accepter la possession et ressent le besoin de s’isoler pour se trouver. Mais dans ce tourbillon de vie, elle a le sourire du matin et le bonheur du soir et bien d’autres moments inoubliables… ».

Point de départ de sa vocation de comédienne, sa voix si reconnaissable et si rassurante est extraordinairement familière. Par exemple, on ne la voit pas dans "L’Amant", une adaptation du roman de Marguerite Duras (publié en 1984) réalisée par Jean-Jacques Annaud et sortie le 22 janvier 1992, mais elle est présente tout au long du film par la voix de la narratrice qui a été la raison en bonne part du succès de l’adaptation. Elle a fait ainsi le bonheur des imitateurs (en particulier Laurent Gerra).







Parmi les nombreux films dans lesquels elle a tourné, je propose de citer une biographie de Mata Hari, le film "Mata Hari, agent H21" réalisé par son ancien mari (entre 1949 et 1951) Jean-Louis Richard et sorti le 29 janvier 1965. Ce film, qui a été diffusé récemment sur Arte, fait intervenir Jeanne Moreau dans le rôle de Mata Hari, avec aussi Jean-Louis Trintignant (l’officier amoureux), Claude Rich (le chauffeur et précieux homme à tout faire), mort le 20 juillet 2017. On y voit aussi la magnifique Marie Dubois (morte le 15 octobre 2014) qui ne fut vraiment une star que depuis "La Grande Vadrouille" réalisé par Gérard Oury et sorti le 8 décembre 1966.







Il est intéressant de retrouver une vieille interview de Jeanne Moreau en 1964 pendant le tournage de "Mata Hari, agent H21" (la scène de son exécution). Elle y révéla qu’elle ne voulait pas suivre la réalité du personnage qu’elle jouait et que cela restait bien sûr une fiction. Cela fait penser à l’auteur de bandes dessinées Jean Tabary qui s’était toujours amusé à laisser son imagination galoper pour dessiner les costumes et les décors de ses albums "Iznogoud". Lorsqu’un film n’a pas la prétention d’une reconstitution historique, la fantaisie avec la réalité est toujours bienvenue dans une fiction.







Jeanne Moreau a toujours montré une exigence dans les choix de ses films et de ses rôles, si bien qu’elle a vécu beaucoup d’entreprises ambitieuses et novatrices au cours de sa carrière. Elle a joué avec de nombreux grands réalisateurs comme François Truffaut, Luis Bunuel, Bertrand Blier, Theo Angelopoulos, Michelangelo Antonioni, André Téchiné, Michel Deville, Wim Wenders, Jean Renoir, Jacques Doillon, Josée Dayan, Jacques Becker, Gilles Grandier, Denys de La Patellière, Jean-Luc Godard, Édouard Molinaro, Roger Vadim, Orson Welles, Jacques Demy, Marcel Ophüls, Tony Richardson, Philippe de Broca, Pierre Granier-Deferre, Joseph Losey, Henri Verneuil, Rainer Werner Fassbinder, Jean-Pierre Mocky, Luc Besson, Agnès Varda, François Ozon, etc.



Avec le succès de "Jules et Jim" (réalisé par François Truffaut et sorti le 23 janvier 1962) dans lequel elle avait joué et chanté "Le Tourbillon", elle se mit également à la chanson (surtout l’interprétation). "Le Tourbillon" fut d’ailleurs chanté par Vanessa Paradis le 17 mai 1995 pour l’ouverture du 48e Festival de Cannes pour rendre hommage à Jeanne Moreau, présidente du jury cette année-là, et cette dernière l’a rejointe sur scène pour chanter ensemble. Jeanne Moreau a aussi présidé le jury du 28e Festival de Cannes en mai 1975.

Parmi les œuvres chantées par Jeanne Moreau, on peut aussi citer "India Song" pour la bande originale du film sorti le 4 juin 1975 et réalisé par Marguerite Duras (à partir de sa pièce publiée en 1973 et issue de son roman "Le Vice-Consul" publié en 1966).







Présidente de plusieurs festivals (Cannes mais aussi Berlin, Glasgow, San Sebastian, New Delhi, etc.), elle fut reçue comme une déesse à Moscou en 1990 pour le tournage du film "Anna Karamazov" réalisé par Roustam Khamdamov (accueillie dans l’ancienne limousine de Staline).

Officier de la Légion d’honneur (en mai 1980), grand-officier de l’ordre national du Mérite (le 14 novembre 2012), commandeur des Arts et des Lettres (le 16 juillet 1985), Jeanne Moreau fut aussi la première femme élue à l’Académie des Beaux-arts le 29 mars 2000, au nouveau 7e fauteuil de la 7e section des créations artistiques dans le cinéma et l’audiovisuel, fauteuil créé le 8 juin 1998.

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Lors de sa réception le 10 janvier 2001, son ancien amant et nouveau confrère Pierre Cardin, qui lui a fait son costume d’académicienne, lui a rappelé qu’il l’avait habillée pour le film "Eva" réalisé par Joseph Losey et sorti le 3 octobre 1962 et qu’ils avaient voyagé souvent ensemble à Mexico, à Rio, à Venise, ou encore en Grèce : « À Paros, en débarquant sur l’île, nous nous laissions glisser dans le bonheur et nos deux corps nus, sur la plage au sable blanc, se reflétaient dans le grand miroir de la mer. ».

Elle a répondu : « Je sais être drôle, je vous l’assure. J’ai de l’humour, anglais en tout cas, mais mon goût inné pour les profondeurs et les passions humaines, mon attraction pour ceux dont la recherche rencontre la mienne, ont fait de moi la femme que je suis. ». Elle a terminé son discours en prononçant des alexandrins de Racine, le rôle d’Eriphile, dans la scène 1 de l’acte II de la tragédie "Iphigénie" (créée le 18 août 1674) qui lui a permis d’entrer au Conservatoire en 1947 comme auditrice et devenir la grande actrice qu’elle a été.

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Jeanne Moreau, sex symbol lors de ses jeunes années, n’a jamais caché son vieillissement, en continuant sans cesse à tourner, avec des rôles de dame d’un certain âge ou même de grand-mère. Elle se moquait de son âge parce qu’elle n’avait pas le temps : « Pourquoi avoir ce genre d’inquiétude alors que l’on dispose d’aussi peu de temps pour bien gérer le présent ? ». Formidable leçon philosophique !

Et la politique ? Sans concession. Le 17 mai 1995, après une campagne présidentielle toujours assez prenante pour les Français, Jeanne Moreau a lâché : « On a tendance à comparer les hommes politiques aux comédiens : il est bon, il a été mauvais. Moi, je trouve qu’on fait du tort aux comédiens en disant cela. Jouer la comédie, c’est incarner, devenir un autre. On ne demande pas ça à un homme politique, à un chef, qui, d’après ce que j’ai compris, doit surtout apprendre à devenir lui-même. » ("Le Monde").


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 janvier 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
"Le temps de la moisson", article de Danièle Heymann dans "Le Monde" le 17 mai 1995.
Georges Méliès.
Jeanne Moreau.
Louis de Funès.
Le cinéma parlant.
Charlie Chaplin.

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1 réactions à cet article    


  • Crab2 24 janvier 2018 10:08


    Le féminisme heureux

    C’est une toute petite femme très rousse, très maigre, de bientôt 90 ans, qui ne voit plus guère, mais demeure une boule de volonté, d’appétit de vivre, de parler cru et de drôlerie.

    https://laicite-moderne.blogspot.fr/2018/01/le-feminisme-heureux.html

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