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Smaïl Hamdani, un élégant patriote au long cours

 

7 février 2018

 

“Ceux qui, pieusement, sont morts pour la patrie/Ont droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie. Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau. Toute gloire près d'eux passe et tombe éphémère/Et, comme ferait une mère/La voix d'un peuple entier les berce en leur tombeau ! En vain l'oubli, nuit sombre où va tout ce qui tombe/Chaque jour, pour eux seuls se levant plus fidèle/La gloire, aube toujours nouvelle/Fait luire leur mémoire et redore leurs noms !”

Victor Hugo

 

Il y a un an, le 7 février 2017, Smaïl Hamdani était ravi à l’affection des siens et à la considération de celles et de ceux qu’il honorait de son amitié. On aura tout dit du riche parcours de Smaïl Hamdani, haut fonctionnaire diplomatique. Un digne haut fonctionnaire de l'État.

 Il était connu pour son érudition et son honnêteté intellectuelle. Smaïl Hamdani a commencé à occuper des postes de responsabilité dès 1962 dont le pays avait cruellement besoin. Il fut, notamment, secrétaire général adjoint à la présidence du Conseil, secrétaire général du gouvernement (1977-1979) ; secrétaire général du gouvernement, ayant le grade de ministre. (1980-1983). Ce diplomate de carrière a été plusieurs fois ambassadeur au Danemark, en Norvège et en Finlande (1983-1984), en Espagne (1984-1985) ; 1985-1989 : secrétaire général du ministère des Affaires étrangères... Il sera ensuite ambassadeur en France de 1989 à 1992. Smaïl Hamdani a été Premier ministre successivement de Liamine Zeroual puis de Abdelaziz Bouteflika, du 15 décembre 1998 au 23 décembre 1999. 

Dans l'interview du diplomate Lakhdar Brahimi réalisé par Mohamed-Cherif Mesbah, nous découvrons en creux, le parcours de Smaïl Hamdani, dans ces années cinquante à la médersa d’Alger où les jeunes intellectuels s’interrogeaient sur l’avenir de l’Algérie. “C'est à partir de 1953 qu'une nouvelle réforme affubla les médersas du nom de lycées d'enseignement franco-musulman. On bâtira aussi un nouvel édifice pour la médersa d'Alger, à Ben Aknoun, Les étudiants du nouveau régime, encouragés, notamment, par un professeur de mathématiques qui eut une très grosse influence sur nous tous, Abdelaziz Ouabdesslam, commençaient à tenter de passer le baccalauréat français en candidats libres. C'est ce que fit, par exemple, Smaïl Hamdani. C'est à la médersa aussi que la prise de conscience politique va s'aiguiser : certains de nos camarades étaient déjà des militants structurés, généralement au MTLD, peut-être pour quelques-uns à l'Udma, mais j'en doute. C'est à l'université que l'on trouvera des Udmistes et des communistes (...) La création de l'Ugema s'était faite dans une perspective de lutte (...). La grève des cours et des examens décidée à Alger par la direction clandestine du FLN, en coordination avec les étudiants et les lycéens, est annoncée le 19 mai 1956. Les étudiants vont alors s'intégrer publiquement au sein du FLN et de l'ALN. L'Ugema devient, sur le plan international, le visage de la communauté combattante estudiantine.” (1)

La médersa était, en fait, un bouillon de culture qui devait déboucher sur la glorieuse Révolution de Novembre où les intellectuels eurent, eux aussi, leur part du feu et leur parcelle de gloire. Qu'on se souvienne, à titre d'exemple, du travail titanesque qu'a réalisé la délégation algérienne à l'ONU pour rendre visible la question algérienne ! Avec des moyens dérisoires, l'inscription de la question algérienne à l'Assemblée des Nations unies donnait une aura importante qui ne diminue en rien naturellement le sacrifice physique des moudjahidine. Seulement, nous devons nous convaincre que la Révolution de Novembre a été portée par toutes les composantes du peuple algérien, cela va du simple citoyen qui lutte pour survivre, au moussebel, au maquisard, mais aussi aux diplomates, aux footballeurs de l'Équipe du FLN, aux blouses blanches et aussi aux hommes de théâtre et des médias dont Boumediene a pu dire qu'“ils ont été aussi déterminants dans la victoire”.

La diplomatie algérienne tous azimuts

C’est entre autres dans cette médersa que l’élite de la diplomatie algérienne fut formée. Ce fut à la fois une formation parfaite, mais de plus elle fut une école de militantisme. Ainsi la Révolution algérienne doit beaucoup aussi à ces jeunes qui défendirent pied à pied la Révolution dans les instances internationales. Elle fut une composante importante du combat pour une visibilité de la cause de l’indépendance de l’Algérie. Il est impossible de décrire le travail patient et itératif de nos ambassadeurs dans les pays amis et sensibles à la cause algérienne.

Dans ce cadre, il faut rendre justice, à titre d’exemple, à la délégation algérienne à l’ONU où elle lutta pied à pied avec des moyens autrement plus faibles que la délégation française, mais d’une façon beaucoup plus efficace et mettant en œuvre toutes les facilités offertes par une grande ville comme New York. Convaincre le sénateur John Kennedy de la justesse du combat de l’Algérie, n’était pas simple. Imposer la cause de l’Algérie et arriver, en définitive, à donner une visibilité plus importante d’année en année de notre pays, suite à l’inscription de la question algérienne n’était pas une mince affaire. Yves Courrières nous parle de cette cohésion du GPRA vers l’extérieur malgré les tiraillements internes : “(…) C’est d’abord à l’ONU que les représentants du GPRA avaient trouvé une plateforme de propagande idéale ; avec une lucidité rare, ils avaient décidé d’exploiter ‘à fond’ ce haut-parleur inespéré. Depuis la création du GPRA au sein duquel M’hamed Yazid occupait le poste de ministre de l’Information, c’est Abdelkader Tchanderli qui occupait à New York le bureau d’information du FLN créé en 1955 par Aït Ahmed et Yazid (…). (…) À la fin de 1958, la résolution des pays afro-asiatiques de ‘reconaissance du droit du peuple algérien à l’indépendance’ avait manqué la majorité des deux tiers de seulement une voix.” (2)

« C’est dire si ce travail de proximité au cœur du temple mondial de l’information où se font et se défont les grandes décisions, est capital et est un succès en soi, car le fait même de parler de la “question algérienne” donnait une nouvelle dimension à la lutte et permettait de mobiliser les indécis notamment par l’amplification de la lutte sur le terrain. Yves Courrières ajoute : “Les États étaient passés du vote hostile en commission à l’abstention en Assemblée générale. La France dont la position ne cessait de se dégrader, avait ressenti douloureusement cette attitude. Le FLN devait cette victoire au fantastique travail abattu par ses représentants à New York. Dans un premier temps Tchanderli avait réussi à obtenir du gouvernement américain le statut de foreign agent qui lui permettait de circuler comme il le voulait dans les couloirs de l’Assemblée des Nations unies que la délégation française voulait de toute force lui interdire » (2)

« Il avait développé ensuite, poursuit Yves Courrières une politique subtile de propagande qui mettait en fureur les représentants français. Par exemple, tout le courrier algérien était timbré avec la mention ‘Free Algeria’. Algérie libre était aussi le titre que portait également le bulletin d’information, un quotidien tiré à 28 000 exemplaires ! Les services secrets français étaient persuadés que Tchanderli disposait non seulement d’une équipe importante, mais encore de l’aide de la Ligue arabe. Or il n’en était rien. (…) Tchanderli s’était simplement servi de l’infrastructure d’une grande ville ultra-moderne, il employait les services de maisons spécialisées qui imprimaient, tiraient, expédiaient et distribuaient le bulletin qu’il rédigeait le matin à 5 heures ; à dix heures Tchanderli, diplomate apparemment très décontracté, faisait son entrée au salon des délégués, comme si sa nombreuse équipe avait travaillé toute la nuit. Faire parler de l’Algérie était devenu son obsession (…), les États-Unis, c’est le pays de la vérité, disait-il, donnons donc la vérité. Les résultats étaient payants : 28 thèses avaient été présentées et soutenues aux États-Unis sur la question algérienne.” (2)

"À l’ONU, tout le monde parle. Le mérite de nos représentants est d’avoir permis l’inscription de la question algérienne à l’Assemblée générale. Ce sont des milliers d’articles, nous dit Yves Courrières qui parlent de l’Algérie. Ainsi le discours du sénateur John Fitzgerald Kennedy mit en fureur les Français. Dans une attitude très “neutraliste”, les États-Unis allaient, sur le problème algérien, “conseiller aux Français d’arranger les choses…” . La seconde victoire de la diplomatie algérienne a été obtenue par le fait que la Chine a été l’un des premiers pays à reconnaître le GPRA . L’aide ne fut pas seulement verbale, l’armement lourd chinois a été d’un grand apport. Mao Tse Toung qui les reçut, les remercia de “l’aide que la Révolution algérienne lui apportait en mobilisant six cent mille militaires du Pacte atlantique”. Il leur dit même qu’“ils s’inspirèrent de la technique de combat : la guérilla de l’Émir Abdelkrim El-Khattabi qui, lui a permis de vaincre une coalition franco-espagnole de 500 000 soldats et 25 généraux lors de l’épique bataille d’Anoual le 27e jour du Ramadhan…” (2)

C’est dans ce creuset d’une diplomatie tout-terrain sans moyen, mais avec l’engagement et la détermination que ces compétences prirent en charge les structures de la haute administration de l’Algérie indépendante. Le parcours éclectique de Si Hamdani est alors tout à fait naturel au vu, à la fois, de la compétence mais aussi de tout un savoir-faire qui ont permis à Si Hamdani de représenter dignement le pays dans les instances internationales. Bien plus tard, et même après son retrait de la vie politique, très souvent, Smaïl Hamdani animait des débats sur l’épopée de la Révolution algérienne. Toujours mesuré, jamais clivant, il donnait son avis en honnête courtier rapportant, comme il le dit, les faits, rien que les faits, mais tous les faits, même si pour des raisons de convenance, il avait l’art d’envelopper des vérités indéniables sous un verbe tout “diplomatique”.  

Pour ma part, j'ai connu Smaïl Hamdani, il y a une trentaine d'années, et c'est à cette occasion que j'ai appris que nous étions nés dans la même ville. Il était à l'époque en 1989-90 secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, j'occupais la même fonction à l'Enseignement supérieur. Bien plus tard après qu'il s’est retiré de la vie politique je l'invitais à la Journée sur l'énergie du 16 avril, il nous faisait l'amitié non seulement de venir écouter les élèves ingénieurs, mais aussi d'intervenir dans le débat et la Journée se clôturait par une véritable leçon qu'il donnait aux élèves sur leur mission, leur responsabilité de faire en sorte que l'Algérie garde toujours son rang et, pour cela, il exhortait au savoir, à la connaissance, seule défense immunitaire du pays. Les élèves l'entouraient et, il prenait beaucoup de plaisir à discuter avec eux et à nous raconter les conditions difficiles dans lesquelles les jeunes de sa génération ont évolué.

Smaïl Hamdani fut un homme mesuré et pétri de talents, un parcours si riche et si éclectique, parfait bilingue, homme de culture, responsable politique au panache et à l'élégance dans les attitudes. Réservé, il n'est pas descendu dans l'arène de la médiocrité non plus, celle, plus délétère de la rancœur. Mélomane intarissable, il a vécu la symphonie de la vie dans ses noubate en acceptant ce qui est. Sans le bémol de la condescendance ni le dièse de la pédanterie. Voilà le personnage que l'Algérie a perdu. À bien des égards, nous sommes orphelins par la perte inexorable de repères dans cette nuit de l'intellect. Il serait indiqué de rendre un hommage appuyé à toutes ces vraies lumières, mais qui ont tant fait pour le pays.

Paix à votre âme Si Smaïl.

1.Entretien avec Lakhdar Brahimi mené par Mohamed Cherif Mesbah http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2007/06/30/print-30-55646.php

2.Yves Courrières, La guerre d’Algérie. L’heure des colonels, Arthème Fayard. Paris, 1975, 2001, p. 438-441. Rééditions Casbah, Alger, 2005.

 

Article de référence https://www.liberte-algerie.com/actualite/smail-hamdani-un-elegant-patriote-au-long-cours-286648

 

Pr Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

 


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